lundi 29 septembre 2008

JEHAN-RICTUS, iconographie



L'auteur des Soliloques du Pauvre, a souvent servi de modèle à ses amis peintres et illustrateurs.

Vallotton (ci-dessus), Steinlen (ci-dessous), Brindeau (ci-contre), l'ont, entre-autres, croqué, mais lui-même griffonnait ses contemporains. Pour aujourd'hui je reproduis, outre les trois portraits, des illustrations de et sur Rictus, provenant du numéro spécial du Goéland Illustré Album souvenir 1936 - 1949. N° 90, 1er trimestre 1949, revue éditée par Théophile Briant. D'autres suivront sans doute.

Caricatures de Jose-Maria de Heredia, Catulle Mendès, Laurent Tailhade, Gambetta et Jean Moréas par Jehan-Rictus :




Portrait de Rictus par Albert Samain dont nous avons déjà pu constater qu'il fut lui aussi dessinateur :

Documents :
Livrenblog a déjà publié un document sur Gabriel Randon / Jehan-Rictus, il s'agit de son exemplaire du menu du Dîner du Pierrot, qui se trouve ici.


Enquête L'ERMITAGE 1893 LE BIEN SOCIAL ?




En Juillet 1893 la revue L'Ermitage publie les premiers résultats d'un « référendum » sur l'organisation de la société, effectué auprès des écrivains. Voici la question qui leur était posée :
« Quelle est la meilleure condition du Bien social, une organisation spontanée et libre, ou bien une organisation disciplinée et méthodique ? Vers laquelle de ces conceptions doivent aller les préférences de l'artiste ? »
Avant de donner quelques exemples des réponses reçues, il faut revenir sur la question posée, que fallait-il lire derrière « organisation libre et spontanée » et « organisation disciplinée et méthodique » ? les promoteurs s'expliquant dans un épilogue, nous dévoilent la volonté qui a été la leur : « on avait voulu éviter dans la formule le mot socialisme, source d'équivoques, et le mot contrainte, de nuance trop défavorable », on verra que les écrivains ont pour beaucoup compris que « l'organisation libre et spontanée » caché le mot d'anarchie et « l'organisation disciplinée et méthodique » celui de tyrannie.
Le référendum paru en deux partie, la première publication donne les réponses de la jeune génération (numéro de juillet 1893), la deuxième (numéro de novembre 1893) celles de la génération précédente.
J'ai choisi d'extraire quelques réponses, qui m'ont semblé significatives, parmi les écrivains dont les noms ont encore une résonance, même très légère, aujourd'hui.


Gourmont (Remy de). - Sûr d'être toujours broyé par la machinerie sociale, l'artiste doit se méfier – de tout.

Hérold (Ferdinand). - L'entente sociale, à qui, pour base, il faut la sympathie, doit avoir comme seuls buts d'assurer à l'homme le moyen de vivre, et d'empêcher qu'un individu ne s'empare d'un pouvoir matériel qui lui permette d'exploiter à son profit ou d'opprimer un autre individu. Nul en effet n'a le droit d'ordonner quoi que ce soit à autrui, et chacun a le droit de vivre, de penser, de parler, d'aimer, comme il l'entend. Le communisme économique, joint à l'anarchie politique, intellectuelle et morale, me semble assurer, seul, le libre développement des personnalités ; et, par suite, j'estime que c'est à lui que doivent aller les préférences de l'artiste.

Maeterlinck (Maurice), de Gand. - Il me semble que la meilleure condition du bien social serait une organisation libre et spontanée ; mais une telle organisation sera-t-elle possible, tant que les hommes n'auront pas avec la vie les mêmes rapports que les poètes et les sages ont avec la beauté ?

Masson (Paul). - Pour répondre à cette question, il faudrait tout d'abord s'étendre sur ce qu'on dénomme le Bien social, tâche qui exigerait plusieurs volumes ; force nous est donc d'ajourner provisoirement la solution du problème. Quand à décider vers quelle conception doivent aller les préférences de l'artiste, il est certain qu'aujourd'hui dans les estaminets la doctrine du « bon tyran » tend à prévaloir, mais ces une mode qui passera, comme celle du suffrage universel et de l'anarchisme, avec lesquelles il serait désirable qu 'elle alternât.

Maubel (Henry), de Bruxelles. - L'artiste préférera l'idéal au réel. La conception d'une organisation sociale spontanée et libre me semble être toute idéaliste, c'est à dire anti-politique. Je la préfère. Quand au bien social, deux espèces de travailleurs en fournissent la matière aux sociologues : les producteurs du capital matériel et ceux du capital spirituel. Il faut évidemment que ceux-ci puisent aimer, penser, souffrir et travailler en paix.

Mauclair (Camille). - La logique glorifiant la sensibilité, l'exaltation de l'être en harmonie avec les lois naturelles, s'estimer en autrui comme en soi-même, n'opprimer ni soi ni les autres – et ces deux respect se coordonnant – voilà mon formulaire d'éthique. C'est dire que je veux toute spontanéité. L'être et l'état ne se soutiennent que d'un constant afflux d'émotions : émotivement, nous mourront de méthode et de discipline. Je pense qu'il faut remédier avant tout à ce raréfiement du pathétique : auprès de cela, le désordonnement – d'ailleurs passager et atténuable – d'une libération sociale trop soudaine, est un inconvénient secondaire. Je dis ceci en artiste et en homme – mêmes mots pour moi qui instaure de ma vie une parallèle oeuvre d'art. Sentir intensément ! Mais c'est la seule parole que je consentirais à crier dans les rues ! Dans la vie et dans l'art, l'événement est l'effet du magnétisme individuel.

Michelet (Emile). - Il ne peut exister d'organisation spontanée et libre, puisque toute organisation exclut fatalement la spontanéité et la liberté. Pour le Bien social le desideratum m'apparaît : liberté et spontanéité à outrance sur le plan immatériel, discipline et méthode sur le plan matériel. Quand aux préférences de l'artiste, elles iront toujours, à mon avis vers la liberté sans limite.

Merrill (Stuart), de New-York. - L'art étant l'affirmation suprême de la volonté, l'artiste doit rechercher la liberté qui lui permette cette affirmation. Mais s'il est anarchiste dans l'absolu, il ne peut être que socialiste dans le relatif, car il n'est pas de liberté possible sans entente commune de tous les citoyens. Il faut que chacun sacrifie quelques libertés inférieures, afin que tous jouissent de liberté supérieures.
La question sociale de l'heure présente est surtout économique : c'est une question du ventre, comme l'a dit Schaeffle. Avant que tous gagnent la liberté d'agir de penser ou de rêver, il faut que tous s'organisent contre la faim. Or cette organisation ne peut être abandonnée à la spontanéité des individus : l'anarchie économique n'aboutirait, comme elle n'a dès aujourd'hui abouti, qu'à l'accaparement des moyens de production par la minorité, donc à la surproduction d'une part, à la sous-consommation de l'autre.
Le socialisme seul, en identifiant l'intérêt de chacun avec celui de tous, est capable d'harmoniser les égoïsmes économiques. La Cité future serait, tel un beau poème, une manifestation de la liberté soumise à l'ordre.

Pujo (Maurice). - Je crois que l'intime nature de l'homme peut se définir par l'Action. Le libre déploiement de l'Action, l'expansion absolue de l'individu, expansion obtenue non par l'égoïsme, mais par l'amour et la sympathie, tel est l'idéal moral. L'idéal social sera la coordination des actions diverses s'aidant, se déterminant et se limitant mutuellement : un minimum possible de gouvernement. Au terme c'est l'Anarchie que seul peut réaliser le véritable artiste s'il arrive à renier en lui tous les principes de limite pour laisser son âme et son oeuvre à la pure liberté, à la pure Activité créatrice, dont la conscience est pure Emotion.

