mardi 19 août 2008

Quand ils se battent : WILLY et Julien LECLERCQ


Une canne égarée dans un oeil bleu

En 1891 paraissait Comic-Salon de Willy, un « salon pour rire » illustré de dessins de Christophe le père du Sapeur Camenber et de la Famille Fenouillard, Julien Leclercq en rend-compte dans le numéro d'août du Mercure de France. L'article ne plut pas à Henry Gauthier-Villars dit Willy, des insultes suivent... Ce genre de querelles se réglaient alors sur le terrain l'épée ou le pistolet à la main, voir le duel Vignier-Caze au dénouement tragique, et les nombreux duels de Rodolphe Darzens ou de Laurent Tailhade. Un rien pouvait vous mener au duel et l'envoi de témoins était chose courante. Pourtant cette fois Willy refuse le duel, il dédaigne son adversaire. Afin de pousser un ennemi a en venir aux armes, il faut alors en venir aux mains, nous l'avons déjà vu avec Caze, toujours, qui doit provoquer Champsaur, pour enfin obtenir réparation. Cette fois Julien Leclercq s'en prend à Willy, sur les quais, sûrement non loin des édition Gauthier-Villars (Willy était l'un des fils de la maison), puisqu'il dit avoir été arrêté dans son agression par « tout le commerce de la librairie du quai, qui voulut venger l'attentat sur l'un des siens et lui prêter main-forte. » Les relations des deux hommes sur leur altercation est si différente qu'il est bien difficile de savoir quelle en était la teneur réelle. Essayons plus tôt de comprendre ce qui la provoqua, pour Leclercq l'article serait juste un prétexte, une excuse pour lui chercher une « affaire », c'est une « haine » que Willy aurait eut contre lui, il n'en dit pourtant pas l'origine. L'article de Leclercq ne nous semble pas aussi « poli » qu'il veut bien le dire, Willy y est présenté comme un plagiaire de vieux almanachs, un journaliste de la grande presse égaré dans les revues. Willy l'auteur comique, eut peut-être laissé passer l'offense, mais l'article commence avec un jeux de mot douteux sur son véritable nom, ainsi Henry Gauthier-Villars, traducteur de livres scientifiques, amateur de musique et spécialiste de Wagner, féru d'histoire, de littérature et de poésie, se devait de répondre à celui qui lui refuser le droit d'écrire les articles « sérieux » qu'il commence à donner, tant au Mercure de France, qu'à la Plume et à la Revue Blanche. C'est son statut d'écrivain, que Willy veut défendre avec cette querelle, un statut qui lui sera régulièrement contesté, lui le « négrier » de Colette, l'auteur de calembours recyclés.

Comic-Salon, par Willy, dessins de Christophe (Léon Vanier)

A Henry Gauthier la providence a ajouté Vil-art, et c'est par un sentiment de respect excessif pour un illustre poète qui se nommait tout simplement Gautier que l'auteur de Comic-Salon signe Willy des oeuvres peu recommandables. Dans la science du calembour M. Willy est d'une érudition profonde, et il n'est pas une page de lui où l'on ne constate qu'il ait beaucoup lu et retenu ; malheureusement, il ne sait pas faire un choix, et c'est, surtout, aux auteurs anciens des plus mauvais almanachs qu'il emprunte. Il doit à son savoir le bon accueil que lui fit la presse quotidienne, mais il nous étonne que, donné d'un talent aussi productif, il s'adresse avec un désintéressement inopportun à certaines revues sans rubriques pour son emploi. C'est là une erreur dont il reviendra. M. Willy, dans ses écrits, ménage ses lecteurs. Comic-Salon, par exemple, engendre plutôt cette mélancolie qui est de la tristesse indifférente que le rire qui distrait et détourne des travaux graves. Ce genre de lectures est utile surtout à ceux qui écrivent et qu'inspirent les toutes petites vanités de ce monde. Il arrive parfois que l'on se trompe sur la valeur des styles, et je dois à M. Willy de reconnaître aujourd'hui combien je me suis mépris vers mes douze ans sur l'importance d'une publication périodique, La Lanterne de Bocquillon, que je lisais
assidûment à cause d'opinions républicaines et anti-cléricales que j'affichais au lendemain de ma première communion. Je parlerais volontiers des dessins de M. Christophe, mais mon ami Albert Aurier fait ici la critique d'art et je ne veux pas empiéter sur son domaine.

J.L.


