samedi 21 février 2009

SCRIPSI N° 3 se présente






CHRISTIAN BUAT nous informe :


L'apparition de SCRIPSI, bulletin des Amateurs de Remy de Gourmont, est prévue pour le jeudi 26 février :


14 ex. numérotés & adornés d'un tampon figurant un colombin noir
18 ex. numérotés & adornés d'un tampon figurant un colombin rouge
8 ex. ni numérotés ni adornés

EXTRAIT DE LA PRESENTATION :

Paucis verbis

Le précédent numéro de Scripsi [1] avait fait la part impériale à une petite polémique concernant la capacité des ficelles à persévérer, more spinoziano, dans leur être de souteneuses de jambons au cas où « toutes les dimensions de l’univers deviendraient mille fois plus grandes ». Dans une lettre adressée à la rubrique Échos de la revue violette, un lecteur écrivait :

Les jambons de M. Cornetz nous vaudraient-ils controverse plus délicieuse que celle des colombins d’odorante mémoire ? Je le souhaite ; comme en ces temps héroïques, du récent Mercure je coupe avec émoi les derniers feuillets, heureux si j’y vois qu’un athlète nouveau ramasse les jambons, comme jadis les onctueux projectiles.

Ces lignes m’ayant interpellé (à prononcer de façon à ne pas croire que j’étais en train de partager une corvée de pluches) et comme elles ne furent pas sans retenir l’attention d’un très-fidèle lecteur helvétique, suite à son courrier, je remis à un autre numéro le 71, rue des Saints-Pères, sur lequel je travaillais, pour retrouver ces colombins [...].


IL RESTE 10 EXEMPLAIRES NUMEROTES

Prix : 10 euros port compris, 7 si achat de l’un des ouvrages suivants, 5 pour 2 ouvrages et plus :

La Petite Ville, Séquences, 1994 (9,50 €)

Merlette, Philippe Le Lanchon, 2003 (18 €)

Sixtine
, Editions du Frisson esthétique, 2005 (25 €)

Conseils familiers à un jeune écrivain, La Part commune, 2006 (12 €)

Un cœur virginal, Editions du Frisson esthétique, 2007 (20 €)

Le Connétable, le Régent et son Ombre, Editions du Frisson esthétique, 2008 (20 €)

Actualité de Gourmont, Editions du Clown lyrique, 2008 (19 €)

Le Frisson esthétique n° 1 à 6 (5 € le numéro)

Le Frisson esthétique n°7 (8 €)

Merci aux Amateurs intéressés de se manifester rapidement de façon à ce que je puisse préparer tout suffisamment à l’avance.

A bientôt.

Christian Buat

A commander ici : http://www.remydegourmont.org/sur_rg/rub2/buat/scripsi/03.htm

[1] Scripsi N° 2. Voir compte-rendu sur livrenblog.



vendredi 20 février 2009

Paul MASSON : Une conférence sur la fumisterie


Sous la signature de Bernard l'Ermite paraissait dans L'Ermitage de 1894 (5e année, 4e livraison) un article sur une conférence à propos de la fumisterie par le plus célèbre des fumistes, Paul Masson, qui signait aussi : Lemice-Terrieux ou le Yoghi.

Une conférence de M. Paul Masson

C'est la semaine dernière qu'a eu lieu à la Bodinière la conférence de M. Paul Masson sur la fumisterie à travers les âges. Le public y est venu non seulement nombreux et brillant mais encore anxieux. Un pareil titre et la réputation bien assise du conférencier légitimait toutes les appréhensions. Chacun n'entrait dans l'élégant théâtricule qu'avec une méfiance sournoise ; on dévisageait les préposés au contrôle ; beaucoup refusèrent opiniâtrement de livrer leur vestiaires aux ouvreuses, hantés sans doute par le souvenir des grands mélimélo de chambrée. Dans la salle on voyait les arrivants avant de s'asseoir scruter gravement les fauteuils et chercher à découvrir quelque ressort imprévu, quelque lassitude insoupçonnée. L'éclairage fut l'objet de préoccupations attentives. L'heure de la conférence approchant, la même angoisse étreignit tous les coeurs : s'il nous posait un lapin ! Ç'aurait été en effet le triomphe de la mauvaise plaisanterie, si M. Paul Masson avait été un mauvais plaisant.
Mais non, la conférence eut bien lieu à l'heure dite et ce ne fut pas une plaisanterie, et personne ne rit, sauf peut-être M. Masson dans sa barbe, en se doutant qu'un public si nombreux, si brillant et si anxieux, alors qu'il n'avait devant lui ni écritoire armorié, ni poésie chéiroptères, devait être la dupe d'une autosuggestion contagieuse. Il faut dire que M. P. Masson qui était dans ces derniers temps attaché à la Bibliothèque nationale après avoir été juge à Chandernagor et à Tunis, est devenu représentant pour la France d'une maison anglaise de fabrication de poëles et de cheminées. Les frivoles furent donc leurs propres victimes, car ils durent écouter une étude très sérieuse, très polie, très technique, très école centrale sur la fumisterie industrielle et tous les modes historiques de chauffage depuis le brasier de Julien l'Apostat jusqu'au four crématoire de Milan. La conclusion fut naturellement en faveur de la marque représentée par M. Masson, supérieure à tous les autres poëles roulants et mobiles à nom polonais ou mythologique. Il n'y eut donc ni incident cocasse, ni coup de théâtre perpétré par des compères, mais seulement une stupéfaction envahissante sur le visage des auditeurs, puis un exode d'abord timide, un à un, peu à peu accru, enfin immense, cataractaire, cependant que l'orateur impassible continuait à comparer le tuyau hippologique des bookmakers au poële bien plus philosophique de Descartes...


Bernard L'Ermite.



jeudi 19 février 2009

Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux le N° 3 arrive


Le BULLETIN des AMIS de SAINT-POL-ROUX


de parution & d'épaisseur irrégulières est la première publication entièrement dédiée à la mise en lumière de l'oeuvre de Saint-Pol-Roux.

Chaque numéro est tiré à très-petit nombre, entre 50 & 101 exemplaires numérotés & parafés de la main magnifique du compilateur.

Ce dernier se réserve le droit de procéder à un deuxième tirage, voire à un troisième tirage.





Numéro 3 (février 2009) Les Reposoirs de la Procession, nouvelle série (1901-1907) - Dossier de réception (1900-1920) - Textes recueillis et présentés par Mikaël Lugan (60 pages, 9 €)




Il reste 21 exemplaires de la première livraison, 25 de la deuxième, 33 de la troisième. Contacter Mikael Lugan : harcoland@gmail.com.


Visiter le blog du Magnifique : Les Féeries Intérieures, pour participer au jeu concours et découvrir les articles de fond sur S.P.R., le symbolisme et l'Avant-siècle.


S'inscrire au groupe "Les Amis de Saint-Pol-Roux" pour recevoir les informations relatives à Saint-Pol-Roux et aux travaux de Mikael et consulter documents et discussions sur S.P.R. et son temps.