Quillard (Pierre). - Toute hiérarchie politique ou sociale est nécessairement arbitraire, stupide et malfaisante, qu'elle repose sur la force brutale, la puissance de l'argent, le respect de la tradition ou le mandarinat. Les artistes ne peuvent que souffrir, de même que leurs frères en servitude, de toute organisation autre que spontanée et libre. La méthode et la discipline supposent l'identité absolue de toutes les nomades humaines, les traitant en pure abstractions et supprimant par avance, au nom des lois chimériques, tout ce qui distingue un individu d'un autre individu et en fait réellement une « personne ». Toute oeuvre d'art, comme exceptionnelle et unique, équivaut à une négation de la règle et nul artiste conscient ne saurait s'accommoder d'un état de choses où rythmer un poème ou une symphonie, peindre une toile, tailler un bloc de marbre fait de lui immédiatement une espèce de malfaiteur, ainsi du reste que n'importe quel acte non prévu par la sagesse incertaine, hésitante et caduque de l'autorité.

Rachilde. - D'abord, il faut tout démolir. Ensuite, quand tout sera par terre, on se réunira spontanément sur une place publique (s'il en reste une), et on avisera aux moyens de tout reconstituer ; mais, comme il n'est guère possible de s'entendre en liberté, chacun voulant crier plus fort que l'autre, on plantera une borne, on déléguera des gens pour monter dessus, et, d'instinct, on les choisira sonores, c'est à dire creux.
D'où les députés.
Puis il pleuvra (il finit toujours par pleuvoir). Viendra donc l'idée méthodique de couvrir les orateurs d'un parapluie. Du parapluie au fronton grec, il n'y a qu'un pas à faire... en arrière. On le fera, et les pas en arrière, c'est le principe de toute discipline.
D'où la Chambre.

Retté (Adolphe) : Si l'homme libre existait réellement, l'idéal social lui serait sans doute formulé par la devise de Thélème : « Fais ce que voudras. »
Il y a un autre idéal aussi séduisant : la théocratie telle que la réalisèrent en Egypte, les prêtres d'Isis et leurs élèves : les Pharaons des belles dynasties. Mais, en application dès les siècles, hier, aujourd'hui, demain les choses sociales furent, sont et seront triturées par les Malins et à leur profit exclusif.
Il faut se résigner, se créer sa Thélème ailleurs – peu-être plus haut – ou se fonder une théocratie de rêves.

Schwob (Marcel). - L'association n'est pas une fin, mais un moyen ; la civilisation n'est point une académie, mais une école.

Vielé-Griffin (Francis), de New-York. - Mes chers confrères, votre question est ambiguë :
Si vous considérez le futur Bien Social comme établi, il devra reposer par hypothèse, à mon sens, sur la spontanéité et la liberté ;
Si vous envisagez l'état révolutionnaire transitoire, il pourra être, selon des éventualités impronosticables, anarchique ou dictatorial et, peut-être, successivement l'un et l'autre.
L'art étant d'essence anarchique, c'est-à-dire spontanément et librement hiérarchique, contemple, par delà les crises contingentes, l'eurythmie humaine ; il appartient à l'artiste de réclamer l'absolu, ne dût-on obtenir que le relatif.

Vallette (Alfred). - Quand on est un, on se contredit ; quand on est deux on ne s'entend guère ; quand on est trois, on ne s'entend que par hasard ; quand on est le Parlement, on ne s'entend plus ; quand on est une société, on ne « s'entendra » jamais : voilà infirmée la proposition d'une organisation libre et spontanée. Reste l'autre : la trique avec méthode si vous y tenez. Et l'artiste, en tant qu'artiste, n'a rien à voir dans la question.

Wilde (Oscar), de Londres. - Autrefois, j'étais poète et tyran. Maintenant je suis artiste et anarchiste.

Un de nos amis nous a envoyé sa réponse au Referendum artistique et social publié dans notre dernier numéro trop tard pour que nous puissions la joindre aux autres. Nous la donnons ici :

Si vous me dites : « Je suis patriote », montrez-moi votre livret afin que je m'assure que vous avez été, que vous êtes encore soldat.
Si vous me dites : « Je suis socialiste », prouvez-moi d'abord que, volontairement pauvre, vous vivez de peu et distribuez le reste. Et les misérables vous permettront de vous occuper d'eux, et même, après avoir mangé, ils vous pardonneront, quand emporté au delà du but, vous vous égarerez dans le rêve.
Sinon laissez l'artiste à son art, où libre, égoïste, mais inoffensif, il barbote assez comme ça.

Jules Renard.


Réponses du n° de novembre 1893 :

Mallarmé (Stéphane). - Une organisation libre et spontanée aujourd'hui jaillissant se fige avant des siècles en tant que traditionnelle puis autoritaire, faute cela de varier dans son dessin à l'infini (l'espèce manquant même pour ses satisfactions et son intérêt, d'imagination) : ou si abstraitement on établit un état tout de suite comme fatal, après du temps chacun a lieu d'y retrouver son propre vouloir, l'habitude aidant et l'impossibilité selon lui que ce soit autrement, bref, que cette organisation disciplinée et méthodique.
N'intéresse l'artiste, du moins le littérateur, que ce qui concerne l'homme, seul et dans un raccourci, vis-à-vis du monde ; les théories sociales, elles s'équivalent, presque opposées : et je sais que je ne m'inquiète ou ne m'indigne sinon quand je vois au nom de l'esprit individuel ou collectif molester du pauvre monde, où je me place.

Picard (Edmond). - L'Anarchie, mot que votre questionnaire hésite à prononcer ; qu'il remplace par cette circonvolution Organisation libre et spontanée, avec raison peut-être, avec opportunité assurément puisque l'exaltation des uns et la badauderie des autres l'ont détourné de son sens scientifique et humanitaire ; l'Anarchie; alors même qu'elle ne serait pas la meilleure condition du Bien Social, est, pour moi avec la clarté de l'évidence, la meilleure condition de l'Art. Elle le sauve de ces servitudes amoindrissantes : les préjugés d'école et les disciplines académiques. Chaque artiste libre dans l'Art libre me paraît la devise suprême. Qu'importe pour ce domaine esthétique où se meuvent nos préoccupations de lettrés qu'on puisse discuter si l'Anarchie, telle que l'on comprise et codifiée des esprits aussi nobles et aussi fraternels que Reclus et Kropotkine, est aussi la meilleure condition du Bien politique !

Lemonnier (Camille). - L'art, étant d'essence libre et spontané, exige, pour se développer plénièrement, un milieu spontané et libre. Une organisation méthodique et disciplinée ne serait pour lui qu'une contrainte et une entrave. Il y perdrait sa sève et sa force, ne serait plus que l'effort contrarié d'une plante poussée à l'ombre et qui péniblement s'oriente à la lumière.

Mirbeau (Octave). - Les questions que vous me posez sont fort complexes et demanderaient de longues pages pour être traitées. Je ne puis donc que vous indiquer brièvement, et sans les étayer d'arguments, mes préférences.
Je ne crois qu'à une organisation purement individualiste. Sous quelque étiquette que l'Etat se présente et fonctionne, il est funeste à l'activité humaine et dégradant : car il empêche l'individu de se développer dans son sens normal ; il fausse ou étouffe toutes les facultés. Je ne conçois pas qu'un artiste, c'est-à-dire l'homme libre par excellence, puisse chercher un autre idéal social que celui de l'anarchie.

Zola (Emile). - Je suis un évolutionniste et je ne crois au progrès que par le développement normal de l'humanité, à travers les milieux physiques et historiques qu'elle traverse. Les Révolutions ne sont que des crises qui peuvent hâter ou retarder la marche en avant. Mais les siècles n'en sont pas moins comptés pour le voyage des peuples vers le peuple unique.

dimanche 28 septembre 2008

Parution : Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux



SPiRitus nous informe de la parution du deuxième numéro du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux consacré à La Dame à la Faulx (Mercure de France, 1899).

