mardi 23 septembre 2008

Lucien JEAN - Catulle Mendès


Comme promis je poursuis la publication de quelques Notes de Lucien Jean.
Celle-ci est consacré à Catulle Mendès, poète parnassien, romancier, dramaturge, librettiste, chroniqueur, fondateur et directeur de revues et journaux (La Revue Fantaisiste, La République des Lettres, La Vie populaire, Gil Blas, L’Écho de Paris, Le Journal). Mendès est généralement peu apprécié de la jeune génération, qui lui reproche ces romans légers, ses nouvelles grivoises, sa facilité à démarquer les poètes de son temps. Mendès fit parti de « ceux-là [qui] ne sont bientôt plus qu'un tas de cendre, et [que] le vent éparpilles » sitôt tombés. La position de Mendès dans la presse, ses chroniques et sa critique, son entregent, ses relations, son mariage avec Judith Gautier, sa liaison avec Augusta Holmès, faisait de lui un personnage important, le type même de « l'écrivain célèbre ». Comme nombre de ses contemporains, Lucien Jean lui reproche une réussite qui laissera dans l'obscurité ceux de la génération du Parnasse les plus talentueux, Mallarmé et Verlaine.
Aujourd'hui l'apport de Mendès est enfin réévalué, son oeuvre en partie rééditée, je conseille pour ma part la lecture de Méphistophéla, Les Oiseaux Bleus (Préface de Jean de Palacio, Séguier, Bibliothèque Décadente, 1993), La Maison de la Vieille (édition, préface et notes de J.-J. Lefrère, Michaël Pakenham, J.-D. Wagner, Champ Vallon, Collection Dix-neuvième, 2000), Zo'Har (Préface Michel Friang, Editions Palimpseste, collection Singuliers, 2005), Le Chercheur de tares (dans l'indispensable Romans fin-de-siècle, édition établie par Guy Ducrey, R. Laffont, Bouquins, 1999), Gog (1896), La Première Maîtresse (1894), et enfin Le Roi vierge (1881).


Lucien Jean, Notes.

Apologue pour M. Mendès – Il y a une forêt toute pleine de mystère et d'angoisse, d'horreur et de beauté. Il y a un chemin rude qui traverse la forêt et qui s 'appelle l'Art, et tout au long du chemin, éternellement, des hommes cheminent. Les uns partent, s'enfoncent à droite, à gauche, dans la forêt. Il faut croire que c'est pénible, car il arrive qu'ils n'en ressortent pas : mais s'ils en reviennent, c'est avec des branches lourdes, des belles fleurs et des fruits. Lorsqu'ils tombent (on ne va jamais jusqu'au bout), leur récolte reste sur le chemin et ne se flétrit pas. D'autres vont droit devant eux, avec ponctualité, avec force, d'un pas lourd et assuré, comme des brutes. Parfois, lorsqu'ils s'arrêtent, ils regardent le chemin parcouru avec des yeux stupides. Durant leur lent effort, ils se sont comme imprégnés des odeurs de la forêt, et cela suffit souvent pour les préserver de la pourriture mortuaire.
D'autres, enfin, dansent le long de la route. Ils sont si souples et si légers qu'ils ont l'air de cueillir des rameaux au passage. Ils n'ignorent pas, ceux-là, qu'il existe une forêt et ses mystères. Mais quoi, toutes ces branchettes qu'ils abattent, n'est-ce pas cela la forêt ? A-t-on besoin de tant peiner pour du bois et des feuilles et de s'enfoncer dans les taillis, puisqu'il n'y a qu'à cueillir au bord, tout au bord ?... Lorsqu'ils tombent, ceux-là, ils ne sont bientôt plus qu'un tas de cendre, et le vent les éparpilles. Préférons-leur les brutes.
Monsieur Catulle Mendès, acceptez la dédicace de cette fable ; elle est un peu forcée, et pas très nouvelle, mais vous la comprendrez ; car vous êtes renseigné sur tout et sur vous même, quoi que vous en disiez, et c'est votre peine. N'est-ce pas, malgré les airs bravaches et juvéniles, il y a des matins de lassitude où l'ange se lève devant nous et nous présente notre image. Et c'est triste ! Mais on vient chez vous, et l'on vous interviewe, car vous êtes un écrivain célèbre. Alors vous prenez une attitude de vieil ouvrier de lettres. Vous dites : « J'ai écrit ces livres, et ceux-ci, et ceux-ci. J'en suis fier. Ceux qui me dénigrent sont des envieux qui jugent les hommes autour d'une table de café. Ils s'attaquent toujours aux génies évidents, par exemple à mon ami Rostand. Ils ont exalté Mallarmé..., ils ont surfait Verlaine, qui n'était qu'un bon poète de second ordre..., ils n'ont rien lu de moi..., ceux qui me lisent sont les gens du peuple, etc. »
Tout cela, c'est des bêtises, et vous le savez. Vous savez que beaucoup d'hommes, aujourd'hui, même parmi les écrivains, lisent les livres (même les vôtres) et les jugent sous la lampe, avant d'en parler au café. Ils disent que ceux-là sont de grands poètes chez qui ils ont trouvé un peu de ce que nous cherchons tous. Ils honorent la grandeur et la beauté, même chez les hommes célèbres, lorsqu'ils se nomment Hugo, Vigny ou Leconte de Lisle, même chez les hommes vivants, lorsqu'ils se nomment Claudel ou Elémir Bourges.
Nous avons honoré Mallarmé et Verlaine, deux poètes de votre génération : l'un écrivit de beaux vers parmi les plus beaux ; l'autre, avec une ferveur de primitif adroit, exprima des sentiments profonds. Il est singulier que vous nous reprochiez d'élire des artistes à demi obscurs, alors que vous devriez rougir d'avoir laissé dans l'obscurité les plus purs d'entre vous.



Catulle Mendès dans Livrenblog : La Brasserie : Léon Bloy par Catulle Mendès et un peu partout, tant il est impossible de parler de cette période littéraire sans citer son nom.

Sur Lucien Jean, voir : Lucien Jean (20 mai 1870 – 1er juin 1908) Parmi les Hommes, Lucien Jean et l'art pour tous

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