jeudi 23 août 2007

Léon Bloy « catholique à la grosse tête » par J.-H. Rosny


On trouve les passages qui suivent, sous la signature de J.-H. Rosny, dans un roman - Le Termite, roman de mœurs littéraires - parut en 1890 chez Albert Savine.


La foule des lecteurs fidèles de Livrenblog aura compris que le bloggeur dilettante désoeuvré se penche, durant ses jours pluvieux, sur les pages longtemps délaissées du belgo-français, néo-naturaliste, précurseur de la science-fiction française, créateur du roman préhistorique, membre puis président de l’Académie Goncourt et auteur d’une multitude de romans où il semble que depuis quelques années les chercheurs vont fouailler (1). En attendant un billet, synthétique, sur l’auteur de La guerre du feu, voici un portrait « comme s’y vous y étiez » de L’Entrepreneur de démolissions.

- C’est l’ère des eunuques et des juifs fétides, cria Ramoyre… l’histoire n’a rien présenté de plus formidablement excrémentiel que notre époque accroupie sous le maquerellage du veau d’or, les charognes de la politique, les glaires, le pus et la bave d’un océan de pestilence…
Sa phrase, drainée d’un larynx rauque aux notes compactes, bégayeuse et guerrière, définissait l’homme. Esprit d’ouragan, pauvre de teintes, riche d’élan. Il se dépensait en fureurs de bélier, en paraboles de prophète, en psaumes de vengeance. Surnourri de l’emphase biblique et doué des puissances du Verbe, il bornait son esthétique en la conception que « le beau suprême, ce serait de condenser une telle énergie dans une pensée unique et toujours répétée, qu’elle finit par anéantir le monde. »
[…]
- Tout coule dans les latrines du journalisme et de la banque, reprit Ramoyre… notre siècle se fistulise de haut en bas… Avec un clergé aussi imbécilement nul et aussi ignoblement malpropre que la vermine qu’il doit combattre, - la chrétienté est un Himalaya de pestilence, un Chimborazo d’hypocrisie !
Georgisse et Gabarre sourirent aux images énormes du catholique à la grosse tête. Servaise n’écoutait pas.
[…]
La voix de roulante de Ramoyre le tira de l’abîme spéculatif :
- L’incommensurable lâcheté de ces gens ! Pas une seule de ces âmes publiques… pas un seul romancier, pas un seul des proxénètes du journalisme qui ait montré un fantôme de bravoure physique… la muflerie à découvert la profondeur insondable de sa couardise lorsque, après mon Inconsolable, j’ai erré, trique au poing, par les boulevards, provoquant une attaque, annonçant que j’avais soif de tuer !...
Il répéta, en basse profonde :
- Soif de tuer !
[…]
Et s’efforça d’écouter Ramoyre qui, après une tirade métaphysique sur le règne du Saint-Esprit, successeur du Fils, était retombé dans la littérature :
- Mon chapitre sur les âmes publiques !... L’âme d’un Mourlannes, cette épouvantable maison de joie à l’usage des youtresses, j’en veux montrer le fond… l’essence de néant et de plagiat… la platitude de punaise… Et puis, mon morceau de la fin, sur l’écume de la littérature, ces singes monstrueux de la décadence et du symbolisme qui s’accroupissent sur le cadavre de l’Art et dont la putride contrefaçon s’attaque aux seuls maîtres survivants dans le marécage de notre époque… sur ces avortons du néant… et ce chapitre-là, je l’intitulerai : les Derrières !
[…]
Ramoyre y allait en taureau, dans des mirages de brouillard et d’alcool, les lentilles grossissantes de ses yeux lui montrant des univers en chaque taupinière, avec des entr’actes de gaité de soudard, des idées compactes autant que ses épithètes de vitupérateur, et l’espérance perpétuelle de millions et de milliards lui croulant du ciel.


(1) La Belgique : un jeu de cartes ? De Rosny aîné à Jacques Brel. Etudes réunies par Arnaud Huftier. Presses Universitaires de Valenciennes (2003). Voir aussi Les Cahiers Naturalistes : Aranda, D., Le cas de Nell Horn de l’Armée du Salut, 2006 (80), 167-175. Bourquelot-Kirsch, L., Zola et les jeunes écrivains : présentation et publication de la correspondance échangée entre Zola et J.H. Rosny aîné, 1970 (40), 186-194. Gourdet, A., Les extraterrestres électriques, 2006 (80), 177-192. Pottier, J.M., Reparler de J.H. Rosny, 1996 (70), 181-186.- Chronobibliographie de Rosny, 1996 (70), 187-209.- L’ombre du manifeste. Autour d’une lettre d’Alexandrine Emile-Zola, 1996 (70), 211-221.- « Comment j’ai fait mes romans sociaux ». Une conférence de J.H. Rosny Aîné, 1996 (70), 223-256.- Calepins, Carnets, Cahiers. Le Journal de Rosny Aîné : le « Cahier » de 1886-1887, 1996 (70), 223-256.- Le dernier Manifeste. La Convention littéraire de 1935, 1996 (70), 257-263.- « Comment j’ai fait mes romans sociaux », une conférence inédite de Rosny Aîné, 2006 (80), 133-166.
Sur la toile un article de Roger Bozzetto sur Rosny et Wells.




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