Il recueille les comptes rendus du drame parus dans les petites revues de l'époque et une lettre inédite, signés : Victor Margueritte, Gustave Kahn, Edmond Pilon, Paul Adam, Catulle Mendès, Jean Héritier, Fernand Gregh, Henri Degron, André Gide, Jacques Copeau, Edouard de Max, Georges Eekhoud, etc. En frontispice, un dessin de Mary Piriou : "Saint-Pol-Roux dans la forêt des Ardennes en 1895".

Commandes : harcoland@gmail.com. ou télécharger la présentation et le bon de commande sur le groupe des Amis de Saint-Pol-Roux : http://groups.google.com/group/lesfeeriesinterieures/

samedi 27 septembre 2008

LES "TU M AS LU !" (suite) Ernest LA JEUNESSE dessinateur


Suite du billet consacré au numéro du 3 octobre 1901 de l'Assiette au Beurre, intitulé Les "Tumaslu !" Tu ne m'as pas regardé ?, par Ernest La Jeunesse.


La Jeunesse fut, comme Henri Bauer, critique dramatique, il n'atteignit pourtant jamais la notoriété et l'influence qui fut celle de Bauer, notamment à L'Echo de Paris. Avec André Ibels, La Jeunesse, avait déjà "chargé" le portrait du fils naturel d'Alexandre Dumas.

Tristan Bernard, Maurice Donnay, deux auteurs à succès, deux auteurs gais, deux amis. L'Homme qui rit, serait-il Donnay, qui à l'instar du héros de Victor Hugo, arborait un éternel sourire ? Un Mari pacifique, roman de Tristan Bernard, vient d'être publié par les éditions de La Revue Blanche.

Maurice Barrès, auteur du Culte du Moi et député.

Les frères Paul et Victor Margueritte.

Journaliste spécialiste des questions religieuses. Jean de Bonnefon s'il fut la terreur de Saint-Sulpice, ce fut surtout par les révélations d'anecdotes croustillantes sur les milieux catholiques et sur le Vatican dont il compose ses articles et recueils.

Encore un critique dramatique, ce que Jules Lemaître ne fut pas seulement, même si ses Impressions de Théâtre, se composent de dix volumes de 1888 à 1898. Normalien, critique littéraire, Lemaitre fut l'un des fondateurs de la Ligue de la patrie française.


LES "TU M AS LU !" Ernest LA JEUNESSE dessinateur 1ère partie.

Ernest La Jeunesse sur Livrenblog : Ernest La Jeunesse préface au Forçat honoraire, roman immoral. Ernest La Jeunesse : Le Roi Bombance de Marinetti. Ernest La Jeunesse célèbre Fanny Zaessinger. Ernest La Jeunesse par Léon Blum. Bibliographie. Ernest La Jeunesse - Oscar Wilde à Paris. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes 1ère partie. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes suite. L'Omnibus de Corinthe. Jossot. André Ibels. Faut-il lire Ernest La Jeunesse ? Ernest La Jeunesse pastiché par Victor Charbonnel dans La Critique. Ernest La Jeunesse : 22 dessins originaux.

LES "TU M AS LU !" Ernest LA JEUNESSE dessinateur



Livrenblog s'est déjà intéressé au romancier, chroniqueur et dessinateur Ernest Lajeunesse. Nous le retrouvons aujourd'hui dans ses oeuvres de dessinateur, pour le numéro du 3 octobre 1901 de l'Assiette au Beurre, intitulé Les "Tumaslu !" Tu ne m'as pas regardé ?.

Sur la couverture de ce numéro c'est Catulle Mendès qui plastronne avec pour unique légende : Le Soleil de Minuit, titre d'un de ses recueils de poèmes, souligne le déclin du parnassien flamboyant. En effet ce regard perdu, ces yeux cernés de fatigues et d'excès, ce crane chauve couronné de cheveux filasses ne rappellent en rien la beauté de Christ débauché, à la crinière de lion, qu'on lui reconnaissait dans sa jeunesse.

Maurice de Waleffe raconte qu'à la table de Mendès au café Napolitain, "résonnaient dès l'entrée les glapissements suraigus de la voix eunuquoïde d'Ernest La Jeunesse" [...] Grand diable hirsute, mal peigné, mal rasé, d'énormes bagues de pierres de couleur à tous mes doigts [...] Souvent dans cet entourage de Mendès on voyait apparaitre, derrière le torse de belluaire en chandail du beau Jean Richepin, la barbe de Silène de Raoul Ponchon, mais le plus fidèle au poste était Courteline, avec sa petite moustache ébouriffée sous un nez gouailleur de bistrot faubourien. " C'est notre Molière ! ", disait de lui gravement Mendès qui l'admirait." Courteline que La Jeunesse n'a pas manqué de croquer ici.

Si La Jeunesse voit dans les cafés la source des ennuis financiers de Courteline, Waleffe encore lui, a une explication moins cruelle à ces soucis : " Brave Courteline ! Il déguisait sous cette rondeur gouailleuse, outre les souffrances d'une santé compromise, celles, plus prosaïques, d'une gêne financière qui ne demandait rien aux succès faciles. Ses petits actes drôles, vifs comme la poudre, l'avaient rendu célèbre sans l'enrichir. Il les composait minutieusement, en écrivain qui garde la coquetterie de sa langue. Ses manuscrits laborieux; il lui arrivait de les recopier ensuite, non pour le plaisir, mais pour l'argent que lui en offraient les collectionneurs d'autographes."

Auteur de L'Enfant d'Austerlitz, de la Ruse et de la Force, romans de l'épopée Napoléonienne, c'est en habit vert, lui qui ne fut "même pas Académicien", qu'apparait Paul Adam. La Jeunesse est lui-même l'auteur d'une Imitation de notre-maître Napoléon, où il ne cache pas son admiration pour l'empereur.

Pierre Louÿs partageait quelques amis avec La Jeunesse, le premier de ceux-ci était Jean de Tinan. On connaît l'amitié de La Jeunesse pour l'Oscar Wilde vieillissant des derniers jours Parisiens, Louÿs fut des proches de Wilde lors de son premier séjour en France et participa à la mise au net de sa Salomé écrite en français. Comment ne pas faire allusion au plaisir à propos de Louÿs, dont la gloire vint par Aphrodite ?


Tire-Lyre, le jeux de mot n'est pas joli, mais souvent la critique déteste les écrivains qui réussissent. Les pièces de Rostand, ces vers où brille, faux diamant, le fameux esprit français, le "tapage médiatique" fait autour de l'homme et de l'oeuvre, ne pouvait provoquer que ce genre de rosseries.


Jean Lorrain, qui ne manquait pas d'humour, signait ses Pall-Mall semaine, Raitif de la Bretonne, la laconique légende du dessin n'en est que plus facile, et... vulgaire. Dans Les Ennuis, les nuits et les âmes de nos plus notoires contemporains, le portrait de Lorrain est plus nuancé (1)


A SUIVRE... : LES "TU M AS LU !" (suite) Ernest LA JEUNESSE dessinateur

Ernest La Jeunesse sur Livrenblog : Ernest La Jeunesse préface au Forçat honoraire, roman immoral. Ernest La Jeunesse : Le Roi Bombance de Marinetti. Ernest La Jeunesse célèbre Fanny Zaessinger. Ernest La Jeunesse par Léon Blum. Bibliographie. Ernest La Jeunesse - Oscar Wilde à Paris. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes 1ère partie. Ernest La Jeunesse - La Foire aux croutes suite. L'Omnibus de Corinthe. Jossot. André Ibels. Faut-il lire Ernest La Jeunesse ? Ernest La Jeunesse pastiché par Victor Charbonnel dans La Critique. Ernest La Jeunesse : 22 dessins originaux.



