mardi 9 septembre 2008

Aux urnes ! avec LEMICE TERRIEUX. Pastiches poétiques


Paul Masson, qui signe ici de son pseudonyme le plus commun, Lemice Terrieux, s'essaye à un genre littéraire voué à un bel avenir, le pastiche... Le pastiche revendiqué comme tel, présenté comme un exercice de style. En effet il sont nombreux les recueils de pastiches : A la manière de..., une série commencée en 1908 par Paul Reboux et Charles Müller, Pastiches et Mélanges (1919) de Marcel Proust, Le Parfait plagiaire (1924) de Georges-Armand Masson, Dix perles de culture (1952) de Jacques Laurent et Claude Martine , Haute École (1950), La Chine m'inquiète (1972) et La France m'épuise (1982) de Jean-Louis Curtis... Patrick Rambaud seul ou avec Michel-Antoine Burnier, tout comme Patrick Besson, continuent le genre.
En 1896 dans La Plume il s'agissait pour Paul Masson de présenter les candidatures de quelques poètes à la sucession de Paul Verlaine au titre de Prince des Poètes. Le véritable gagnant figurait bien dans sa liste et même en tête, puisqu'il s'agit de Stéphane Mallarmé.

Elections poétiques
du 1er Février 1896

Candidats recommandés par La Plume :


Stéphane Mallarmé
Jean Moréas
Sully Prudhomme
François Coppée
J.-M. De Heredia
Emile Verhaeren
Jean Richepin
Henri de Régnier
Francis Viélé-Grifin
Léon Dierx
Adolphe Retté


Voici maintenant le texte des affiches électorales que l'on voit derrière l'Institut, dans les salles de rédaction de la Revue Blanche, du Mercure de France, de l'Ermitage, de l'Art Moderne, de la Jeune Belgique, de Pan, de l'Art et la Vie, de la Plume, dans les cafés du Chat Noir, Procope, Vachette, Pousset, Nouvelle Athènes et sur les murs du théâtre de l'Odéon :


Poètes !
D'un geste, se conçoit, à l'heure où – prestige matériel évanoui, hélas ! - en lumière pure se résout le fantôme humain, autrefois levé sur le pavois, de l'aède, désigner quel, d'une présence réclamée dès lors, doit primer dans le respect et l'admiration, son front lauré des unanimes palmes.
Peut-être, écarté l'effroi de l'entrée en scène, le passé – le mien - , poètes riches du peu d'années vendangées, m'incite-t-il, parmi les cuivres sourds de mon crépuscule et les vierges clartés de votre aurore, à surgir pour, enfin, recevoir tel salaire d'honneur.
Ici, donc, je veux, sans plus, demander, à qui est échu parce que digne, le droit de l'attribuer, un suffrage.

Poètes !
Cher, mon voeux que par vous vive un nom,
le mien,
s'exprime tel.


Stéphane Mallarmé.


Mes chers amis !
Je me présente à vos suffrages
Avec un peu de prose et de nombreux ouvrages
En vers. J'ai fait surtout beaucoup d'alexandrins,
J'ai chanté tour à tour la mer et les marins,
Le faubourg, l'atelier et l'homme qui voit rouge,
La veuve et l'orphelin, l'épicier de Montrouge,
Et la femme qui va, loin du chemin banal,
Avec son corset mis dans le Petit Journal.
Mes poèmes sont vrais et mes rimes exactes,
Si vous voulez au lieu de paroles des actes,
Je viens d'en donner cinq en vers à l'Odéon.
Ma flûte de poète est un accordéon :
Des jaloux l'ont parfois visé de leur satire
Mais la foule applaudit aux accents que j'en tire
J'ai fait, du premier jour, vibrer les coeurs français
Et d'un seul coup, d'un seul j'ai connu le succès,
Enfin, j'en jure ici par la croix de ma mère,
Jamais je n'ai trompé mon éditeur, Lemerre,.

Mes chers amis !
Je dois vous dire encor ceci :
C'est que j'ai cinquante passés ; j'ai réussi
Et je n'ai pas trouvé cela si difficile.
De plus, l'Académie est un aimable asile.
Ainsi donc j'attendrais sans trop d'émotion
Le complet résultat de cette élection.


François Coppée.


Messieurs !


Le front déjà ceint des lauriers virides que pour moi coupèrent les Nymphes de la Seine. Moi le fier aède que la noble Athènes a nourri – en outre ! Je vous viens demander de m'élire pour ce que j'ai su redonner au Vers français sa forme pure. Les Muses romanes m'ont prêté leurs pipeaux et seul, après Ronsard, Joachim du Bellay, Malherbe, Racine, La Fontaine, André Chénier, j'ai su jouer dextrement – tel un chèvre-pieds – de la flûte à sept trous. Les douces coulombes m'ont baisé sur la bouche ; Amour, archer malin, m'a décoché ses plus douces sagettes et mes chansons – s'elles gazouillent comme oiselets – m'ont conqueté les beaux esprits.