MERODACK-JEANEAU par Hector FLEISCHMANN



Un Peintre de l'angoisse
ALEXIS MERODACK-JEANNEAU


Celui-ci porte une âme lourde d'un deuil éternel. Il est hanté de l'effroi solitaire des yeux de cauchemar et de honte, tout leur mystère inquiétant et obsesseur et leur inconnu le crispent. Il est le Maurice Maeterlinck de la peinture. Il a évoqué en toutes ses toiles l'angoisse perpétuelle de la Vie qui sont la Mort embusquée dans l'ombre, l'angoisse du silence dans des villes d'agonie et de solitude, l'angoisse des paroles dites par des voix lointaines dans les crépuscules. Et si quelquefois il est exalté vers le tumulte des épopées, pèlerin las, il est revenu vers la chambre où montait le soir parmi le silence des choses chères et vieilles. Il porte aussi en lui toute la féminité et la lassitude des Empereurs orientaux dont il aime le faste et l'épouvante, il a leur âme désabusées et orgueilleuse et ses rêveries se plaisent aux heures imprécises où l'éclat de ses bagues lourdes de pierreries monstrueuses, bosselées, tordues, larmes et caillots de sang, pâlit lentement. Et c'est cela surtout que j'aime en lui : ce perpétuel souvenir, ce retour vers les âges héroïques des anciennes conquêtes orientales où les olifants sonnaient la gloire du Meurtre devant les villes dressées, lourdes de fer et de piques, dans l'horreur et l'épouvante des horizons. Ils sont venus du fond des terres lointaines et ignorées, les grands Conquérants et les Empereurs fous qui lancèrent les bandes barbares, dans l'éploi des étendards d'étoiles au champ de sinople, à l'assaut des cités latines. Et ils sont revenus vers la hautaine solitude de leurs Alcazars, avec les trésors dérobés dans leur marche vers le Nord.
Alexis Mérodack est de ceux là. Il a conservé le souvenir des faces surgies dans les soirs de déroute, et il nous les a évoquées dans des toiles prodigieuses d'angoisse : La Femme au hibou, où dans le gris obscur du décor saigne effroyablement la pourpre des lèvres. Il est des courtisanes qu'on a violé dans le tumulte des villes conquises, et toute leur luxure dédaigneuse et triomphale se retrouve en Lupa, qui synthétise admirablement la volupté humaine. Il semble que la passion violente d'art qui porte cet artiste à peindre des courtisanes et des prostituées, le caractérise et accuse fortement ses tendances. Il n'est peut-être pas loin le jour où nous le verrons donner l'oeuvre d'épouvante et de passion, de tumulte et d'horreur qu'il nous promet. Il dressera dans le décor fastueux des impériales décadences l'Augusta adultère et déshonnête, coiffée de la gloire d'or de ses tiares constellées de chysoprases, de bérils, de rubis, d'émeraudes, avec la promesse fleurie de ses seins de lumière, offerts à l'adoration charnelle de la foule des gladiateurs et des belluaires rués vers sa luxure impériale. Il la dressera hautaine et triomphale dans l'éclaboussement des ors clairs, glorieusement nue et saluée des litanies impies et sacrilèges que scanderont les appels et les cris vers sa divinité païenne et immortelle.
Et pour avoir évoqué la Vie : la volupté et l'angoisse, pour nous avoir fait frémir et pour avoir exalté, il faudra saluer le nom d'Alexis Mérodack.

Hector Fleischmann.
Le BEFFROI Janvier 1902


Mérodack-Jeaneau (Alexis Jeaneau, dit) (Angers 1873 – 1919). Nous avons déjà rencontré ce curieux peintre à l'occasion de la présentation de deux numéro de la revue Tendances Nouvelles, revue qu'il fonda en 1904. De 1900 à 1902, Jeaneau fut l'un des illustrateurs attitrés des éditions de La Maison d'Art (voir notre recension du volume Les Sciences Maudites [I, II], publié là en 1900, ainsi que sa participation à la revue Les Partisans [Cf. blog H.R.], dont il illustre entiérement le numéro 2, publiée par la même maison). Il collaborera aussi à la Revue Verlainienne, dirigée par Hector Fleischmann et Léon Deubel et publiée de novembre 1901 à février 1902.

Jeaneau expose au Salon des Indépendants à partir de 1896, mais le système de diffusion des oeuvres artistiques ne semble pas convenir à cet original, qui ouvre une galerie où les oeuvres seront vendues sans intermédiaires, en 1907 il organisera à Angers "le Musée du Peuple", une grande exposition d'art contemporain. De sa première manière, celle dont il est question dans l'article de Fleischmann, nous ne connaissons que quelques illustrations ou dessins, il évoluera par la suite vers une peinture proche du fauvisme et de l'expressionnisme. Le musée d'Angers possède dessins et peintures de ce peintre représentatif d'une époque.


A. Mérodack-Jeaneau, autoportrait, 1904. Huile sur toile.

Musées d'Angers, cliché Pierre David.

Merodack Jeaneau sur Livrenblog : Tendances Nouvelles : Frédéric Fiebig, Vassily Kandinsky. Valentine de Saint Point. Tendances Nouvelles. Mérodack Jeaneau par Hector Fleischmann dans la Revue Contemporaine, Lille.

Voir Mérodack-Jeaneau illustrateur de "L'Homme-fourmi" et la bibliographie de la revue Les Partisans sur le blog de C. Arnoult consacré à Han Ryner

Hector Fleischmann poète.



mercredi 18 février 2009

Léo Trézenik et son journal Lutèce




Dans La Plume N° 159 1er décembre 1895, à l'occasion de la réédition de la Jupe, roman de Léo Trézenik (Léon Épinette), Willy se souvient de ses jeunes années et de ses débuts au journal Lutèce. Les relations de Trézenik avec Willy ne se limitèrent pas à cette collaboration, en 1891 il signèrent en commun Histoires Normandes, chez Ollendorff.
En 1885 paraissait chez Léon Vanier sous le pseudonyme de L.G. Mostrailles, Têtes de pipes, recueil de portraits parus dans Lutèce et accompagnés de 21 photographies d'Emile Cohl, les auteurs en étaient, Léo Trézenik et Georges Rall, on trouvera ci-dessous le compte-rendu qu'en donna la Revue Moderniste.

Lettre à Léo Trézenik.
Je viens de parcourir avec un intérêt amusé, mon cher Trézenik, les bonnes feuilles de votre Jupe, ingénieusement reprisée et rajeunie. Comment cet alerte roman repose des coupeurs de sensations en quatre, des sous-Barrès qui, remplaçant le talent de leur analyste en chef par des prétentions, couchent leur Moi sur la dalle de vivisection pour y chercher, trois cent pages durant, la « petite bête » - qui n'y est pas !
Au fait, est-ce bien un roman, votre Jupe ? J'en doute. Une étude ? Le mot serait pédant pour vous que j'ai connu, au Quartier, si fantaisiste étudiant. Quoi alors ? Je ne sais trop. Jadis, j'entendis dans sa chambrette de garçon de la rue Rousselot, le vieux Barbier d'Aurevilly, votre ami, qualifier cela de « lanterne magique ». Il avait raison, le vieux paradoxal. C'est un défilé de tableaux gaiement peinturlurés où des personnages de tout sexe, de tout âge et de toute humeur, s'agitent autour de l'invraisemblable Kerbihan, cet original gauchement copié par certains snobs d'aujourd'hui, cet homme à femmes « à rebrousse-poils » si j'ose ainsi parler, si peu humain, si rare au moins, si exceptionnel qu'il ne « couche » pas, (ou, en tous cas, jamais avec celle qui s'y attend et le désire) ce précurseur de Strindberg dont je comprends aujourd'hui, sans les approuver complètement les théories misogynes, glaciales comme une douche en hiver, qui décontenançaient les flambaisons jobardes de ma vingtième année.
A lire ce livre resté jeune, je me suis senti déjà vieux, riche, trop riche en souvenirs qui remontent à l'époque où parut la Jupe, je parle des temps héroïques où nous bataillions – avec quelle ardeurs ! Et quelles candeurs ! - dans Lutèce. Qui veut s'en souvenir aujourd'hui de Lutèce ? Qui ? Même parmi les arrivés qui tirèrent là leurs premiers pétards ? On n'y payait pas notre copie, c'est vrai, mais on ne la corrigeait pas non plus. C'était le bon temps, le temps des indépendances fabuleuses. Quand je pense que j'ai pu, sans que vous eussiez même la pensée de modifier ma critique, déclarer dans votre propre journal que vos poésies ne valaient pas le diable, (ce qui était exact, d'ailleurs) !
Plus d'un a su faire son chemin, de ceux qui tapageaient alors dans ce « vaillant petit journal », comme on l'appela durant les cinq ou six années qu'il vécut, dans ce « sale canard » ainsi que des rancunes le qualifièrent sitôt qu'il fut trépassé : Paul Adam, Maurice Bouchor, d'Esparbès, Haraucourt, Clovis Hugues, Jean Lorrain, Paul Margueritte, Moréas, Charles Morice, Jean Rameau, Henri de Régnier, Rollinat, Laurent Tailhade, Verlaine, Vielé-Griffin, Charles Vignier... et, bien sûr, j'en oublie.
J'ai relu avec un plaisir silencieux les chapitres où vous avez introduit dans l'action quelques-uns de ces « jeunes » là. L'idée était drôle, de mettre en scène sous leur nom véritable des littérateurs vivants, mais je me souvient que vos impertinences aristophanesques ne passèrent pas, alors, sans exciter quelque rumeur.
Jean Ajalbert lut avec horreur les diatribes farouchement anti-Mallarmistes qu'on lui prêtait ; moi-même je m'estomaquai un peu de certaines opinions que m'attribuait votre ingéniosité fumiste... Aujourd'hui, apaisés tous ces potins, cicatrisées toutes ces piqûres ! Aussi bien, assagi, vous avez benoîtement émoussé vos malices d'antan. Et puis à l'user de la vie, elles ont transigé, les intransigeances arborées en ces jours de juvénile outrance, et dans nos âmes, jadis enfiévrèes, une quiétude règne, faite de j'm'enfoutisme et d'oubli...
Bon chance, mon cher Trézenik, et bon succès.