(1) Voir : Jean Lorrain vu par Ernest La Jeunesse sur le site de Christine Serin.

jeudi 25 septembre 2008

CATALOGUE D'AUTOGRAPHES


Malgré la vente en ligne, des libraires d'anciens éditent encore des catalogues et des listes de livres à prix marqués, William Théry, est de ceux-là.
Sa dernière liste est consacrée à Georges Courteline & ses amis, on y trouve des lettres adressées à Courteline (Catulle Mendès, Léon Dierx, Félicien Champsaur, Jean Ajalbert, André Antoine, Franc-Nohain, Firmin Gémier, Steinlen, Marcel Schwob, Saint-Georges de Bouhélier, Willette, Willy, etc. 188 numéros), des lettres de Courteline (notamment à Romain Coolus. 7 numéros), ainsi que des lettres à Jules Moinaux (Edouard Detaille, Paul Féval, Eugène Labiche, Alfred Stevens, etc. 12 numéros) et de quelques livres de l'auteur de Boubouroche.
Joint à cette première liste, une seconde d'autographes, livres, photographies, dessins & vieux papiers, dont le numéro 34 a particulièrement attiré notre attention, il s'agit d'un dossier Laurent Tailhade et Emile Métrot comprenant 4 documents (copie de lettres de Tailhade par Métrot, minutes des réponses de Métrot) à propos de la collaboration des deux hommes pour une série d'articles, les Lettres de Don Quichotte à Sancho Pança, parus dans le journal la Presse en 1898. Qu'il suffise de dire que leur collaboration finira si mal qu'il fut même question d'un duel.

Contact : William Théry 1bis, place du Donjon 28800 Alluyes. Tél. : 02 37 47 35 63 williamthery[at]wanadoo.fr

Lucien JEAN et l'art pour tous



Lucien Jean Notes.
Panem et Artes. - On a fait broder, sur une belle bannière, une phrase de Mirbeau : « Nous avons droit à la beauté »; une de Heine : « Le peuple à droit à des roses » ; une de Ruskin : « Il faut une religion de la beauté. » Et l'on va vers le peuple.
Evidemment c'est très bien. J'aime le peuple, j'aime les belles bannières et les belles phrases. Si quelques hommes du peuple apprennent qu'il y a des livres plus intéressants que les feuilletons, c'est très bien. S'ils apprennent qu'il y a des photographies de chefs-d'oeuvres moins chères que les almanachs, des moulages moins chers que les horreurs coloriées, c'est très bien. Mais...
Pour des raisons qui sont dans mon sang, je préférerai ce maçon, ce cocher, ce petit marchand, ce sergent de ville, aux quatre riches que voici. Mais ma raison ne me permet pas, malgré mon coeur, son sang et ses raisons, de croire que les premiers aient plus de vertus que les seconds.

Après l'homme naturellement bon, il fallait bien inventer l'homme naturellement esthète. Et l'on nous dit que l'homme inculte est plus vibrant devant le chef-d'oeuvre, moins embarrassé par des idées critiques. Oui, mais sa beauté ne sera pas la vôtre. On n'admire que ce que l'on comprend. Ne dites pas, avec M. Péladan, que les nymphes de Jean Goujon n'ont rien à voir avec l'imprimerie, car, peut-être, beaucoup d'hommes incultes trouveraient-ils plus belles les nymphes des salons modernes. Il se peut que les hommes incultes soient capables d'une admiration plus forte, mais rien ne la garantit plus judicieuse.

Interrogez un de ces primaires (c'est ainsi que vous les nommez) qui se sont développés. Choisissez-le grave, réfléchi, hésitant au besoin, et non de ces bavards qui ont tout vu, tout compris. Demandez-lui ce qu'il pense de tout cela, s'il regrette sa dure peine, et s'il pense qu'il faille prendre les hommes par la main pour qu'ils gravissent la montagne ?

Une religion de la beauté ? Ah ! Que les hérésies seront belles !

Cette nouvelle Note de Lucien Jean prouve que l'on peut être un écrivain du peuple sans tomber dans la naïveté et l'angélisme.

Sur Lucien Jean, voir : Lucien Jean (20 mai 1870 – 1er juin 1908) Parmi les Hommes, Lucien Jean - Catulle Mendès.

Sur Gidiana.net : L'Immoraliste par Lucien Jean.

Illustrations : Jean Goujon.

mercredi 24 septembre 2008

Le Chapeau de WILLY par Georges LECOMTE


On trouve dans le numéro 98 du 15 mai 1893 de la revue La Plume, un article signé de Georges Lecomte sur le célèbre chapeau à bords plats de Willy.




LE CHAPEAU DE WILLY


Ce chapeau est une de nos personnalités parisiennes les plus en vues ; Les soirs de première représentation ou pendant les minutes qui précèdent un concert, les intéressés qui veulent savoir si Willy est présent et désespèrent de le découvrir dans la foule entassée et grouillante, parcourent les couloirs, interrogent de l'oeil les vestiaires, afin d'y découvrir le phénoménal chapeau : Peut-être que Willy, qui ne rêve que plaies et bosses mais les redoute pour son couvre-chef et a besoin de ses deux mains (qu'il regrette de ne pas posséder plus nombreuses) tantôt pour applaudir, tantôt pour diriger les stridences de son sifflet, s'en est-il débarrassé entre les mains des ouvreuses ? Dans ce cas, il pend à une patère, colossal, velu, luisant, très haut sur ses larges bords plats. Quelle carrure il vous a ce chapeau ! C'est pour les uns une provocation, un réconfort pour les autres. Les éphèbes qu'une toute récente rhétorique a frottés de littérature et qui palpitent au simple « frôlé » des gens de lettres, sortent pendant les entr'actes pour contempler, toucher et lisser ce chapeau : Quelle gloire de pouvoir ainsi remplacer le traditionnel bichon des émules de M. Gibus par les mains caressantes de tout le printemps littéraire. Willy mettrait-il ingénieusement en pratique les profonds aperçus du chapelier Balzacien, qui savait si parfaitement associer l'aspect d'un couvre-chef au caractère de la figure et, au lieu de soumettre ses clients aux lois banales d'une mode unique, assouplissait cette mode à la physionomie de chacun et ne coiffait point Housteau comme Bixiou, Marsay comme Rastignac. Chez Willy cette intellectualité sous la coiffure nous semble plus instinctive que voulue : simple coquetterie d'élégant très personnel qui sait aussi agrémenter sa boutonnière de tout un arc-en-ciel de décorations exotiques pour rehausser son teint du voisinage de quelques bouches colorées.


GEORGES LECOMTE.



Georges Lecomte, dès vingt ans fut directeur de la revue La Cravache de 1888 à 1889, il débuta au théâtre en 1891 avec deux pièces représentées au Théâtre libre : La Meule et Les Mirages. Romancier (Les Hannetons de Paris, Les Cartons verts) et journaliste, il est aussi l'auteur d'essais historiques et d'ouvrages de critique d'art, notamment sur l'impressionnisme. Il fut directeur de l'école Estienne et président de la Société des gens de lettres. Entré à l'Académie française en 1926 il en deviendra le secrétaire perpétuel en 1946. On peut lire ses souvenirs dans Ma traversée, publié en 1949 chez Robert Laffont.


Willy sur Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy. Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux. Quand ils se battent : Willy et Julien Leclercq. Willy préface pour Solenière par Claudine. Léo Trézenik et son journal Lutèce. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. En Bombe avec Willy. Maîtresse d'Esthètes par Papyrus. Quand les Violons sont partis d'Edouard Dubus par Willy. Le Jardin Fleuri. R. de Seyssau par Henry Gauthier-Villars. Willy fait de la publicité.

George Lecomte, biographie littéraire par Rodolphe Darzens.

BARBEY D'AUREVILLY - GOURMONT et le Mercure de France

VIENT DE PARAITRE



POUR LES AMATEURS DE REMY DE GOURMONT, DE BARBEY D’AUREVILLY ET LES RAFFINÉS



Le Connétable, le Régent & son Ombre. Barbey d'Aurevilly vu par Remy de Gourmont, Jean de Gourmont et le Mercure de France, textes choisis et présentés par Christian Buat, Éditions du Frisson Esthétique.

