mardi 29 avril 2008

Frédéric SAISSET Au Fil du Rêve



Un premier recueil

1897 : Prenez un jeune poète, il sera d'une génération charnière, né en 1873, influencé par le Symbolisme il s'en écartera par son goût de la nature, par un besoin d'action. Son premier recueil, s'ouvrira par des poèmes placès sous le signe du Rêve, la recherche de l'amour idéal, pour s'en évader sans violence, l'amoureux de la femme deviendra amoureux de la nature, plus sensuel que rêveur. Naturiste, il le sera par sa génération et sa nature, sans attache pourtant avec l'école officiel de Saint-Georges de Bouhélier. Il sera l'exemple que les théories et les manifestes un peu fumeux, synthétisent plus un mouvement littéraire, qu'ils ne l'influencent. Notre jeune poète, n'étant d'aucune école, pour se faire entendre, devra faire présenter son recueil par un poète confirmé, un ancien indulgent, compréhensif, et dont le nom imprimé sur la couverture distinguera le volume parmi les dizaines de recueils et plaquettes s'empilant dans les salles de rédactions et sur les tables des libraires. Même si le volume ne connait pas un succès retentissant, le jeune poète est lancé.

Ce poète, pour aujourd'hui, s'appelle Frédéric Saisset, son recueil, Au Fil du Rêve, paraît chez Ollendorff, avec une préface de Georges Rodenbach, curieusement lui le fils du poète catalan, Alets Saisset, sera porté sur les fonds baptismaux de la poésie par un poète de la Flandre, des béguinages et de Bruges-la-Morte. Il fera pourtant, ses premières armes littéraires dans La Clavellina (1896-1902), revue de Charles Bausil à Perpignan, et particpera à la revue La Coupe (1895-1898) de Montpellier. Le jeune poète n'oubliera pas de dédicacer quelques-uns de ses poèmes, Georges Rodenbach, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Jean Lorrain et le biterrois Gabriel de Lautrec, recevront ainsi son hommage, tous, excepté Lautrec, dont la renommée ne sera jamais très grande malgré la qualité de ses poèmes en proses et de ses contes fantastiques, sont des hommes de lettre en vue, représentants de la génération précédente. Livrenblog désireux d'éclairer, de son pauvre lumignon, les zones désertées par les projecteurs de l'histoire littéraire, donne aujourd'hui la préface de Georges Rodenbach à ce premier recueil, et, pour l'exemple, l'un des poèmes de jeunesse de Frédéric Saisset.

Frédéric Saisset : 1873 - 1953.

Poémes : Au fil du rêve, poésies. Préface de Georges Rodenbach, Ollendorff, 1897, in-16, 132 p. - Les soirs d'ombre et d'or. Editions du Mercure de France 1898. in-4, 116 p. (Dédié à Georges Rodenbach). - Les Moissons de la solitude, poèmes. Paris : E. Sansot, 1907, in-18, 104 p. - Le Miroir des songes. Perrin, Editions de la Revue des Poètes, 1928 In-16, 129 p.

Théâtre : Les vieux : drame en 3 actes, de Pierre Rameil et Frédéric Saisset. d'après Ignasi Iglesias, spectacle du Théâtre de l'Oeuvre, avec Jehan Adès dans le rôle de Jean, Lugné-Poe dans celui de Xalet et Jeanne Gueret dans celui d'Ursule. Représenté le 12 août 1908 au Théâtre Femina (Pierre Lafitte). - L'Auberge de Jacobus, drame en 3 actes. Paris, Courtrai, éditions de La Nervie, 1929, In-16, 70 p.

En collaboration avec Léon Saisset il participera à la collection Les Grands Evénements Littéraires (Société française d'éditions littéraires et techniques, Edgar Malfère) avec Le grand testament de François Villon (1937), et Les Histoires extraordinaires d'Edgar Poe (1939).

Avec son ami et exact contemporain, Edmond Pilon, il publie Les Fêtes en Europe au XVIIIème Siècle, avec des compositions originales d'Edith Follet. Editions du Soleil - Saint-Gratien ( S & O). Sans Date, In-4 (30x22.5cm), 198 pages.

Fidèle à ses origines roussillonnaise, il est membre résidant de La société Agricole, Scientifique
et Littéraire des Pyrénées-Orientales
, et collabore à cette revue, de même il participera au volume consacré à sa région par les éditions Horizons de France, Visages du Roussillon, en 1952.

