jeudi 18 septembre 2008

Maurice de WALEFFE - Les ambitions de Francis de CROISSET


Maurice de Waleffe quitte Bruxelles pour Paris en 1897, à sa descente du train l'attend son camarade Francis de Croisset arrivé quinze jours plus tôt, tout les deux viennent de publier leurs premiers vers dans la Jeune Belgique. Croisset n'a pas perdu son temps, lors de ses premiers jours à Paris, il a obtenu d'Octave Mirbeau une préface pour son premier livre, Les Nuits de quinze ans. De cette préface, il fut déjà question dans Livrenblog, Waleffe nous apprend comment fut obtenue par le jeune ambitieux, cette préface.


Maurice de WALEFFE : Quand Paris était un paradis. Mémoires 1900-1939. Denoël, 1947.
Mais déjà, par-dessus la foule de la gare, je le voyais agiter une main impérieuse gantée de suède jaune clair : « Tu as fait bon voyage ? Bravo ! Laisse tes bagages à la consigne ! Tu les feras prendre par le concierge de l'hôtel où je t'ai retenue une chambre, cité du Retiro, près de la Madeleine, pension complète neuf francs par jour, ça va ? Ce soir je t'emmène dîner à côté, dans une amusante taverne où nous allons causer ! J'en ai des choses à te conter ! En deux semaines je n'ai pas perdu mon temps. Ainsi, pour mon premier volume de vers, tiens-toi bien ! J'aurais une préface d'Octave Mirbeau !
- Mirbeau ? C'est magnifique, tu l'as vu ?
- Pas encore, mais j'aurai une lettre pour lui, une lettre de Clemenceau, à qui, depuis l'affaire Dreyfus, Mirbeau n'a rien à refuser.
- Clemenceau, tu l'as vu ?
- Pas encore, mais il a un frère lié avec le mari de ma soeur qui, tu le sais, est médecin ici. Bref, j'aurai une lettre très chaude pour Mirbeau, Clemenceau doit me la remettre demain à l'Aurore, où il nous attend à minuit. Tu viens avec moi, je te présenterai !
- A minuit ? J'avais lu que Paris appartient à ceux qui se lèvent tôt ?
- Erreur ! À ceux qui se couchent tard ! Se lever tôt est un luxe d'écrivain parvenu, qui travaille à ses heures, à son aise, en robe de chambre. Nous deux, il nous faudra courir après l'omnibus, mais je me sens des ailes aux talons ! La préface de Mirbeau me vaudra un article dans Le Figaro. Dans Le Journal, j'en aurai un autre de Catulle Mendès... Celui-là je l'ai vu. Je suis allé le trouver pour lui proposer carrément une conférence sur ses oeuvres ! Je m'étais appuyé leur lecture complète. Je les lui ai récitées par coeur. C'est lui qui m'a remercié.
- Je n'apprécie pas absolument ses vers. C'est adroit, mais trop livresque, trop fabriqué.
- C'est possible ! Mais l'homme est brûlant d'intelligence, serviable, enthousiaste, charmant. Il soupe tous les soirs après le théâtre au café Américain. Je te présenterai.
- Décidément, on se couchera tard ?
- On ne se couchera plus, mon vieux ! Ah ! Quelle ville ! Et comme je la sens ! La vie vous coule dans les veines comme un vin chaud.
- Moi qui demain espérais courir avec toi les musées, le Louvre, Notre-Dame...
- Penses-tu ? Notre-Dame, j'irais le jour où je me ferai baptiser par l'Archevêque de Paris !
- Baptiser !
- Parbleu ! Tu es chrétien ! Moi, il me faut le devenir ! D'abord je t'avertis que je ne m'appelle plus Wiener. D'ici dix ans (puisqu'il faut dix ans pour être naturalisé) j'aurais rendu le nom de Croisset assez connu pour que l'état civile ne puisse me le refuser.
- Mais Croisset n'est-il pas déjà, à une lettre près, le nom d'un professeur de grec, membre de l'Institut ?
- Croiset et Croisset, ça fait deux. Je ne sais pas le grec, je ne compte donc pas lui faire concurrence ! Je prends le nom du village d'où Gustave Flaubert datait les volumes de sa correspondance. Si Flaubert vivait encore, je ferais le voyage pour aller lui demander cette investiture. Il ne me la refuserait pas : c'est un hommage !
- En somme, tu agis comme ses affranchis de l'Empire romain qui adoptaient le nom de leur patron ? Mais pourquoi ne pas garder le tien, tout simplement ? La famille Wiener est très honorable.
- En Belgique ! Mais je vivrai pas en Belgique, mon vieux. Je ne veux me marier dans l'aristocratie française, où ma future femme, quelle qu'elle soit, ferait la grimace à l'idée de s 'appeler Mme Wiener ! Madame de Croisset sonnera mieux.
- Noblesse de plume !
- Elle en vaut une autre ! Surtout quand je graverai sur mes cartes de visite : de l'Académie française.
- Tu vois les choses de loin !

Fait ont plus arriviste ?
Francis de Croisset ne sera pas de l'Académie, il obtiendra 8 voix en 1930 contre 20 à Le Goffic, et 8 encore en 1932 contre 20 à Abel Bonnard.

Les mémoires de Maurice de Waleffe sont à ajoutés à nos listes de livres de souvenirs. I - II

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