16 euros port compris pour la France, au lieu de 20 (17 pour l'Union européenne et la Suisse), (chèque à l’ordre des Éditions du Frisson Esthétique et adressé à : Christian Buat / Les Amateurs de Remy de Gourmont, 11 rue Eugénie, 50580 PORT-BAIL)

- offre valable jusqu’à la parution prévue le 30 septembre 2008 - contact : siteremydegourmont@orange.fr & 06 88 74 65 95 - n’oubliez pas de préciser votre adresse postale et, le cas échéant, votre courriel ou votre téléphone

Source : http://www.remydegourmont.org/


mardi 23 septembre 2008

Lucien JEAN - Catulle Mendès


Comme promis je poursuis la publication de quelques Notes de Lucien Jean.
Celle-ci est consacré à Catulle Mendès, poète parnassien, romancier, dramaturge, librettiste, chroniqueur, fondateur et directeur de revues et journaux (La Revue Fantaisiste, La République des Lettres, La Vie populaire, Gil Blas, L’Écho de Paris, Le Journal). Mendès est généralement peu apprécié de la jeune génération, qui lui reproche ces romans légers, ses nouvelles grivoises, sa facilité à démarquer les poètes de son temps. Mendès fit parti de « ceux-là [qui] ne sont bientôt plus qu'un tas de cendre, et [que] le vent éparpilles » sitôt tombés. La position de Mendès dans la presse, ses chroniques et sa critique, son entregent, ses relations, son mariage avec Judith Gautier, sa liaison avec Augusta Holmès, faisait de lui un personnage important, le type même de « l'écrivain célèbre ». Comme nombre de ses contemporains, Lucien Jean lui reproche une réussite qui laissera dans l'obscurité ceux de la génération du Parnasse les plus talentueux, Mallarmé et Verlaine.
Aujourd'hui l'apport de Mendès est enfin réévalué, son oeuvre en partie rééditée, je conseille pour ma part la lecture de Méphistophéla, Les Oiseaux Bleus (Préface de Jean de Palacio, Séguier, Bibliothèque Décadente, 1993), La Maison de la Vieille (édition, préface et notes de J.-J. Lefrère, Michaël Pakenham, J.-D. Wagner, Champ Vallon, Collection Dix-neuvième, 2000), Zo'Har (Préface Michel Friang, Editions Palimpseste, collection Singuliers, 2005), Le Chercheur de tares (dans l'indispensable Romans fin-de-siècle, édition établie par Guy Ducrey, R. Laffont, Bouquins, 1999), Gog (1896), La Première Maîtresse (1894), et enfin Le Roi vierge (1881).


Lucien Jean, Notes.

Apologue pour M. Mendès – Il y a une forêt toute pleine de mystère et d'angoisse, d'horreur et de beauté. Il y a un chemin rude qui traverse la forêt et qui s 'appelle l'Art, et tout au long du chemin, éternellement, des hommes cheminent. Les uns partent, s'enfoncent à droite, à gauche, dans la forêt. Il faut croire que c'est pénible, car il arrive qu'ils n'en ressortent pas : mais s'ils en reviennent, c'est avec des branches lourdes, des belles fleurs et des fruits. Lorsqu'ils tombent (on ne va jamais jusqu'au bout), leur récolte reste sur le chemin et ne se flétrit pas. D'autres vont droit devant eux, avec ponctualité, avec force, d'un pas lourd et assuré, comme des brutes. Parfois, lorsqu'ils s'arrêtent, ils regardent le chemin parcouru avec des yeux stupides. Durant leur lent effort, ils se sont comme imprégnés des odeurs de la forêt, et cela suffit souvent pour les préserver de la pourriture mortuaire.
D'autres, enfin, dansent le long de la route. Ils sont si souples et si légers qu'ils ont l'air de cueillir des rameaux au passage. Ils n'ignorent pas, ceux-là, qu'il existe une forêt et ses mystères. Mais quoi, toutes ces branchettes qu'ils abattent, n'est-ce pas cela la forêt ? A-t-on besoin de tant peiner pour du bois et des feuilles et de s'enfoncer dans les taillis, puisqu'il n'y a qu'à cueillir au bord, tout au bord ?... Lorsqu'ils tombent, ceux-là, ils ne sont bientôt plus qu'un tas de cendre, et le vent les éparpilles. Préférons-leur les brutes.
Monsieur Catulle Mendès, acceptez la dédicace de cette fable ; elle est un peu forcée, et pas très nouvelle, mais vous la comprendrez ; car vous êtes renseigné sur tout et sur vous même, quoi que vous en disiez, et c'est votre peine. N'est-ce pas, malgré les airs bravaches et juvéniles, il y a des matins de lassitude où l'ange se lève devant nous et nous présente notre image. Et c'est triste ! Mais on vient chez vous, et l'on vous interviewe, car vous êtes un écrivain célèbre. Alors vous prenez une attitude de vieil ouvrier de lettres. Vous dites : « J'ai écrit ces livres, et ceux-ci, et ceux-ci. J'en suis fier. Ceux qui me dénigrent sont des envieux qui jugent les hommes autour d'une table de café. Ils s'attaquent toujours aux génies évidents, par exemple à mon ami Rostand. Ils ont exalté Mallarmé..., ils ont surfait Verlaine, qui n'était qu'un bon poète de second ordre..., ils n'ont rien lu de moi..., ceux qui me lisent sont les gens du peuple, etc. »
Tout cela, c'est des bêtises, et vous le savez. Vous savez que beaucoup d'hommes, aujourd'hui, même parmi les écrivains, lisent les livres (même les vôtres) et les jugent sous la lampe, avant d'en parler au café. Ils disent que ceux-là sont de grands poètes chez qui ils ont trouvé un peu de ce que nous cherchons tous. Ils honorent la grandeur et la beauté, même chez les hommes célèbres, lorsqu'ils se nomment Hugo, Vigny ou Leconte de Lisle, même chez les hommes vivants, lorsqu'ils se nomment Claudel ou Elémir Bourges.
Nous avons honoré Mallarmé et Verlaine, deux poètes de votre génération : l'un écrivit de beaux vers parmi les plus beaux ; l'autre, avec une ferveur de primitif adroit, exprima des sentiments profonds. Il est singulier que vous nous reprochiez d'élire des artistes à demi obscurs, alors que vous devriez rougir d'avoir laissé dans l'obscurité les plus purs d'entre vous.



Catulle Mendès dans Livrenblog : La Brasserie : Léon Bloy par Catulle Mendès et un peu partout, tant il est impossible de parler de cette période littéraire sans citer son nom.

Sur Lucien Jean, voir : Lucien Jean (20 mai 1870 – 1er juin 1908) Parmi les Hommes, Lucien Jean et l'art pour tous

L'Oeil Bleu N° 7. Tellier Retté Jarry Le Rouge



L'Oeil Bleu N° 7, vient de sortir.

L'incomparable revue de Nicolas Leroux continue son exploration d'une littérature qui nous est chère, celle tout d'abord des poètes fin de siècle avec un article d'Henri Bordillon sur Jules Tellier, poète saturnien, ce Havrais si doué à la santé fragile, ami de Verlaine, Jules Lemaître et professeur de Gustave Le Rouge au lycée de Cherbourg. La présentation de l'auteur de Nos Poètes est suivie d'un article sur Verlaine publié par Tellier dans le Parti National du 9 octobre 1887, et d'un choix de poèmes. En 1894 commence les grandes rafles d'anarchistes, Adolphe Retté, poète, collaborateur de La Plume, rallié à l'anarchie avant de se convertir au catholicisme le plus intransigeant, fit partie des "raflés" de la première heure, l'article de Nicolas Leroux démontre que la préfecture de police et les juges ont tendance à confondre dans leurs arrestations droits communs et politiques, cambrioleurs et "intellectuels", propagandistes et voleurs de volailles. Il ressort de cet article que si Retté fut alors arrêté ce fut plus pour son intempérance et ses noctambulismes que pour se convictions anarchistes. Henri Bordillon, responsable, entre autre travaux sur Jarry, de la publication des tomes 2 et 3 de l'intégrale Jarry dans la collection La Pléiade, publie ici trois lettres inédites de l'auteur d'Ubu Roi, à Emile Straus, Rachilde et Victor Lemasle. A propos de la réédition du roman martien de Gustave Le Rouge, Le Prisonnier de la planète Mars et La Guerre des vampires aux Editions Terre de Brume, le même Henri Bordillon souligne les erreurs figurant dans la présentation anonyme de ce volume et en profite pour faire le point sur les différentes éditions de ce romans et leurs dates de publications. Une bibliographie de La Revue Anarchiste (1893) termine ce numéro.