Mon cher Vallette,

Ceux qui ont lu ma bibliographie sur Comic-Salon savent avec quelle politesse, et quelle indulgence aussi, j'ai traité la personne de M. Willy. Ces quelques lignes m'ont valu des insultes de la part de ce monsieur. Supposant qu'il avait contre moi quelque haine et qu'en tout cela il ne cherchait qu'une affaire, P.-N. Roinard et Albert Aurier, nos amis communs, allèrent lui demander en mon nom soit une rétractation, soit une réparation. Il me refusa l'une et l'autre, s'expliquant dans une lettre à mes témoins, laquelle est un surcroît d'offense et contient, entre autres passages, celui-ci : « Les mépris de ce jeune homme n'ayant à mes yeux qu'une importance infinitésimale, j'aurais pu les négliger s'il n'avait cru devoir choisir, pour y loger sa première mercuriale, une publication à laquelle je collabore et précisément un fascicule qui contenait quelques pages signées de mon nom. »
Jugez, mais passons.
Je laisse aux gens de loyauté et de bonne éducation le soin d'apprécier la conduite de M. Henry Gauthier-Villars dans cette affaire, dont le dénouement a eu lieu dans un poste de police, où procès-verbal fut dressé contre moi pour avoir égaré ma canne dans l'oeil bleu de mon trop timide adversaire.
Je tenais à dire ces choses. Maintenant, je ne parlerais plus de M. Willy.
Mon cher ami, je vous serre la main.

Julien Leclercq


Je n'ai pas ici à prendre parti, mais je trouve dans le passage précité de la lettre de M. Gauthier-Villars aux témoins de M. Leclercq une inexactitude que je dois relever. Le principal grief de M. Gauthier-Villars consiste, d'après cette lettre, en ce que M. Leclercq aurait choisi, pour y punlier la bibliographie de Comic-Salon, un fascicule où lui-même signait un article. Or, personne ici ne choisit le numéro où insérer tel ou tel compte-rendu de livre : c'est à moi seul qu'incombe ce soin. Je regrette d'ailleurs que M. Gauthier-Villars ait attribué une intention maligne à une simple coïncidence.

A[lfred].V[Valette].


Nous recevons la lettre qui suit :

« Mon cher Vallette,
« Il y a dans le Bulletin de victoire rédigé par M. Leclercq quelques inexactitudes, et des omissions, surtout : le commissaire de police n'eut pas à dresser procès-verbal, puisque je refusai de porter plainte contre mon agresseur, me trouvant satisfait « des coups qu'il reçut » - c'est l'aveu qu'il fit au Matin – et que j'eus plaisir à lui porter (la voilà, la fâcheuse omission, la voilà bien !), à la vérité sans canne.
« A Dieu ne plaise que je tire vanité d'être solidement construit ! Mais, dans l'espèce, je fus content de posséder une poigne vigoureuse.
« Faut-il l'ajouter ? Je ne saurais prendre l'engagement de ne plus parler de M. Leclercq.
« Quant à vous, mon cher ami, je ne vous ai jamais supposé capable d'une intention maligne envers moi, et je tiens à vous le dire.
« Bien cordialement,

« Willy. »


Voici, à titre de document, la lettre de M. Julien Leclercq insérée par le Matin du 30 août et à laquelle M. Willy fait allusion :


« Paris, le 19 août 1892.
« A Monsieur le directeur du « Matin ».

« Monsieur,

« M. H. Gauthier-Villars néglige de vous spécifier que :

« 1° Je ne me suis résigné aux voies de fait que parce qu'il a refusé de me donner par les armes une réparation des injures qu'il m'avait gratuitement prodiguées. Il prouve une fois de plus son aversion pour le duel. Est-ce par philanthropie ? C'est peu probable.
« 2° Je n'ai à mon tour reçu de coups, après avoir dûment marqué M. Gauthier-Villars à l'oeil, que parce que mon agression avait ameuté contre moi tout le commerce de la librairie du quai, qui voulut venger l'attentat sur l'un des siens et lui prêter main-forte.
« En outre, j'ai frappé mon adversaire le premier pour lui laisser le choix des armes; dans le cas où il se serait décidé à une rencontre. Mais, ni d'une façon ni de l'autre, il n'entend se battre, comme offenseur ou comme offensé. Ceci a de l'importance.
« Agréez, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération très distinguée, et veuillez, je vous en prie, accorder l'hospitalité à ces lignes, - les dernières.

« Julien Leclercq
« 36, rue des Batignolles. »



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1892, le Théâtre d’Art, le Cantique des Cantiques de P. N. Roinard, par Julien Leclercq
Daniel fragments d'un roman de Julien Leclercq


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