WILLY.

La Plume N° 159 1er décembre 1895


Revue Moderniste N° 8 1885


Têtes de pipes littéraires, chez Léon Vannier.

Dans un fort beau volume, l'éditeur Vanier a rassemblé ces portraits parus sous la signature Bi-Masque dans le journal de rive gauche Lutèce, dont les discuteurs Trezenik et Rall ont ce qui est inappréciable de nos jours, du quant à soi dans le jugement. Ces portraits littéraires sont d'un ton extrêmement vif, mais fort amusants, ma foi ! Et tels qu'eût pu les signer Charles Demailly. A noter les esquisses de Maurice Rollinat, Laurent Tailhade, etc., etc.
Ce qui n'est pas le moins drôle, c'est ces lettres que l'auteur a eu la malice de demander aux bernés. Il y en a de furieuses, il y a en a d'aigres-douces.
Trezenik, dans sa lettre, dit qu'il ne se serait pas lui-même jugé différemment.
Parbleu !


Félicien Champsaur dans les Poètes Décadenticulets, un article publié dans le Figaro en 1885, et republié ici, présentait ainsi le journal Lutèce :


Le placard extravagant de la rive gauche où les décadenticulets publient leurs bizarres poèmes, où ils développent subtilement (c’est leur adverbe préféré) de baroques revendications, à pour titre Lutèce. Les directeurs, sous le pseudonyme de Mostrailles, ont portraicturé leurs collaborateurs. Vraiment, elles sont d’un aplomb rare, d’une audace imperturbable, les silhouettes que ce Mostrailles a tracées de ses amis. En riant, il leur dit d’amusantes vérités, dans le pamphlet qui est le seul organe de ces plus ou moins jeunes hommes.
Jugez :

1e Haraucourt, auteur d’un poème libidineux. « Il arbore la prétention d’entrer dans la femme pour nous dévoiler les mystères de sa psychique. Haraucourt, est un observateur trop superficiel… pour ne pas s’arrêter et se complaire à, au plus, dix centimètres… de la peau. »

2e Robert Caze : « Sa phrase est plate, grise, monotone. Les répétitions y fourmillent. »

3e Jean Rameau : « Un grand homme de province, ce pseudonyme prétentieux… sa claudication bizarre ajoute d’abord à l’étrangeté voulue, cherchée, de sa manière… Jean Rameau n’a qu’un luth, et ce luth est monocorde. Mais il en râcle d’une facon si constamment grinçante, qu’il finit par exaspérer les nerfs les moins sensibles. Ce qui est un effet comme un autre. »

4e Henri Beauclair : « Des parodies ? de la farce ? du funanbulisme… mais de l’art, non… C’est un simple Fusier de la littérature. »

5e Jean Moréas, Matamoréas, comme l’a baptisé M. Collignon, le secrétaire de Scholl, qui prend un peu de l’esprit de son maître. Mostrailles cite de Jean (oh oui ! Jean !) une profession de foi candide :

Je suis un Baudelaire, avec plus de couleur.

6e Paul Verlaine : « De l’échelle littéraire dont le pied trempe dans le ruisseau clair de la banalité et dont le sommet baigne dans la brume de l’insaisissable, Paul Verlaine est le suprême échelon. Plus haut, c’est le gouffre obscur de l’incompréhensible : c’est Mallarmé. »

Lutèce par Jean Ajalbert.

Willy sur Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy . Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Le Chapeau de Willy par Georges Lecomte. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux. Quand ils se battent : Willy et Julien Leclercq. Willy préface pour Solenière par Claudine. La Peur dans l'île. Catulle Mendès. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. En Bombe avec Willy. Maîtresse d'Esthètes par Papyrus. Quand les Violons sont partis d'Edouard Dubus par Willy. Le Jardin Fleuri. R. de Seyssau par Henry Gauthier-Villars.Willy fait de la publicité.

lundi 16 février 2009

Marques d'éditeurs (III)


Bibliothèque de l'Association (1896)



La Belle Page (Collection 1ère)

Eugène Rey par Georges Auriol


G. Crès


Henri Jonquières


R.-L. DOYON et les "MARQUES" de La CONNAISSANCE - Marques d'éditeurs (II)


CHARLES HENRY Encyclopédiste. Gustave KAHN se souvient.




Scientifique, mathématicien, inventeur, psychologue, érudit, Charles Henry est connu pour avoir influencé et accompagné les recherches du groupe de peintres néo-impressionnistes et plus particulièrement Seurat, puis Signac. Ces études pour une synthèse entre les sciences et les arts, sur l'esthétique scientifique, les rythmes, les formes et les couleurs, servirent de base scientifique à la critique de Félix Fénéon ainsi qu'a de nombreux symbolistes, de la Revue Indépendante à la Revue Blanche (où il tint une chronique des sciences). Inventeur (entre autre) d'un rapporteur esthétique et d'un cercle chromatique, utilisés par ses amis peintres, son influence fut grande dans les milieux de l'art des années 1885-1900. La liste de ses oeuvres, montre qu'il fut plus qu'un esprit curieux et un érudit ; un véritable encyclopédiste, ses recherches et publications s'étendent des rayons Röntgen, au lupus chez l'enfant, des calculs de probalités au jeux de la roulette à Casanova ou Mlle de Lespinase, des colorants nouveaux aux rayonnements biopsychiques, d'une critique de Malebranche par un Bénédictin à l'oeuvre ophtalmologique de Thomas Young, le cyclisme, la chimie, Voltaire, Wronski, Rameau, la lumière, les muscles, le zinc phosphorecent, la survie, tout ses domaines et bien d'autres furent abordés et étudiés par Charles Henry... Les Cahiers de l'Étoile, revue fondée autours de Krishnamurti, avec pour rédacteurs en chef I. de Manziarly et C. Suarès, consacra, en janvier - février 1930, un numéro en hommage à Charles Henry, en voici les collaborateurs :

Paul Valéry, Juliette Roche, Fernand Divoire, René-Louis Doyon (Aux écoutes du génie), Emile Gautier, Guillaume Jeanneau, René Jean (Souvenirs), Gustave Kahn (Quelques souvenirs de jeunesse) [reproduit ci-dessous], Léouzon-le-Duc, Georges Pillement (Charles Henry et Jules Laforgue), Gustave Piementa, Paul Signac, Georges Bohn (Quelques souvenirs sur Ch. Henry), Andry Bourgeois (Le rayonnement universel), I. de Casa-Fuente (Charles Henry, savant et mystique), E. Caslant, R. A. Fleury (Ch. Henry et la survivance), L. Genevois (Méthode expérimentale et raisonnements mathématiques de l'oeuvre de Ch. Henry), Albert Gleizes (Ch. Henry et le vitalisme), Dr R. Lutembacher (Ch. Henry universitaire), F. Warrain (La pensée de Ch. Henry), Victor Delfino. Bibliographie [fort incomplète] des oeuvres de Charles Henry.
Il faudra que je revienne sur ce personnage extraordinaire et dont l'oeuvre reste relativement peu connue, dans l'instant je laisse la parole à Gustave Kahn et a ses souvenirs des jeunes années.