L'Oeil Bleu sera présent au 18e Salon de la Revue les 11 & 12 octobre 2008, espace d'animation des Blanc-Manteaux 48, rue Vieille-du-Temple, Paris 4e.

Pour commander : L'Oeil bleu. 59, rue de la Chine. 75020 Paris. 12 euros le numéro, Associationoeilbleu[AT]yahoo.fr.

Adolphe Retté frontispice à L'Archipel en fleur

L'Oeil Bleu, N°9

L'Oeil Bleu N° 8.

L'Oeil Bleu N° 7. Tellier Retté Jarry Le Rouge

L'Oeil Bleu N° 6 - L'Abbaye de Créteil - Gustave Le Rouge - Verlaine...

L'Oeil Bleu N° 5

jeudi 18 septembre 2008

Maurice de WALEFFE - Les ambitions de Francis de CROISSET


Maurice de Waleffe quitte Bruxelles pour Paris en 1897, à sa descente du train l'attend son camarade Francis de Croisset arrivé quinze jours plus tôt, tout les deux viennent de publier leurs premiers vers dans la Jeune Belgique. Croisset n'a pas perdu son temps, lors de ses premiers jours à Paris, il a obtenu d'Octave Mirbeau une préface pour son premier livre, Les Nuits de quinze ans. De cette préface, il fut déjà question dans Livrenblog, Waleffe nous apprend comment fut obtenue par le jeune ambitieux, cette préface.


Maurice de WALEFFE : Quand Paris était un paradis. Mémoires 1900-1939. Denoël, 1947.
Mais déjà, par-dessus la foule de la gare, je le voyais agiter une main impérieuse gantée de suède jaune clair : « Tu as fait bon voyage ? Bravo ! Laisse tes bagages à la consigne ! Tu les feras prendre par le concierge de l'hôtel où je t'ai retenue une chambre, cité du Retiro, près de la Madeleine, pension complète neuf francs par jour, ça va ? Ce soir je t'emmène dîner à côté, dans une amusante taverne où nous allons causer ! J'en ai des choses à te conter ! En deux semaines je n'ai pas perdu mon temps. Ainsi, pour mon premier volume de vers, tiens-toi bien ! J'aurais une préface d'Octave Mirbeau !
- Mirbeau ? C'est magnifique, tu l'as vu ?
- Pas encore, mais j'aurai une lettre pour lui, une lettre de Clemenceau, à qui, depuis l'affaire Dreyfus, Mirbeau n'a rien à refuser.
- Clemenceau, tu l'as vu ?
- Pas encore, mais il a un frère lié avec le mari de ma soeur qui, tu le sais, est médecin ici. Bref, j'aurai une lettre très chaude pour Mirbeau, Clemenceau doit me la remettre demain à l'Aurore, où il nous attend à minuit. Tu viens avec moi, je te présenterai !
- A minuit ? J'avais lu que Paris appartient à ceux qui se lèvent tôt ?
- Erreur ! À ceux qui se couchent tard ! Se lever tôt est un luxe d'écrivain parvenu, qui travaille à ses heures, à son aise, en robe de chambre. Nous deux, il nous faudra courir après l'omnibus, mais je me sens des ailes aux talons ! La préface de Mirbeau me vaudra un article dans Le Figaro. Dans Le Journal, j'en aurai un autre de Catulle Mendès... Celui-là je l'ai vu. Je suis allé le trouver pour lui proposer carrément une conférence sur ses oeuvres ! Je m'étais appuyé leur lecture complète. Je les lui ai récitées par coeur. C'est lui qui m'a remercié.
- Je n'apprécie pas absolument ses vers. C'est adroit, mais trop livresque, trop fabriqué.
- C'est possible ! Mais l'homme est brûlant d'intelligence, serviable, enthousiaste, charmant. Il soupe tous les soirs après le théâtre au café Américain. Je te présenterai.
- Décidément, on se couchera tard ?
- On ne se couchera plus, mon vieux ! Ah ! Quelle ville ! Et comme je la sens ! La vie vous coule dans les veines comme un vin chaud.
- Moi qui demain espérais courir avec toi les musées, le Louvre, Notre-Dame...
- Penses-tu ? Notre-Dame, j'irais le jour où je me ferai baptiser par l'Archevêque de Paris !
- Baptiser !
- Parbleu ! Tu es chrétien ! Moi, il me faut le devenir ! D'abord je t'avertis que je ne m'appelle plus Wiener. D'ici dix ans (puisqu'il faut dix ans pour être naturalisé) j'aurais rendu le nom de Croisset assez connu pour que l'état civile ne puisse me le refuser.
- Mais Croisset n'est-il pas déjà, à une lettre près, le nom d'un professeur de grec, membre de l'Institut ?
- Croiset et Croisset, ça fait deux. Je ne sais pas le grec, je ne compte donc pas lui faire concurrence ! Je prends le nom du village d'où Gustave Flaubert datait les volumes de sa correspondance. Si Flaubert vivait encore, je ferais le voyage pour aller lui demander cette investiture. Il ne me la refuserait pas : c'est un hommage !
- En somme, tu agis comme ses affranchis de l'Empire romain qui adoptaient le nom de leur patron ? Mais pourquoi ne pas garder le tien, tout simplement ? La famille Wiener est très honorable.
- En Belgique ! Mais je vivrai pas en Belgique, mon vieux. Je ne veux me marier dans l'aristocratie française, où ma future femme, quelle qu'elle soit, ferait la grimace à l'idée de s 'appeler Mme Wiener ! Madame de Croisset sonnera mieux.
- Noblesse de plume !
- Elle en vaut une autre ! Surtout quand je graverai sur mes cartes de visite : de l'Académie française.
- Tu vois les choses de loin !

Fait ont plus arriviste ?
Francis de Croisset ne sera pas de l'Académie, il obtiendra 8 voix en 1930 contre 20 à Le Goffic, et 8 encore en 1932 contre 20 à Abel Bonnard.

Les mémoires de Maurice de Waleffe sont à ajoutés à nos listes de livres de souvenirs. I - II

Emile HENRY - Gustave KAHN et l'anarchisme



Émile HENRY (1872-1894) fut arrêté le 12 février 1894, il vient de jeter une bombe au café Terminus de la Gare Saint-Lazare. Le 27 avril 1894 il est condamné à mort par la cour d'assises de la Seine. C'est récemment, en 1891, qu'Émile Henry commence à fréquenter les milieux anarchistes. Contrairement à Vaillant, Henry n'est pas un prolétaire, c'est un intellectuel, il a collaboré à L'En Dehors de Zo d'Axa, bon élève, il est titulaire d'un bac ès sciences. Suite à la répression de la grande grève des mineurs de Carmaux (1892), il se tourne vers la propagande par le fait, il revendiquera la pose de la bombe dans l'immeuble de la Société des mines de Carmaux (8 novembre 1892), bombe qui, transportée au commissariat de la rue des Bons-Enfants, explosera, causant la mort de cinq personnes. Sage et modéré, Gustave Kahn, toujours dans la revue La Société Nouvelle, revient dans son article sur l'origine bourgeoise d'Henry, constatant que l'"Idée" s'étend dans les couches sociales et au delà des castes religieuses. Comme dans son article sur Vaillant, Kahn condamne les actes de violences, il compare l'acte d'Henry aux "crimes politiques" de la commune dont la répression fut si néfaste, il appelle les réformateurs à créer en France un "système de vie meilleure", à soigner plutôt que de punir.