Outre les deux revues déjà citées il collaborera à : Les Facettes (1910-1914), L'Hémicycle (1900-1902), Les Horizons (1912-1913), Le Pays d'Oc (1912), La Revue Verlainienne (1901-1902), Le Rythme (1911-1912), Mercure de France, La Revue de l'époque (1922), Le Monde illustré (1922), et sans doute de nombreuses autres...

Préface de Georges Rodenbach :

Faire une préface, pour un livre, n’est-ce pas comme être le parrain d’une cloche nouveau-née ? Honneur charmant, mais un peu vain peut-être. Il y a ainsi, au sommet des tours, des bronzes âgés où est brodé en relief le nom d’un parrain qui accompagna leur naissance. Qu’importe le nom uni au métal. La cloche vaut par elle-même. Elle tinte selon sa destinée et attirera toujours les fidèles qu’elle mérite.
Oui ! mais comment se faire entendre dans l’air du temps où monte, si hurlant et exclusif, le bruit des appétits, des passions, des conflits sociaux, des machines, des armées, le grand Ricanement positif ? Il est vrai qu’une couche de l’atmosphère reste quand même à jamais bleue et blanche, une zone inaliénable de l’Idéal ; mais tant d’âmes de poètes déjà y ont passé durant ce siècle ; il y a tant de cloches dominatrices, en route à jamais… L’inlassable bourdon de cathédrale que fut Victor Hugo ; puis Lamartine, la cloche élégiaque, cloche pascale, urne de buis bénit. Et la cloche épiscopale qu’est ce Baudelaire, cloche de génie aussi, en robe violette, soutane de prélat un peu damné, bronze cuit aux flammes de l’enfer, et où des images de péchés furent coulées dans le métal. Combien de cloches encore, tant de cloches, inspirées et pures, dont le chant a cheminé par-dessus les affaires du siècle et les domine et déjà se continue vers l’avenir… Vigny, le tocsin d’un beffroi militaire ; Brizeux, la petite clochette de l’enfant de chœur d’un Pardon de Bretagne ; Sainte-Beuve, timbre d’argent d’une église de Paris, où des amants se donnent rendez-vous, friands de baisers qui sentent l’encens ; et Rimbaud, glas d’une tour en feu ; et Verlaine, cloche de verre, cristal qui chante comme une âme dans un campanile à jour, cloche, impatiente du ciel, que tire d’en bas le poète, sonneur ivre !

Que de cloches ! Que de poètes ! Bien d’autres encore : Gautier, Banville, Valmore, Nerval et Laforgue, tant de chanteurs, suaves ou forts, depuis cette pléiade riche des Parnassiens jusqu’aux nouveaux venus qui sont nombreux, et à leur tour, inaugurent dans l’air tout un carillon neuf ! Jeunes chants s’égosillant vers l’azur ! Voix fluettes qui, d’être plus proches, s’imaginent aussi sonores que les vastes tintements décrus par l’éloignement ! Chants d’aube qui réellement sont frais, lyriques, méritent d’occuper l’horizon !

Concert assourdissant – et magnifique au fond ! Le siècle, au déclin, appartiendra encore une fois aux poètes comme il leur appartint au début. Qu’est-ce donc qu’on disait notre siècle pratique, politique, égalitaire, scientifique, oui ! le siècle des lumières, affirmaient les hommes graves ! Eh ! bien, non ; il sera le siècle des poètes, car jamais on en vit tant et d’aussi inspirés en cette France littéraire inépuisablement féconde.

N’est-ce pas un peu effrayant pour ceux qui ont à débuter ? Tant de poètes, tant de cloches déjà dans l’air ! Mais la cloche, d’être isolée dans l’air, peut se croire et se croit seule. Et elle chante ! Elle s’enchante ! Est-ce que quelqu’un l’écoutera d’en bas ?

Voici une cloche qui le mériterait : au Fil du Rêve… Elle est faite, comme toute cloche, d’un alliage ; mais elle a été coulée selon un dessin personnel ; elle vibre avec un accent qui est le sien. Elle tinte… C’est sa première messe… une messe de mariage, c'est-à-dire évidemment l’office d’amour. Quoi sonner d’autre quand c’est avril et que c’est matin ? Est-ce que la cloche n’a pas la forme d’une robe ? La chanson est tendre, passionnée, sincère, sensuelle assez pour être humaine et rester chaste, rythmique assez pour être musicale et demeurer des vers. Chanson où se module l’Eternel Aventure , moins l’amour d’une amante, que l’amour de l’amour, premier émoi, premier poème, puberté de l’âme, maladie infantile du cœur !