CHARLES HENRY


QUELQUES SOUVENIRS DE JEUNESSE

par GUSTAVE KAHN



La première rencontre avec Charles Henry ? En 1879. Vers les dix-neuf ans, rue Mazarine. Il sortait, s'il m'en souvient bien, de la Bibliothèque de l'Institut. Il était long, maigre, blond avec d'extraordinaires yeux bleus de lac de montagne, vêtu de noir, coiffé du haut-de-forme. Il portait alors cette tenue sévère presque comme un uniforme.
« Quel Vélasquez ! » disait en l'apercevant pour la première fois le sculpteur Carriès. Rien d'extraordinaire à ce qu'une goutte de sang espagnol, chez ce Franc-Comtois, ne soit venue de belle source. Il évoquait les infants blonds, mais avec une image de souple vigueur et de la clarté dans les yeux. Sa famille : un père attaché à la régie des Tabacs. Une mère qu'il avait perdue très jeune, blonde, sentimentale, belle, disait-il, sourire doux, mains fines, grande liseuse, missel et roman courant, bonne, distinguée. Le père, avant que Charles Henry ne fût majeur, lui avait rendu des comptes et admis qu'il vint à Paris, en pleine indépendance. La possession d'un pécule favorisait chez Charles Henry sa haine des examens. Il prenait tranquillement la voie libre et difficile. Il était à la fois indécis et résolu, indécis seulement sur la route à prendre et, de peur de se tromper, il les prenait toutes.
L'érudition le sollicitait dans toutes les directions. Le voici fureteur à la Bibliothèque Nationale. Son goût très vif des lettres l'attache à cette enquête sur le dix-huitième siècle que les Goncourt avaient si brillamment commencée. Triomphe ! Il trouve une petite Vie de Watteau, par Caylus, que les Goncourt n'avaient point aperçue. Il publie les lettres de Mlle de Lespinasse. Il touche, plus haut dans les temps, à Huet, évêque d'Avranches. Il s'occupe de la musique et de Rameau. Ce qui ne nuit en rien à des travaux d'érudition mathématique, notes sur Woepke, sur des chiffres arabes, des notes nombreuses envoyées au Bulletin du prince Boncompagni, à Rome. A vingt ans, il a une liste de publications, notes, communications, qui remplit de caractères serrés une petite page. Ce n'est pas boursouflé, c'est dru. L'amour de l'érudition, du dix-huitième siècle, de la littérature, de l'aventure, l'attirent vers Casanova. La question pour lui (n'est-il pas le seul casanoviste qui se soit occupé de cela ?) est de savoir si Casanova, qui se piquait de mathématiques, était réellement un mathématicien. L'opinion d'Henry est affirmative. Mais d'un autre côté il s'attache à des recherches sur Fermat : il rencontrera sur cette route Lucas, qui devient un de ses amis. Il est naturel que, s'écartant de la route ordinaire jalonnée de diplômes, et pourvu, parmi son sens critique, de fantaisie, il soit attiré vers des savants méconnus, dont la figure s'est embrouillée de légende, et le voici passionné de Wronski. N'y a-t-il point là quelqu'écho d'enfance, de souvenir du cher Balzac, lu et relu par sa mère et peut-être à lui raconté, dans le désir d'aborder ce savant un peu étrange, un peu hors la loi, qu'il déclarera, avec plaisir génial, car Wronski apparaît dans l'oeuvre de Balzac anecdotique et comme voilé. Je le croirais. Malgré tout son labeur, il est fort liseur. Je lui fais connaître les oeuvres de quelques poètes que je préfère. Mallarmé lui paraît, à la lecture du fragment d'Hérodiade, une sorte de Racine plus pur et moins ample (ce qui manque pas de justesse). Les Fêtes Galantes l'enthousiasment au plus haut point.
Ferait-il de la littérature ? Sans doute, il y songe. Mais n'y faudrait-il point une étude préparatoire analogue à une étude scientifique ? Son esprit scrupuleux s'étonne devant la candeur des réalistes. Dans ce que l'on peut discerner de ses velléités, de ses songeries, s'il écrivait ce serait du roman d'analyse très moderniste, très scintillant, bref, décrivant les idées par illuminations brusques de pôles contrastants. Mais il hésitera toujours. Il n'a pas le temps de se sonder en écrivant un roman d'essai qu quelque grand essai critique. Il y a des idées d'ordre scientifique qui le requièrent absolument. Il y songe. Il en parle. Il écrira juste deux ou trois poèmes en prose, où il cherchera des accords de tons et de métaphores. Puis il a connu Sylvester et c'est un grand élan vers les mathématiques. Il est pénétrant, fin, précis, très capable d'écrire de belles oeuvres littéraires, indécis devant la construction littéraire et puis, surtout, il a à faire ailleurs.
Dans notre petite bande de jeunesse, on l'appelle « le Savant ». D'abord, le groupe est peu nombreux. Ferté, un orientaliste, lui, moi. C'est plutôt lui, peu liant, qui le fermerait. Mais il est impossible qu'il ne rencontre pas mon ami Charles Cros, dont il aime les vers et dont l'esprit scientifique l'enchante. Je lui ai beaucoup parlé de Jules Laforgue, que je viens de rencontrer tout inédit et tout indécis aux Hydropathes. Il hésite, il est méfiant, mais dès qu'il s'est décidé, une amitié fraternelle naît entre deux. Il a alors des détentes. La redingote noire et le haut-de-forme sont remisés pour les circonstances solennelles. Son travail acharné ne l'empêche point de s'intéresser à tout. C'est sa manière. Du temps qu'il commençait de s'occuper de Fermat, il donnait à la Gazette anecdotique l'explication d'un petit jeu de société à peu près oublié, le Taquin. Il cherchait les lois des oscillations des majorités électorales. Il songeait au rapporteur esthétique, au cercle chromatique, et rêvait de créer un fixe poussière (précurseur, en 1885, de l'aspirateur), un appareil à ailettes actionné par un mouvement d'horlogerie.
J'ai assisté à la mise en oeuvre de la création du rapporteur esthétique. Il entre chez un marchand d'appareils scientifiques, et optiques surtout, au bas du Boulevard Saint-Michel, petite boutiquette sans apparence. Il s'adresse au tenancier : - N'auriez-vous pas un appareil qui répondrait... L'autre lui assure que cela n'existe point... - Mais, dit Henry, ne croyez-vous pas alors que c'est à créer ? - Sans doute... Henry se démasque. - Je suis l'inventeur... Il s'explique. Le négociant tombe d'accord, et il s'associent pour créer le rapporteur esthétique... Si le négociant à qui il avait parlé, avec la même cautèle et la même hardiesse, de son fixe-poussière, avait compris aussi bien que l'opticien du boulevard Saint-Michel, la guerre aux poussières commençait en 1885.
Je ne donne point à ces anecdotes d'autre importance que de présenter des facettes du caractère d'un Charles Henry jeune et que ses admirateurs actuels n'on point connu. A mesure que les amis de jeunesse avancent parallèlement dans la vie, ils se connaissent moins ou, du moins s'ils sont plus au courant du caractère l'un de l'autre, spécialisés chacun de son côté, ils comprennent moins l'oeuvre que l'un et l'autre poursuit. Simple lettré, si je suis sûr que Charles Henry eut du génie, ce n'est point moi qui puis donner le détail de ses rêves et de ses réalisations. D'autres, très qualifiés, le feront dans cette revue, que je remercie de m'avoir appelé à écrire quelques lignes sur un ami qui me fut si cher, sur l'aube d'une amitié qui dura, sans nuage, cinquante ans.
Extrait de Hommage à Charles Henry, n° 13, janvier - février 1930 des Cahiers de l' Étoile.