EMILE HENRY
par
Gustave KAHN


Émile Henry a été condamné, comme Vaillant ; il n'en pouvait guère être autrement, les choses ayant peu changé d'allures depuis janvier ; aussi, en ces procès, le verdict n'a aucune valeur d'imprévu ; les assistants et aussi l'accusé le savent parfaitement ; l'accusé le sait, en a l'irréfutable conscience au moment où il encourt la sanction de son acte, au moment où il se prépare à son acte ; et notre assurance qu'ils eurent cette certitude n'est pas faite pour nous empêcher de croire à leur courage.
La bombe de Vaillant était pour ainsi dire théorique ; épouvantail plus qu'engin de destruction, devant faire apercevoir aux parlementaires l'existence des couches nouvelles, travaillées de besoins, travaillées de l'idée de justice. C'était une forme nouvelle de régicide ; cette bombe réussit surtout à former cette majorité compacte qui règne aujourd'hui au Parlement français et qui jette par-dessus bord si allégrement toutes les libertés si douloureusement acquises.
L'acte d'Émile Henry a une autre portée ; c'est un acte de guerre de caste ; c'est le quatrième État qui emploie les moyens violents, et avec la sauvagerie égale à la répression, en cruauté ; on ne sait d'ailleurs rien de plus sanguinaire que la guerre civile, de quelques moyens qu'elle se serve pour lutter.
On a dit bien des choses d'Émile Henry, qu'il était cambrioleur, etc. ; tout cela n'a guère de sérieux ; on peut même dire que la graphologie vient faire, dans ces accusations, singulière figure. Ce fait même d'invoquer sérieusement, pour impliquer leur homme dans une mauvaise affaire de plus, une science, du moins un embryon de science mal né, mal défini et qui n'a guère servi qu'à des divertissements entre plaisantins pince-sans-rire, enlève à la contenance ordinaire que doit avoir un justicier quelque peu de sa majesté ; on alléguerait, il est vrai, que depuis longtemps on consulte utilement des experts en écriture. On répondrait que, outre que leur utilité n'a jamais été admise par le consentement universel, ces savant s'escriment, la plupart du temps, dans des questions commerciales, sur des livres ou lettres de provenance sûre, et qu'ils n'ont pas besoin d'un très grand flair pour établir les participations à des affaires véreuses ; puis la certitude morale qu'ils se font d 'après les débats, ou les renseignements qu'on leur donne, les aide puissamment à se faire une opinion. Ici il s'agit vraiment de choses très en l'air. Expliquer pédantesquement des probabilités n'a jamais été leur communiquer un caractère d'authenticité ; donc, malgré les bruits les mieux accrédités, nous n'attacherons aucune espèce de sérieux aux accusations que l'on multiplie autour de l'anarchiste que l'on tient. Émile Henry n'a, sûrement, sur la conscience que l'affaire du Terminus.
Ce qui devrait faire réfléchir les hommes de gouvernement, c'est ce que ce jeune homme (ils l'ont constaté uniquement pour s'en étonner un peu naïvement) n'est pas un malheureux, un sans-le-sous, un prolétaire ; c'est un homme de la petite bourgeoisie, presque un capitaliste.
Il serait, à ce point, curieux de rechercher combien peu, parmi les protagonistes des théories socialistes et anarchistes, naquirent dépourvus, et n'eurent pas, grâce à des efforts ataviques, part au capital. Ce fut sans doute, au contraire, leur connaissance des allures intrinsèques et fatales de la société capitaliste qui incitèrent des Lassalle et des Karl Marx à tenter de la détruire. Ce furent des Sémites qui portèrent les premiers coups aux veaux d'or de leurs pères, si généreusement admis par la société actuelle qui en bénéficie, sauf aux moments où elle aimerait les dépouiller, et ceci, non pas pour le bien général de la collectivité, mais pour les aises plus grandes d'une petite partie du plus grand nombre, qui ne se trouve pas rentée à sa guise. A la suite de Lassalle et de Marx, bien d'autres israélites, étant issus de familles capitales, en un sens capitalistes, choyèrent comme leur plus doux rêve la destruction de cette ploutocratie au front de taureau, suivant l'expression de Baudelaire. Il serait injuste de réserver à la caste peu nombreuse de l'élite juive ces sentiments de réforme et ces rêves de générosité de tous, d'un jubilé formidable de la terre. Les croyants à ce but humanitaire ont oublié ensemble toutes les communautés religieuses dont notre belle Europe se pare.
Les abus étant les mêmes pour tous, un fils de piétiste de l'Allemagne du Nord, un descendant des catholiques du Midi, peut se faire les mêmes réflexions et se plaindre que le corps social soit bâti à l'instar d'un d'un corps malade, et évoque le souvenir de cet Hannon de Salammbô, gros, cruel et pustuleux, chez qui la circulation du sang est arrêtée par de nombreuses tumeurs extérieures et intérieures. Les tumeurs de notre corps social sont les trop grosses fortunes et les compagnies tyranniques.
Les parasites en sont évidemment ces financiers, dont toutes les opérations, (si elles n'étaient couvertes par leur patente, qui est une immunité achetée), considérées isolément, n'auraient d'autres fins que d'emplir de ces autorités de la hausse et de la baisse quelques salubres pénitenciers. S'en apercevoir et s'en indigner est le propre des jeunes bourgeois généreux.
Si Émile Henry était né plus tôt, sa culture intellectuelle et son genre d'esprit l'eussent amené à être un théoricien des nouvelles doctrines, à rêver, lui aussi, une panacée pour la misère du monde ; mais quand il vint à la vie libre, une fois démailloté des langes de l'école, il s'aperçut que les meilleurs programme de vertu collective et d'émancipation de l'ilote moderne chômaient depuis des années, n'ayant même plus pour les oreilles dirigeantes ce charme léger, ou cet étonnement de la nouveauté qui fait qu'au moins elles se détournent et écoutent un moment, pour retomber très vite sur le mol oreiller du scepticisme. Émile Henry, convaincu que l'heure était aux agissants, agit et c'est à regretter, car peut-être son parti se fût-il enrichi d'un esprit net, cultivé, avisé, et qui eût pu fructueusement répandre par la parole des doctrines nobles et libres, au moins de généreuses utopies.
Ce n'est pas, à mon sens, un tout pour le tout qu'il a joué ; il n'a pas agi de dépit, de ne pouvoir se faire une place parmi ceux qui jouissent des biens de la terre ; il ne paraît pas avoir désiré les plaisirs sans excessivité de la classe bourgeoise pour son propre compte ; la destruction de ces félicités lui importait beaucoup plus que la part qu'il eût pu y prendre. C'est évidemment un homme, un homme qui a réfléchi, peut-être trop vite, mais qui a jugé son temps, en en voyant se dérouler devant lui peu d'années.
Il serait à désirer, devant cet exemple qui montre que les partis de revendications ont de profondes racines, que bientôt le quatrième État aura tous les concours des jeunes adeptes de la science comme les insurgés de 1830 avaient le concours des polytechniciens du temps, que le gouvernement renonçât aux répressions inutiles et s'occupât de calmer le mal social, selon son devoir comme médecin, et non autrement... mettons ! En chirurgien.
Quand les détenteurs et les chefs de grandes compagnies se trouveront seuls, ayant en face d'eux tout ce qui tient une plume, tous les savants et tout le populaire, ils tomberont. Leur résistance aveugle et sourde, acharnée, aura exaspéré tant de maux, que la révolution sociale sera violente et détruira des instruments de travail intellectuels et matériels. Au lieu de s'armer de lois répressives, il serait juste et habile de mettre à l'étude des lois qui permettraient et obligeraient que les pauvres fussent nourris par les communes, que le pain soit pour tout le monde, qu'il y eût un impôt pour les misérables, comme il y en a tant d'autres. Quelle gloire et quelle popularité recueillerait le pouvoir qui, au lieu de se considérer comme un gendarme, voudrait être un prévoyant et commencer à fonder en France un système de vie meilleure, que l'étouffant et provocateur état de malaise qui règne ici. Nous savons fort bien que l'État ne peut d'un trait de plume modifier les choses, qu'il faut du temps, de la sagesse, qu'il faut beaucoup de temps pour persuader ses plus fermes colonnes de la nécessité de se départir en partie de leur raideur ; mais au moins, en commençant quelque réforme, en étudiant quelque grand plan de soulagement de la pauvreté et du meilleur partage des biens, on ferait quelque chose d'utile : on empêcherait que des malheureux tuent et soient tués, car enfin, le devoir de l'État n'est pas de punir, mais de prévoir.
Il est à espérer que le pouvoir n'assumera pas l'odieux qu'il y aurait à tuer un homme aussi jeune qu'Émile Henry (1). La barbarie serait grande : sans vouloir nullement agiter que ce jeune homme soit inconscient, ou trop jeune pour s'être déterminé, ou tout autre chose de ce genre, je rappellerai seulement que les adversaires de la peine de mort objectent aux exécutions demeurant des plus vieilles barbaries, que la société abuse de son droit, quand, corps constitué, elle tue un isolé ; or, le cas d'Henry n'est pas un crime de droit commun pour lesquels tous les bons esprits sont unanimes à réprouver la peine de mort, c'est un crime politique comme ceux de la Commune, et vraiment y a-t-il en France beaucoup d'intelligents qui ne regrettent la répression de la Commune, la terrible et sauvage répression.
Les derniers incidents de la Chambre ne font malheureusement pas prévoir une étincelle d'intelligence de ces temps difficiles, chez ceux qui détiennent le pouvoir. La Chambre, à propos d'un député socialiste, M. Toussaint, exerçant dans une grève un rôle pacificateur, et s'étant pris de paroles, ce faisant, avec des gendarmes, a tenu à supprimer au détriment de M. Toussaint l'immunité parlementaire. C'est d'un assez grave exemple, et de gens bien sûrs de leur aujourd'hui, si on ne peut pas (eux non plus) causer sérieusement de leur demain. Il s'est formé, pour repousser la théorie de M. Casimir Périer, soit : qu'il est bon de donner tous les droits à la justice, envers qui que ce soit, et particulièrement lorsqu'il s'agit d'un député socialiste, une minorité de plus de deux cents voix. Il serait à souhaiter que cette minorité, qui n'est pas très cohérente, puisque s'y sont alliés socialistes et radicaux, se retrouve très unie, chaque fois que la quasi dictature du centre menacera les libertés acquises.
Leur union sur ce point principal amènerait sans doute la désagrégation de la majorité, car il n'est pas de majorité fidèle, et celle-ci, quoique peu clairvoyante, finira sans doute par s'apercevoir qu'elle ne travaille pas précisément pour défendre les idées que le suffrage lui a confiées. Les parlementaires n'invente rien, n'apportent pas de remède aux maladies du corps social, au moins doivent-ils, s'ils ne peuvent ajouter des conquêtes nouvelles à nos libertés, défendre soigneusement les anciennes acquises qui sont fort en péril.