Mais ce poète-ci aima d’une passion virile, encore que tendre et câline, car il conclut fièrement :

Je suis plus grand que ta beauté :
J’ai triomphé de tes caresses.

C’est que ce poète a aussi l’amour de la Nature, qui est plus vaste, plus puissant, et où l’autre se transvase, se transpose. Ces yeux de l’amante partie, qu’il célèbre en de beaux vers imagés et sonores, il les retrouve dans les pièces d’eau aux cils de roseaux. Est-ce que les branches des arbres ne sont pas des gestes qui appellent ? Quelle chevelure, rousse et aromatique, que la moisson mûre des orges ! La beauté de la Femme résumait au poète toute la nature ; la beauté de la Nature lui résume toute la Femme. Et il aime la Nature qu’un amour qui, comme l’autre, frémit, s’attendrit, s’exalte de se savoir immuable, et goûte déjà dans le temps un peu d’Eternité.

C’est ainsi que l’auteur d’Au Fil du Rêve appartient sans le vouloir, sans le savoir peut-être, au groupe des plus récents écrivains qui, renonçant avec raison aux vieux mythes, aux mythologies surannées, aux idylles antiques, se sont remis directement en communication avec la Nature et font leurs œuvres – non plus d’après des livres et des souvenirs, - mais d’après la vie, d’après leur race, et d’après leur âme.

Quand on procède ainsi, l’œuvre dépend un peu de l’âme qu’on a. Pour faire une belle œuvre, il faut se réaliser d’abord une belle âme. Voilà pourquoi on peut augurer beaucoup de talent de ce poète dont l’âme s’atteste tout de suite aimante, noble et fidèle. Il y a, en effet, dès le seuil d’au Fil du Rêve quelque chose de touchant, cette simple dédicace qui arrête et émeut : « A la mémoire de mon père. » Ceci nous a rappelé ce que Léon Cladel nous racontait un jour à propos également de son livre de début. Son père, le vieux paysan de là-bas, dans le Quercy, se mourait, tandis qu’il composait, lui, dans Paris, le Bouscassié… Il hâta son travail, écrivit jour et nuit, ne s’accorda aucun délai. Il voulait achever le livre, l’apporter au père, pour qu’il en fût fier, s’en consolât de mourir et pût l’emporter, comme un viatique, pour le grand voyage… Mais nos rêves su peu se réalisent ! Quand le fils arriva avec son volume frais broché, le vieux paysan venait de passer. Il ne put que le déposer dans le cercueil, sur sa poitrine vénérable, doux poids qui pèse, première pierre du tombeau…

L’auteur d’Au Fil du Rêve est non moins tendrement filial. Et, avant la messe d’amour du jeune poème, la cloche a voulu tinter la commémoration mortuaire, trois coup d’angélus et de bout de l’an.
Le chant promet d’être beau qui commence par être bon ; et c’est pourquoi ils nous fut doux d’être le parrain de cette cloche et de mettre sur elle un peu de notre pensée, comme on a coutume de mettre une robe de dentelle (ici, du point de Bruges) sur le bronze de la cloche qu’on baptise.

Georges Rodenbach


Promenade

A Jean Lorrain.


La nuit songe dans les chemins ;
Au ciel veille la lune blême
Reflétée au grand lac qu'elle aime ;
Et les mains vont cherchant les mains.

Les amants près de leurs amantes
Insistent en galants propos.
Les champs s'étalent en repos.
Un parfum s'élève des menthes.

Maint couple, à petits pas discrets,
Va chuchotant dans le silence.
Plus d'un coeur assiégé balance,
Et la nuit écoute en secret.

Et bientôt les lèvres amies,
Bravant les refus indignés,
Frôlent les blonds cheveux baignés
De lueurs de lune endormies.

Tout se tait. L'amante se sent
Faiblir en sa rigueur farouche ;
Sous la lune blême, la bouche
Cherche la bouche qui consent.

Puis naît le mutuel "je t'aime".
Les pressent plus fort les mains.
Le lac est noir, noirs les chemins.
La nue est sur la lune blême.

Frédéric Saisset



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