Voir : Charles Henry, la Vérité sur le marquis de Sade.

LE GRAND JEU ne cherche que l'essentiel.


REVUES JEUNES
LE GRAND JEU
3, rue de Rohan, Paris (6e).
DIRECTEUR : ROGER GILBERT-LECOMTE.

LE GRAND JEU n'est pas une revue littéraire, artistique, philosophique, ni politique. Le Grand Jeu ne cherche que l'essentiel. L'essentiel n'est rien de ce qu'on peut imaginer : l'Occident contemporain a oublié cette vérité si simple, et pour la retrouver il faut braver plusieurs dangers, dont les plus connus et les plus communs sont la mort (la vraie mort, celle de la pierre et de l'hydrogène, et non pas de l'agréable mort, gorgé d'espérances et ornée d'excitants remords, que l'on connaît trop) – la folie (la vraie folie, lumineuse et impuissante comme le soleil éclairant une assemblée de magistrats, la folie sans issue, de celui qu'on abat comme un chien, et non pas l'heureuse folie qui est le plus charmant moyen d'occuper la vie) – la syphilis, la lèpre léonine, le mariage ou la conversation religieuse.
Non seulement ceux qui jouent le Grand Jeu sont à chaque instant près de tomber dans la crainte de jouer avec des dés pipés ; mais ils risquent sans cesse le supplice de l'homme, qui voulant se trancher les mains avec une hache, se coupe d'abord la main gauche et ne sait plus comment couper la main droite, la plus détestée. (Certains appellent cette situation un compromis).
Dans cette marche vers la patrie commune dont le nom sera peut-être révélé un jour, les membres du Grand Jeu font – comme par hasard – un certain nombre de découvertes qui peuvent intéresser, amuser, terrifier ou faire rougir le public. Ils les lui donnent.
Il s'agit avant tout de faire désespérer les hommes d'eux-mêmes et de la société. De ce massacre d'espoirs naîtra une Espérance sanglante et sans pitié : être éternel par refus de vouloir durer. Nos découvertes sont celles de l'éclatement et de la dissolution de tout ce qui est organisé. Car toute organisation périt lorsque les buts s'effacent à l'horizon de l'avenir, qui n'est plus qu'une barre blanche posée sur le front.
Ainsi s'émietteront les idoles entre lesquelles les hommes partagent leur adoration – ils ne savent pourquoi ni comment – Il est inutile de les nommer : elles empoissonnent l'air. Les goules que le Grand Jeu nourrit dans des locaux réservés à cet usage savent se nourrir de ces cadavres – car elles ne sont pas portées sur la bouche -.

N.-B. - Pour les personnes qui nous interrogent au sujet du Grand Jeu, nous répondons une fois pour toutes à n'importe quelle question : « Oui et non ». Nous sommes ainsi les premiers à faire servir la vanité du discours à quelque chose. Au surplus, nous ne ménagerions pas les conseils à ceux qui auraient le courage de nous interroger sans niaiseries ni restrictions mentales.

LA DIRECTION DU GRAND JEU.
Annonce insérée dans le numéro 13 de janvier - février 1930 des Cahiers de l'Étoile.


jeudi 12 février 2009

Jean LORRAIN : CONSUL [le singe des Folies-Bergère]



LE CHAÎNON MANQUANT


Le recueil de Jean Lorrain, Le Crime des riches, se termine sur un article sur le singe savant Consul, vedette des Folies-Bergère. Le pauvre singe fut un tel phénomène, qu'il devint la vedette d'un film "Consul Crosses the Atlantic", réalisé pour sa première visite aux Etats-Unis. Comme l'a montré Evanghélia Stead dans Le Monstre, le singe et le foetus. Tératogonie et Décadence dans l'Europe fin-de-siècle, si le singe trouble la fin du XIXe, c'est en concurrent de l'homme, en représentant de la force brute et de la vigueur sexuelle dans une civilisation vieillie. Le singe de Jean Lorrain ne fait pas parti de ces grands primates dessinés par Kupka ou Rops, il n'est qu'un enfant, le jouet des mondains et des soupeuses. Nous verrons, dans une série de billets à venir, que Consul servit peut-être de modèle à d'autres écrivains.


