jeudi 28 août 2008

200e BILLET - Retour à Renée DUNAN



Pour ce 200e billet il me faut d'abord remercier les animateurs de l'internet littéraire qui m'ont suivis et soutenus.
Le site Remy de Gourmont et son maître entoîleur Christian Buat. Le fidèle Eric Dussert et son Alamblog. Mikael Lugan, le SPiRitus des Féeries Intérieures. C. Arnoult fervent promoteur d'Han Ryner. Bruno Monnier qui perdure la tradition des Gazettes rimées de Raoul Ponchon. Christine Serin pour les liens sur son indispensable Jean Lorrain. Le Blog de l'Ombre. Plume qui prouve régulièrement qu'elle sait lire. La Muse galante. Le blog des éditions Cynthia 3000. Le Visage vert. Le Grognard, revue littéraire. Les âmes d'Atala et la revue Amer. Les délassements dans le boudoir.

Ceux qui hors la toile m'ont également apporté leur soutien.
Patrick Biaud avec ses publications sur Mac-Nab et Jules Jouy. Silvaine Viel-Notte des éditions Versant Libre. Nicolas Leroux et la revue L'Oeil Bleu.
Et à tous les lecteurs inconnus.

Illustrations : Bois de Foujita pour Les Aventures du Roi Pausole de Pierre Louÿs.


Retour à Renée DUNAN

Bientôt la rentrée littéraire, les prix... Pour se mettre dans l'ambiance, un extrait du Prix Lacombyne de Renée Dunan, Editions de l'Epi, 1924, illustré par Jean Oberlé.
« Tout Paris parlait, deux mois durant, du Prix Lacombyne. Les journaux publiaient les portraits des candidats, pour quelques-uns, d'après de très exactes fiches anthropométriques. Quant aux juges, ils acquéraient une célébrité du meilleur aloi. » Dany Cysthe et Paul Le Raive, sont écrivains, amants aussi, ils concourent tout deux pour le Prix Lacombyne, Dany compte plus sur elle-même que sur son livre pour réussir. Paul après une dispute avec Dany, est arrêté par Apértyl Zynge, le grand critique littéraire. Ils parlent, bien sur, du Prix Lacombyne.


« [...] C'est la plus ignoble chose des temps modernes, ce Prix Lacombyne, c'est pire qu'un tremblement de terre, que la folie pédérastique allemande, que la ruine des monnaies, que tous les désastres réunis...
- Vous allez, si j'ose dire, fort, mon cher Maître !
- Vous êtes un petit sot, mon cher. La psychose du prix académique s'étend comme une flamme. Elle intéresse le quart des gens qui s'en occuperons dans un an, le vingtième de ceux qui en feront un souci dans deux ans. Dans cinq, on fera des ministères sur la question du Prix Lacombyne, comme à Byzance, la victoire des verts ou des bleus, à l'hippodrome, faisait sortir le peuple et quelquefois assassiner un empereur.
« Comprenez donc, mon petit, qu'il fallu des siècles et des siècles de dressage pour habituer l'homme, non pas à respecter encore – ah ! Seigneur, non ! - mais à sembler respecter l'activité d'autrui. La vendetta est disparue de nos moeurs. On était en marche vers une sorte de simili-civilisation. Et puis, voilà qu'un idiot crée un prix, un autre imagine un autre prix, et il se fabrique dix, vingt prix...
« Enfin, cet imbécile de Pana, tel est son nom, invente le Prix Lacombyne dont cinq cents journaux entretiennent leurs lecteurs des mois durant. C'est fini de la vie sociale, la barbarie arrive à grands pas...
- Mais, mon cher Maître, n'êtes-vous pas un peu pessimiste ? Je ne vois rien de ce que vous imaginez !
- Oui ! Bien sûr, vous êtes candidat ! Mais ne voyez-vous pas que l'on crée des prix partout à l'imitation de celui-là : prix au meilleur agent de la sûreté, au cocher le plus distingué, au cultivateur qui fera rendre x à son champ, au mastroquet, au marchand de peaux de lapin, au danseur, au papetier, au chemineau, que sais-je... C'est toute la société qui va se trouver reposer sur les truquages de prix, et toutes les branches de l'activité humaine vont y être soumises.
- Eh bien, ce n'est pas si...
- C'est idiot et c'est mortel. Qui dit prix dit sottise. Regardez la liste des prix de Rome depuis un siècle. Il n'y en n'a pas dix qui aient valu tripette durant leur vie. Tout jugement, quel qu'il soit, réclame des qualités morales, un contrôle de soi, un besoin d'équité, un désir de vérifier ses propres impulsions qui sont choses déjà introuvables. Avec une éducation spéciale, des hommes riches, fils de gens de loi, firent jadis de nobles représentant de l'idée de justice. Ils ont toujours été rares. Jugez est la chose la plus ingrate du monde. Jugez sur n'importe quoi, sur la plus claire ou la plus sombre de deux couleurs, sur l'aspect d'un homme qui passa cinq minutes plus tôt, sur les choses les plus apparemment simples. Tout est épineux, complexe et peut-être même insoluble. Or les hiérarchies sociales seront établies désormais par jury, par des jurys d'imbéciles, incapables de maîtriser leurs passions, leurs premiers jets. Des sots sans informations, sans contrôle, sans rien, vont désormais choisir le meilleurs en toutes choses, ce meilleurs qu'ils ne sauraient ni définir ni délimiter. Taisez-vous donc ! C'est la sauvagerie pure.
- Mais, mon cher Maître, n'êtes-vous pas républicain ? La République, c'est bien le jury appliqué à tout dans un Etat ?
- Farceur ! Qu'on fasse juger le Prix Lacombyne par un million d'hommes, il pourra, il devra être commis une sottise. Mais au moins l'énormité des votants équilibre les tares et rend impossibles les manoeuvres. La République est une idée jusqu'ici irréalisée, et qui, pratiquement, ne sera jamais parfaite, mais il s'agit seulement de créer une réalité aussi proche que possible de l'idée, qui, elle, est nette.
« Dans les jurys de prix littéraires ou autres, la valeur justificative des votes égale zéro. Ils sont loin, les trente types du Prix Lacombyne, de valoir trente indifférents qu'on prendrait au hasard. Songez qu'ils sont d'abord médiocres, donc jaloux de leur élu, vu qu'aucun n'atteignit jamais les tirages du lauréat qu'il choisit.
« Ils sont vénaux parce que tous ont vécu difficilement et, pour manger, fait des choses malpropres, écrit pour toutes opinions, rédigé des pamphlets anonymes commandés par des fripons. Surtout, ils ont vu la chance favoriser des confrères qui ne valaient pas plus. D'où cette rage sournoise et vile qui les poussera toujours à éliminer le vrai mérite, à trouver de cauteleuses échappatoires et à se laisser manoeuvrer par les canailles, car ici la canaille ne vole pas, elle paie...
« Le système du prix, en littérature comme en tout, c'est enfin le dressage des hommes à la férocité cupide et crue. [...]



L'actualité des critiques du « cher Maître » est si criante, qu'il me semble inutile d'insister.

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