mardi 18 novembre 2008

RACHILDE et le vin de coca


Rachilde (Marie-Marguerite Vallette, née Eymery) 1860 - 1953.



MADAME RACHILDE


Rachilde est le moins bas-bleu de tous les bas-bleu. Je ne vois pas, dans les littératures, de femmes capables de lui être comparées, à moins que ce ne soit dans celle d'un monde nouveau et impossible où Edgar Poë serait Roi, Brantôme Grand-Evéque, et d'Aurevilly sénéchal d'armées. Rachilde, figurez-vous une princesse scandinave qui aurait passé sa prime jeunesse à considérer l'étendue énigmatique des grands fjords blancs et mornes, puis qui serait venue en exil, subitement, ici, à Paris, où elle aurait acquis un cachet un peu gouailleur et un peu moqueur fort peu en harmonie avec ses premiers goûts. Son art d'une puissance ténébreuse singulière et profonde, s'ensoleille à certaines heures des éclats de sa gaieté. Elle-même se raille de souffrir et de rêver. Elle possède l'attitude délicieusement narquoise de la vie en même temps que la cérèbrale et mystérieuse beauté du songe. Ses livres sont exquis et étranges. Dès qu'on en ouvre les feuillets, le vertige attirant de l'inconnaissable s'en exhale. Rachilde était impossible au dix-huitième siècle, le temps de Madame du Deffand et des Mademoiselle Necker : à notre époque, Rachilde s'explique très bien : petite Diabolique parue après la lettre et qui a bien grandi depuis Barbey d'Aurevilly. Si, dans l'intimité, Rachilde apparaît un peu bourgeoise plutôt, un peu sédentaire et pondérée, sauf aucunes des excentricités que vous semblez devoir découvrir dans ses livres, c'est que, sous la modestie de son langage et de ses manières perce la femme réfléchie qu'elle est au fond. Derrière la placidité ou la moquerie de sa figure, la Méditation abstraite ou la Pensée extraordinaire de l'Au-delà dissimulent jalousement l'expansion de leur essor. « Je n'ai aucune envie de gloire ni de tapage, dit-elle, mon seul bonheur serait d'habiter une maison qui n'aurait ni portes ni fenêtres, où l'on n'entrerait jamais et, d'où je ne sortirais pas... » Elle-même, dans le Démon de l'Absurde, ce petit livre à couverture d'une grisaille sans tapage où se cache plus d'une perle, a décrit l'étrangeté du château hermétique, où elle désirerait vivre ! Démon de l'Absurde ! Il y a bien des choses à y louer et à y blâmer : depuis le Concile féerique de Laforgue rien ne sut impressionner autant que la Parade Impie. Quant aux Vendanges de Sodome, ce sont d'impérissables pages. Volupté est peut-être, mis en scène, l'exemple le plus saisissant qui soit de tragique quotidien... La Voix du sang qui vit la rampe au Théâtre d'art, est une page supérieure. Quant au Vendeur de Soleil il faudrait le jouer après Axël ou avant l'Intruse. Au Théâtre, Rachilde apparaît bien davantage et avec plus d'intensité la flatteuse d'Atroce qu'elle tend à être toujours, dignement, très dignement. Vous souvenez-vous de cette préface impertinente où elle défend Shelley. On a reproché à Rachilde de n'être pas naturelle. Et ne l'est-elle pas, dans Monsieur Vénus ? Livre préfacé par Maurice Barrès. - Sans affectation aucune de psychologie, Rachilde a donné, dans Le Tiroir de Mimi Corail un recueil de contes éminemment modernes, pimpants et primesautiers. Autres sont : le Mordu et l'Animale, ici Rachilde est moins petite-fille du seigneur de Brantôme et se retrouve séductrice et captivante chatte aux yeux de turquoises, entourée de bibelots et de fleurs, s'étirant nonchalamment dans les jungles sans issue de l'Impossible et de l'Effroyable, s'étirant avec une lassitude languissante dans les fourrés inextricables du Néant et de l'Imprévu.
Telle est la Rachilde des livres. La Rachilde de la vie privée est bien plus simple. Rachilde est une femme d'intérieur fort tranquille. Depuis sept ans qu'elle est marié, elle n'est jamais sortie pour une promenade de plus de trois heures, sans son mari. Son bonheur est d'écrire. Si l'on s'étonne de la voir si profondément enfouie dans ses rêves, c'est, dit-elle doucement, « parce que j'ai eu beaucoup de chagrins dans ma jeunesse, et surtout dans mon enfance. » Cela rend extrêmement raisonnable, les chagrins ! Maintenant Rachilde, par le travail, se console de ce lointain passé. Et le travail n'est pas perdu. Loin de là ! Il nous aide, au contraire, à vivre et à aimer l'auteur.

Notice et gravure publiées en 1898 dans le quatrième volume de l'Album Mariani (1), recueil publié par le fabricant de vin de coca, où les personnalités les plus diverses, le Pape, le président des Etats-unis, des médecins, des militaires, des politiques, des écrivains, journalistes et auteurs dramatiques, des chanteurs, des musiciens, des peintres, des comédiens et comédiennes, vantent les bienfaits de l'élixir revigorant. La notice est, dans l'album, suivie d'une biliographie succinte, que je remplace ici par quelques couvertures de livre. La bibliographie des oeuvres de Rachilde s'étend de 1877 à 1947, la rubrique Gendelettres des Commérages de Tybalt en donne la liste.

(1) Portraits - Biographies - Autographes, 75 gravures à l'eaux-forte par A. Lalauze, L. Dautrey, W. Barbotin et Erwert Van Myuden. Librairie Henri Floury 1899, (A. I. 1898), Préface de Jules Claretie.







Rachilde sur Livrenblog Camille Lemonnier, Lautréamont, Rachilde. (Préface à la Sanglante Ironie). Visite aérienne à Rachilde (par Louise Faure-Favier) Jean de Tinan : La Princesse des Ténèbres par Jean de Chilra / Rachilde. Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse.

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