Donques Messieurs,

Déjà lauré des poètes romans, je viens, fils d'Apollon, - puisque les Parques ont tranché le fil de vie de celui qui fut Verlaine, - offrir à vos couronnes mon front presque chenu.


Jean Moréas.


Raymond de La Tailhède Ernest Raynaud
Maurice du Plessys Charles Maurras


Chers Confrères !


Plusieurs d'entre vous ont voulu me désigner comme leur candidat au poste devenu vacant par la mort du regretté Paul Verlaine. Je dois élever la voix aujourd'hui pour, après l'expression de tous mes sentiments de reconnaissance envers eux, décliner l'honneur d'être appelé aux fonctions de Président de la République des Lettres. Ma position de fortune ne me permet pas d'assumer les frais de représentation considérables qu'entraînerait ma nomination. Je ne puis en effet, entretenir comme Victor Hugo par exemple, six secrétaires, chargés de remercier en mon nom tous ceux qui rendraient hommage à mon génie et lui demanderaient la consécration officielle de leur talent.
Pour ces raisons, je me vois forcé de retirer une candidature portée par mes amis et de demeurer dans la solitude plus favorable au travail que le vain bruit des honneurs, restant ainsi dans la méthode de vie que je me suis toujours imposée.

Chers Confrères
Votez pour un plus fortuné !


Sully Prudhomme.


Chers poètes !


La Mémoire pleure accoudée dans la Barque qui glisse abandonnée sur le Fleuve.
La Torche – Signe du Sceptre – dévolue à qui doit présider aux destinées du Rythme, gît sur la Terrasse Taciturne ! Le Glaive est appendu tristement sur la Porte ! Et la main défaillante de Verlaine a laissé tomber l'Anneau !
Quelques-uns me voudraient léguer et la Torche et le Glaive et l'Anneau !
Ils oublient quels filiaux devoirs me lient aujourd'hui à un poète haut dont le Soir appelle plus que mon jeune Front le Laurier.
Déjà la Gloire l'a placé à l'Académie. Je n'en suis encore qu'au Seuil.

Chers poètes !
Votés pour José Maria de Hérédia !!


Henri de Régnier.


Evolutifs et Instrumentistes !


Tonne ma voix vers vous, clamant au Mieux, en quoi se coagrèrent les spermatozoaires dardés des géniteurs puissant du Rythme et, comme des vols multiptères urant d'or, que tournoie flamboyant, exhaust de vos ahans – le Verbe.
Girent les courroies et se tordent les multisoleillantes bieilles dans la Vie aux diastoles larges – et le vallon grouille de heurts – et les Hommes nostalgiques hurlent long d'épandre leurs génitoires.
Mais le Carbure omni-potent entraîne le rythme des causalités engrenées vers le Meilleur Devenir.


Instrumentistes et Evolutifs


Des amplitudes ivres de la saillies tragique que se dresse, fier – par Moi – le Verbe lent charriant d'abstruses quintessences.
Pas d'abstractions ! Aux urnes
Et méfiez-vous des manoeuvres de la dernière heure.


René Ghil.

Bardes !


Le France languit. Sa poésie manque de tête sinon de bras. Voulez-vous que je sois cette tête ?
Voulez-vous donner aux Lettres une direction saine et forte, une orientation harmonique et vigoureuse à la fois par quoi elles s'arrachent enfin au marasme qui les tient depuis trop longtemps ? Etes-vous pour la liberté absolue du Vers, pour l'égalité du nombre dans les alexandrins, pour la fraternité des rimes ?

Si, oui, votez pour moi.
Assez de paroles ! Des actes !
Je vous apporte un programme de réformes précises, nécessaires. Si vous me nommez, je saurai les faire aboutir.
N'est-il pas révoltant, par exemple, de voir des poètes se servir de mètres de 12 pieds et au-dessus, alors que d'autres n'ont à leur disposition que des vers pas plus grands que çà ?


A bas le monopole !!!
Citoyens bardes !
On vous trompe. Je vous apporte, la vraie mesure égalitaire ; je me présente à vous comme le candidat du mètre-étalon, le seul mètre qui ne puisse susciter de contestations.
Je jure de défendre loyalement mon programme dans la mesure de mes forces.

Le manoeuvre de dernière heure.


Nous sommes autorisé à démentir de la façon la plus catégorique, le projet de candidature que l'on avait un instant prêté à M. Alphonse Allais. Le charmant écrivain des Oeuvres Anthumes n'est pas, ne sera jamais candidat.

D'autre part, le très haut poète de la Chevauchée d'Yeldis écrit à notre Rédacteur en chef :


Mon cher Deschamps,
Voulez-vous dire que ma modestie, mon âge, le souci de laisser à un plus digne et plus méritant la palme de « le plus sympathique aux poètes » m'obligent de refuser l'honneur que d'aucuns me voudraient voir accepter ?
Votre

Francis Viélé-Griffin.

Et maintenant aux Urnes !

Lemice Terrieux.


Paul Masson sur Livrenblog : Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Paul Masson : Une conférence sur la fumisterie. La Fin de Lemice-Terrieux.

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