CONSUL
C'était à un souper de centième, il y a quelques mois. On sait trop ce que sont ces sortes de fêtes, c'est toujours le plus beau souper du monde. C'était donc à une de ces somptueuses assemblées de talents parisiens et de notoriétés de tous pays. Il y avait à celui-là les plus jolies femmes de Paris, celles du théâtre et celles d'ailleurs, les diva et les divettes, les comédiennes et les théâtreuses, les gloires et les demi-gloires, et les quarts de gloire aussi; les réputations consacrées et les étoiles de demain, les talents arrivés à l'ancienneté et ceux imposés par les subventions du riche bâilleur de fonds ou l'engouement un peu badaud qui est un des traits distinctifs de Paris ; et, pêle-mêle avec les diamants des belles épaules épanouies et et les Lère-Cathelin des maigreurs acides de débutantes, excités et surexcités au frôlement de tant de gazes et de moires, de tant de maquillages et de fards, tout ce que le feuilleton dramatique possède de chauves et de demi-chauves, de glabres et de barbus, d'étiques et de bedonnants. Il y avait donc là toutes les myopies, toutes les lunettes, tous les lorgnons, tous les sourires pincés des jeunes maîtres, toutes les lippes bienveillantes des vieux oncles et, avec l'élite du boulevard, nos plus tragiques jeunes premiers, nos plus sémillants comiques, nos plus brillants jeunes directeurs et nos plus solides actionnaires, et c'était, comme l'a écrit un des critiques du Temps, « l'esprit et la beauté de toute une civilisation réunis à un souper, d'une splendeur telle, que ne connurent certainement pas ni Aspasie ni Cléopâtre » (sic).
Eh bien ! on ne devinera jamais ce que ces hommes spirituels avaient imaginé pour amuser toutes ces belles personnes du théâtre et des arts. Il y avait alors dans un music-hall, parmi tant d'exhibitions, un pauvre petit chimpanzé, qui opérait entre dix heures et demie et onze heures. Il n'était même pas adulte, il n'avait pas quatre ans, mais il devait grandir, le malheureux petit singe, dont on avait rasé soigneusement les oreilles et le menton pour accentuer une attristante ressemblance humaine, n'était même pas dressé, mais il était, en vérité, merveilleusement intelligent. Affublé d'un habit noir et d'un pantalon de soirée, chemisé comme un clubman et cravaté de blanc, il arrivait à s'asseoir à table, à se servir d'une fourchette et à boire dans un verre, comme un enfants très mal élevé, puis il fumait un cigare de l'air ennuyé des phoque, jongleurs et fumeurs des fêtes foraines, marchait tout à coup à quatre pattes (la nature ayant repris le dessus), faisait quelques tours en vélocipède et, triomphe final, se déshabillait en scène et mettait alors en joie toutes les femmes par l'apparition de cuisses plus velues que celles d'un homme ordinaire, entre la blancheur des pans de chemise et la soie rose du caleçon.
C'était en somme un spectacle assez lamentable. Le public y prenait pourtant un certain plaisir : j'estime que chacun y trouvait une ressemblance arec un parent ou un créancier. « Tiens, c'est mon huissier ! » s'écriait couramment la petite dame saisie l'avant-veille. Jean Hiroux, lui, reconnaissait, et non sans motif, la face du président d'assises qui l'avait condamné jadis ; la magistrature possède, en effet, une laideur plutôt simiesque; et les familles, qu'avait déshéritées un oncle d'Amérique, voulaient lui trouver les traits d'un vieux commodore. Pour moi, j'avoue que Consul me rappelait surtout un très gros collectionneur du commerce parisien, il m'en rappelait même deux, que dis-je ? trois, tant le physique des vieux messieurs s'achemine diversement vers une laideur unique.
Pauvre Consul !
Le croirait-on ? Pour amuser et faire sourire toutes ces folies femmes de talent, de luxe, de joyaux et de soies, ces messieurs ne trouvèrent rien de mieux que de leur amener ce singe.
Consul, piloté par son barnum, prit donc place à une table entre deux charmantes soupeuses, nullement effarouchées, d'ailleurs, de quelques privautés, plutôt lasses, qu'il se permit à leur endroit. On a dit de Consul qu'il n'aimait pas les femmes, la vérité est qu'il ne les aimait pas encore. Consul n'était pas adulte, il n'était encore que fraternel pour la belle moitié du genre humain ; la misogynie est un degré de sagesse et de civilisation que n'atteignent pas sitôt les chimpanzés, même dressés par un « manager » de Londres.
Consul se montra donc plus qu'indifférent. Affalé sur la table, le nez dans son assiette, tel un viveur surmené, il se contenta de boire dans le verre de ses voisines et, d'un geste accablé, de leur caresser quelques fois le menton.
L'oeil inattentif et sournois, il parut s'ennuyer sérieusement a cette fête. Uniquement préoccupé des fruits d'un compotier posé devant lui, il fuma, machinal et excédé de bruit et de mouvement ; bref, il se montra dédaigneux et grossier d'attitude, en cela parfaitement pareil à quelques Yankees milliardaires tel que l'omnipotent capital les fait tous, pour l'édification des foules ; méprisant, familier et méfiant.
Par contre, son succès fut énormes son mépris affiché de forban enthousiasma les hommes et les femmes, les femmes surtout. Elles retrouvèrent là toutes avec plus de nature, le cynisme insolent des amants. « J'en ai connu de plus laids ! » déclara même l'une d'elles, vengeant ainsi, d'un mot, les sinistres corvées de l'alcôve. Jusqu'à la minute où, saoul comme un véritable prince, le pauvre chimpanzé s'étendit sur la table (un homme véritable eût roulé, lui, dessous) et, recroquevillé sur lui-même les mains jointes et les genoux rapprochés, apparut comme un misérable petit enfant malade oublié par une fille sur la table d'un restaurant de nuit, il eut autour de lui un cercle énamouré, on l'aurait presque dit, de belles bouches fardées, de sourires frais et d'épaules savoureuses. Il fut le « clou » de la soirée et un clou si solidement fiché que la table d'honneur et fut soudain déserte.
Cette table, qui était présidée par les deux plus spirituels auteurs de comédie de l'année... cette table pharamineuse entre toutes par la qualité de ses convives et la beauté de ses soupeuses, cessa immédiatement d'être le point de mire de tous. Ce fut à la table de Consul qu'alla et resta l'attention captivée : le succès fut déplacé, il y eut virement dans l'opinion. L'orgueil de quelques cabotins en souffrit.
Que trouvait-on donc à ce singe et qu'avait-il d'extraordinaire ?
– Mais la précision dans le geste ! répondit à un tragédien un caricaturiste plus expert que tout autre à discerner le vrai du faux et le naturel du convenu. Consul a cela de merveilleux qu'il ne fait pas un mouvement inutile ; il économise sa force et, chaque fois qu'il peut, la remplace par de la souplesse : c'est la grande école de la Mimique. Ne vous y trompez pas, ce singe est une leçon mieux, il est un livre.
– Que tous les comédiens devraient consulter, n'est-ce pas ? goguenarda un jeune comique.
– Peut-être. Regardez-le bien, il a les gestes de Guitry.
Et, les rosseries commençant, les obscénités éclatèrent.
– Tu ne trouves pas qu'il ressemble à mon dernier amant ? s'esclaffa la blanche Trois-Etoiles, qui ne croyait pas si bien dire.
A quoi, X. Y... se vissant son monocle dans l'oeil et enveloppant d'un regard circulaire toutes les nuques, les blondes et les brunes, penchées sur Consul :
– Avec laquelle va-t-il partir ?
Et de rire d'un rire bien boulevardier sur cette goujaterie.
Les soupers de centième sont des événements si essentiellement parisiens !
Quand la curiosité de chacune fut bien satisfaite et que toutes les gloires eurent assez contemplé ce singe saoul, le barnum s'approcha du pauvre petit être écroule sur la nappe, le réveilla en lui touchant l'épaule, et Consul, avec des yeux d'effroi pour toute cette foule amusée, jeta ses petits bras velus autour du cou de son manager et se blottit dans sa poitrine, comme un enfant qui eût retrouvé sa mère.

Et ce fut le départ de Consul.

– Consul mais allez donc le voir chez lui, Hôtel Continental, chambre 22. C'est un véritable personnage. Il a sa chambre à lui, comme un riche étranger. Avec votre carte de journaliste, on vous recevra ; mais téléphonez, si vous voulez le trouver. La fois que j'y fus, moi, il était au Bois. Il y va tous les jours de deux à cinq.
– Non !
– Comme je vous le dis, mon cher, c'est a pouffer. Au bureau de l'hôtel, c'était une trôlée de fournisseurs : le chapelier de M. Consul; le chemisier de M. Consul le huit-reflets du chimpanzé, la dernière commande du ouistiti.
– Mais c'est odieux et ridicule !
– Non, c'est très américain. Ah ces gens-là comprennent la réclame.
– Savez-vous la dernière de son manager ?
– Dites.
– Je l'ai croisé, hier, sur le boulevard ; je m'informai de son pensionnaire.
– Consul, m'était-il répondu, Consul est un peu fatigué, il reçoit un peu trop de visites, ce sont des interviews du matin au soir; j'ai dû éliminer, faire un choix ; nous attendons demain Mme de Thèbes, qui veut lui lire les lignes de la main.
Et, sur la foi des traités, j'allais voir Consul.
Je me cassai le nez au Continental, Consul était déménagé.
Je le trouvai installé dans un hôtel de la rue de Trévise, presque en face des Folies-Bergère. Là, je dénichai l'homme du jour dans une chambre du troisième, tenant à la fois de la ménagerie et du campement bohémien.
Consul à mon arrivée, dormait dans une sorte de malle grillée, qui lui servait de cage en voyage. On l'en fit sortir pour me le présenter.
Il y avait aussi dans la chambre, un petit nègre et un chien ; le nègre était attaché au service du chimpanzé ; le chien lui servait de jouet et de soufre-douleur. Avec quels yeux d'épouvante effarée ce quadrupède regardait ce quadrumane ! Il fallait voir Consul torturer et pincer et houspiller ce chien c'était pis que de la cruauté d'enfant, c'était de la cruauté de singe. Quant au petit nègre, son domestique, Consul partageait à son égard l'opinion des blancs vis-à-vis de la race noire : il ne le commandait que le fouet à la main. Ce singe traitait ce nègre en esclave ; Consul était presque digne d'être un homme.
Le manager, Consul le nègre et le chien cohabitaient dans cette même chambre, tous les quatre : sur une lampe à esprit de vin mijotait et chantait, léchée par la flamme, une potion pour Consul, qui toussait un peu.
Consul avait les bronches délicates ; cet enfant des tropiques redoutait notre climat. Irait-il à Nice, cet hiver ? Il en était question. Son manager préférait les Baléares. je songeais vaguement à Consul pour une reprise sensationnelle de la Dame aux Camélias ; il aurait, certes, lui, des gestes attendrissants de poitrinaire.
Pour me convaincre des talents de son pensionnaire, le barnum, qui m'avait trouvé froid, tendit à l'animal une feuille de papier blanc, qu'il avait froissée avant au préalable ; il faut vous dire que Consul chez lui, était vêtu d'un pyjama jaune à carreaux rouges et verts du plus pur américanisme. Ainsi vêtu, il avait l'air d'un minstrel.
Consul s'empara du feuillet de papier, nous tourna le dos, se passa la feuille au bas des reins, et puis, délicatement, la rendit d'un geste noble à son cher manager et ce geste m'apparut sublime.
Il résumait, dans une attitude, l'état d'âme de Consul vis-a-vis des foules qui l'admiraient.
Et je fus pénétré de vénération.
Consul mourut dans le courant de l'année de la phtisie gagnée dans nos climats et quelque peu développée par les londrès. les soupers de centième et les exhibitions dans les endroits de plaisir et les pires milieux, bars à la mode, boudoirs cotés et music-halls. Pauvre Consul ! Des courriéristes bien parisiens comparèrent sa fin précoce à celle de Max Lebaudy.
Quand ils ont tant d'esprit les enfants vivent peu. Pauvre Consul !