Gustave KAHN



(1) L'exécution a eu lieu : que peuvent comprendre ces autoritaires aussi imprévus qu'habiles.



mercredi 17 septembre 2008

Auguste VAILLANT (suite) - Gustave KAHN et l'anarchisme

Première partie.


Auguste VAILLANT


par

Gustave KAHN (suite)


IV



Dans tous les cas, qu'on ne s'y trompe, qu'on ne veuille pas s'y tromper, les temps sont finis de promettre et de ne pas tenir.
J'ai entendu développer assez généralement cette assertion que Me Labori avait eu tort de récuser M. de Rothschild. Celui-ci disait-on, n'eût pas voulu, n'eût pas pu condamner à mort, et sa puissance eût fait graviter vers lui l'opinion des onze autres jurés. Je me rangerais volontiers à cet avis et que signifie-t-il chez ceux qui le partagent, c'est qu'ils connaissent les responsabilités terribles qu'a amassées sur lui-même le capital et qu'elles savent que M. de Rothschild en est un des plus formidable représentants. Aux yeux de ceux qui pensent que la défense a là commis une erreur au détriment de son client, le capital, n'étant plus la machine à tout broyer, mais s'incarnant en un homme , eût été clément. Il eût craint, dans le meilleur sens du mot, d'accumuler des haines encore, contre ce qui en est si justement l'objet, car si dans les âmes basses le capital ne crée que des convoitises, dans d'autres il soulève, au spectacle de ses abus, haine et mépris. Et nul, autant que le puissant financier, n'eût été autorisé à savoir qu'on peut vouloir y toucher et détruire son règne sans être bien coupable, moralement. Puis c'eût été vraiment un spectacle antithétique et dramatique qu'ils fussent en face tous deux, en leurs positions assignées, le chef de maisons de banque et le pauvre diable exaspéré à force d'être exhérédé.
Car, encore une fois, Vaillant n'est pas un criminel de droit commun, il n'est pas l'ambitieux et le rhéteur que la presse y a voulu voir ; c'est un pauvre hère qui en a eu assez, que le sentiment de sa faiblesse etde sa misère a poussé à l'acte antisocial. Je n'ai pas l'intention de dire qu'il fit bien, mais je ne le considérerai jamais comme un assassin. Sa tentative a visé le Parlement. Le Parlement en a été indigné, et ceux qui par devoir ou subvention soutiennent le parlementarisme, et ceux-ci plus encore que les parlementaires, au moins ceux dont les noms se trouvent publiés sous le recours en grâce ; il a été dit ailleurs et bien que l'exaspération générale des conservateurs et des républicains de diverses nuances n'était pas aussi générale ni aussi successive que l'on avait bien voulu le dire. Du blâme, oui, de la fureur non pas.
Or, puisque la question se pose si pressante, que rien n'assure, bien au contraire, que Vaillant n'ait pas d'émules, que par contagion bientôt quelqu'un de ceux que les anarchistes appellent les solitaires et qui vivent à côté de leur parti, sans être connus, peut recommencer et recommencer plus tragiquement, il faut que la société entre dans la voie de réalisation de ses promesses. Quel est celui des membres du Parlement qui n'a promis à ses électeurs de soulager autant qu'il le pouvait les misères sociales ; qu'ils commencent et entraînent le gouvernement dans cette voie. Cela sera infiniment plus utile que de réprimer et de terroriser. Les réformes à faire, les réformes indiquées sont nombreuses, et ce sont des réformes promises. Tel perfectionnement à la mécanique sociale n'est pas accompli, que les républicains du gouvernement ont promis depuis longtemps. Il serait de leur devoir et de leur intérêt de tenir leurs engagements. Evidemment toutes les réformes ne peuvent pas s'exécuter immédiatement. Parmi les justes desiderata de l'idéal anarchiste, il se trouve des demandes qu'on ne pourra satisfaire qu'infiniment plus tard. Des personnes cérébralement tout à fait antimilitaristes accordent sans difficulté qu'on ne peut songer actuellement au désarmement, que c'est prudence de tenir tête aux antimilitaristes, car accorder leurs postulats serait les condamner eux-mêmes aux misères de la défaite et a d'irréparables pertes. Il est certain que confondre l'idée d'Etat avec l'idée de patrie, et vouloir désagréger la seconde parce que le premier a des droits et des devoirs d'une définition trop ancienne et abusive, est une erreur. L'Etat est un ensemble factice de lois, la patrie un phénomène presque naturel de par la langue, le caractère et les habitudes ; mais sans même se soucier encore des problèmes éloignés, autrement que d'une façon théorique, il faut s'occuper tout d'abord des problèmes les plus urgents.
Et pour les bien résoudre, peu importent les divergences de vue et de point de départ entre les libéraux. L'essentiel est de les délimiter et d'obtenir des améliorations immédiates. De ces améliorations, quelles sont les plus urgentes ? C'est ce que, dans la mesure de ses forces, cette revue cherchera à délimiter, tout en continuant à présenter des idéaux pour plus tard.

Gustave KAHN



Voir la première partie de cet article parut dans La Société Nouvelle.