Jean LORRAIN

Un prochain billet sera consacré au roman d'Armand Charpentier, Le Roman d'un singe, qui présente l'avantage de mettre non seulement en scène un primate en flanelle, mais aussi un célèbre écrivain et critique d'art...

P. S. : J'ai le souvenir obsédant d'un portrait de Consul par André Rouveyre, mais il m'est impossible de me souvenir dans quelle revue ou volume il figure.

Voir aussi : Une gazette rimée sur Consul par Raoul Ponchon sur le blog à lui consacré, illustrée d'une belle affiche et d'un objet publicitaire à l'effigie du chimpanzé (Merci à Bruno Monnier).



mardi 10 février 2009

La Peur dans l'île. Catulle Mendès.



Voici comment était présenté le volume de contes et nouvelles fantastiques et policières de Catulle Mendès, Rue des Filles-Dieu, 56 ou L'Héautonparatéroumène, (1895, G. Charpentier et E. Fasquelle, Bibliothèque-Charpentier) dans le recueil d'articles de critique d'Henry Gauthier-Villars (Willy) pour l'année 1895.

L'héautonparatéroumène.

Voici un livre de Catulle Mendès sans amours, même sans amourettes, un livre consacré à la majesté de l'horreur, aux sinueuses hypocrisies du remords, aux subtilités de la peur, à l'épouvante des hantises, à la misère du crime, au néant de l'homme. Des êtres passent, dansent - presque pantins - jouets d'une volonté plus haute, mauvaise et sans doute amusée, qui leur impose ses caprices, qui les empoigne, qui les brise. Rien d'étreignant comme l'aventure de ce bon petit rentier batignollais, M. Brunois, inconscient meurtrier de par la perfidie des dieux et du chambertin, qui retourne au lieu du crime, se suit à la piste et finit par se livrer au juge d'instruction, pensant lui livrer l'assassin. Les finesses obtuses du pauvre homme, les fourvoiements de sa perspicacité cruelle, comme l'auteur les éclaire d'une lueur d'ironie tendre, où il y a de la pitié !
Voyez dans le même volume, ce merveilleux « Village près de la route » où le conteur de tant de contes prestigieux s'est révélé conteur plus inouï, où, de seconde en seconde, il aiguise l'émotion avec des mots qui sont des chuchotements d'Au-Delà, où la science des précautions oratoires multiplie les hésitations troublantes, les reculs effarés, les « repentirs » haletants, saisit, prend aux entrailles, subjugue le lecteur suant d'angoisse inavouée parmi les précises descriptions de cette apparition imprécise, et les calmes sortilèges de ce fantastique tranquille.
Certes, au-dessus du martyre de « l'Heautonparatéroumëne », au-dessus de l'ombre sans tête d'un Peter Schlemihl assassin et chapelier à Remy-sur-Oise, s'agite le rire frémissant, inextinguible, de quelque divinité méchante, inassouvie de mal, le rire inoublié de Mephistophela ; mais Catulle Mendès ne l'indique pas, il ne nous montre que la passivité pantelante des victimes qui se laissent traîner jusqu'au meurtre, courbées sans inutile révolte sous les caprices du Destin. Et, en ce livre aux habiletés infinies, toutes les caresses du mot, de la phrase, tous les frôlements d'un style adorable et pervers sont mis en oeuvre pour exaspérer le délicieux frisson de la peur, et en précipiter la pâmoison dernière...

Henry Gauthier-Villars (Willy) : Quelques Livres, année 1895, Bibliothèque de La Critique.


Indéniablement, deux nouvelles se détachent de ce recueil, Rue des Filles-Dieu, 56 et Un village, près de la route, pourtant ce n'est ni l'une ni l'autre que je choisi de reproduire. Si mon choix s'est porté sur La Peur dans l'île, c'est parce que l'auteur dans l'introduction explique l'une des spécificités de ces nouvelles. Celles-ci, contrairement au canon du genre, ne donne pas d'explications plausibles aux événement "extra naturels" qu'elles contiennent. La raison qu'en donne Mendès est fallacieuse, il se défend d'écrire un conte, de faire de la littérature, si l'explication fait défaut, c'est que l'histoire est réelle... Bien entendu il s'agit bien de littérature et d'autant plus que l'auteur se refuse à jouer au jeu des énigmes, au tour de passe passe d'un prestidigateur qui révélerait ses secrets. Mendès se confronte au genre fantastique, mais en refuse les règles. Que se passe-t'il dans La Peur dans l'île ? Un homme se retire du monde, il s'isole volontairement sur une île, et lors de la douzième nuit est réveillé par un bruit, une toux venue de nulle part, inexplicable qui le terrifie, la banalité même du sujet semble confirmer la véracité du récit. Ici, volontairement, pas d'ingénieuses inventions, pas de mystère à élucider, seule la toux qui brise le silence, seuls les mots "silence", "réveil", "seul", "désert(e)", qui reviennent, répétés inlassablement comme cette toux qui reprend à chaque endormissement. Mendès tente ici un tour de force, réduisant son histoire au minimun - l'isolement, la nuit, le silence - il tente de rendre l'effet de la terreur devant l'inconnu, l'inexplicable.


LA PEUR DANS L'ILE


Littérairement, l'inexpliqué est condamnable. Oui, je reconnais qu'un écrivain n'a pas le droit de conter des faits extra naturels, s'il ne s'est mis en mesure d'en fournir, à un point quelconque de son récit, - Théodore de Banville, par une horreur de la surprise, que Charles Baudelaire ne partageait pas, exigeait que ce fut dès les premières lignes, - d'en fournir, dis-je, l'explication plausible, dût-elle être fantastique. D'ailleurs, il semble valoir mieux qu'elle soit d'ordre réel. L'œuvre extraordinaire, mais jamais féerique, du grand Edgar Poë, triomphe précisément par cet art prodigieux de réduire enfin l'humanité presque banale, quotidienne pour ainsi dire, les plus prodigieuses, les plus déconcertantes, les plus épouvantantes anormalités. Qu'il y ait un peu trop d'analogie entre ce procédé artistique et le jeu suranné des énigmes, cela parait certain ; n'importe ; nous lui devons tant de parfaits chefs-d'oeuvre, qu'il n'est pas possible de le réprouver. Au total, le lecteur serait autorisé à accuser de puérilité, ou d'impertinence mystificatrice, ou de déplorable ingéniosité, l'écrivain qui, après l'avoir attiré, alléché, troublé, exaspéré même par une accumulation de miraculeux effets, tout à coup se déroberait a lui en révéler les causes, et, finalement le laisserait, comme on dit, le bec dans l'eau.
On m'a adressé de tels reproches à propos de quelques pages publiées ici même sous ce titre : « Un village, près de la route » ; et jamais ils n'eussent été mieux mérités, si, en écrivant ces pages, j'avais voulu faire œuvre de littérature, si je n'avais pris soin d'avertir, à plusieurs reprises, qu'il s'agissait non pas d'un conte, mais d'une histoire vraie, d'une aventure qui, outre moi-même, avait eu sept témoins, d'une aventure qui ne serait, je l'affirmais, niée par aucun de ces témoins, et qui, en effet, ne pourrait l'être, puisque, de tous points, elle est véritable et vraie, et vraie et véritable. Eh ! qu'il m'eût été facile - car l'habitude d'inventer, loin de stériliser l'imagination, la rend plus féconde et plus prompte aux enfantements - d'adapter quelque fantaisiste ou quelque raisonnable terminaison à cette bizarre et burlesque anecdote de voyage. Mais je ne l'ai pas voulu. Cela, par respect de la vérité, par respect, surtout, du mystère qu'il nous fut donné de voir et de toucher, par respect de ma peur. Et mon loyal récit, je ne l'ai pas relu avant l'impression, de peur d'être incité à des remaniements ou l'artiste, c'est-à-dire le menteur, aurait eu trop de part. On a dû y remarquer, assez nombreuses, des incorrections qui, dit-on, ne me sont pas familières. J'espérais que quelques fautes de langage, çà et là, seraient autant de preuves de ma sincérité.
Quoi ! vous ne m'avez point cru ? Etes-vous donc de ceux qui jamais ne sentirent dans l'inexplicable, grotesque ou terrifiant, de quelque fait, la malice ou la cruauté d'un invisible et obscur entourage d'êtres – sont-ce des êtres ? attentifs à l'existence humaine et toujours avides de se manifester, mais toujours prestes à se dérober quand la brusquerie curieuse de notre raison va les surprendre et les traîner au plein jour de la constatation ? Pour moi, bien des fois j'en ai éprouvé l'approche toujours plus resserrée (qui jamais ne fut tout à fait une présence !) et, accueillie avec malaise ou avec joie, selon que le moment de mon âme me disposait à l'épouvante ou à l'espérance de l'inconnu, j'en ai gardé, aimables ou douloureux, des souvenirs de frissons que je n'aurais pu devoir à aucune aventure humaine.

En ce temps-là je venais d'avoir vingt ans je connus une grande douleur. Une femme que j'aimais tendrement m'avait trahi. De plus amères détresses que celles d'être trahi par la femme qu'on aime tendrement, il n'en existe point. Plus tard, vieillis, quand leurs cœurs se sont éteints, c'est la coutume de bien des hommes de railler leurs désespoirs de jadis, d'en douter même. Ces gens ressemblent à des amputés niant la souffrance qu'ils endurèrent dans le membre qu'ils n'ont plus. Mais le cœur des poètes se survit en la persistance du rêve ; nous pleurons toujours nos anciens pleurs.
En ce temps donc, ma douleur toute neuve me conseilla d'oublier mes ambitions, mes orgueils, et, de fuir, de m'exiler. Un seul besoin : quelque solitude comparable au vide qui s'était fait en moi-même. Cette solitude, je la trouvai, non loin de Paris, dans une petite île étroite, étendue entre les bras à peine écartés d'un fleuve. On n'imagine pas, coudoyé de tant de passants, combien le désert est proche des foules ; il suffit de marcher pendant quelques heures pour être tout à fait isolé. L'île qui fut mon refuge était trop petite pour qu'on y bâtit un village ; trop peu fertile, - roc sans humus, - pour qu'on y essayât des cultures ; trop peu agréable à l'oeil, - dépourvue d'arbres et de pelouses, - pour qu'une guinguette y installât des balançoires et des jeux de tonneau. Dès que le batelier s'en fut retourné, je me trouvai seul, absolument seul ; je découvris une vieille hutte de cantonnier, abandonnée : c'était là que je dormirais ; des vivres dans des boîtes en fer blanc, quelques bouteilles, des paquets de tabac - j'avais apporté tout cela, - me suffiraient amplement durant l'espèce de retraite que je comptais faire en ce lieu sauvage et mon âme douloureuse s'apaiserait peut-être dans le silence et la solitude.
A quoi bon dirais-je cela, si cela n'était pas vrai ? Quel serait mon mérite d'inventer un aussi banal exil d'amant que la trahison rendit misanthrope et misogyne ? Ceux qui me connaissent depuis longtemps se souviennent sans doute d'avoir raillé le morose entêtement qui, tout un mois, me tint éloigné d'eux et des combats littéraires et de mes plus chers travaux. En vérité, j'écris, sans littérature, les choses telles qu'elles furent ; et tout est véritable dans mon récit, même ce qui en paraîtra vraiment extraordinaire, même ce qui m'éveilla vers le milieu de la douzième nuit...
Seul je ne connus pas l'ennui, ni le regret des multitudes. Je tournai rarement la tête vers l'un ou l'autre quai du fleuve qui, de ses bras peu écartés, étreignait l'île ; jamais je n'éprouvait l'envie de héler le batelier, de rentrer dans l'animation de la bourgade voisine où chantaient ; le dimanche, des canotiers. Je me plaisais dans mon île, parlant avec mon chagrin, l'interrogeant, lui répondant ; nous nous entendions très bien, tous les deux. Je marchais longuement sur le sable et les pîerrailles, ou bien je m'asseyais, nonchalant, sur un avancement de roche vers l'eau. Et loin de souhaiter des couleurs et des voix, j'étais satisfait qu'il n'y eût ici pas du tout de fleurs et pas du tout d'oiseaux.
Les nuits surtout m'étaient douce, à cause du silence, - car le fleuve coulait si lentement, car le vent remuait à peine les feuilles des rares arbres, car le ciel était si lourd d'ombre muette, a cause de l'immense, à cause de l'infini silence ! Et au milieu de toute l'île déserte, pareille à un cimetière sans fantômes, mon lit dans la hutte, mon lit d'herbages secs, que j'avais entouré de vielles planches, était comme dans une cave ou un cercueil où l'on dort bien.

Ah ! que j'y dormais bien. La fatigue des fréquentes et lentes marches, avec l'amas des désespoirs alourdis en mélancolie, me jetaient sur la couche, et, sans rêve, je dormais, longuement. Onze nuits je dormis, sans réveil avant l'aube, dans le parfait silence. Mais je m'éveillai vers le milieu de la douzième nuit...
Je m'éveillai en sursaut ! j'étais assis, dans l'ombre, les yeux écarquillés, le coeur battant. Pourquoi m'étais-je éveillé de la sorte, si brusquement ? Je ne savais pas, J'avais beau me demander « pourquoi donc me suis-je éveillé de la sorte, si brusquement ? » je ne savais pas. J'eus enfin le vague souvenir d'un bruit qui, tout à coup, avait retenti et m'avait éveillé. Mais quel bruit ? Je ne savais pas. Allons, sans doute j'avais eu le cauchemar. Je m'étendis, je me renfonçai dans l'aimable, dans le cher néant du sommeil.
Je me redressai ! Cette fois, je savais, oui, je savais ce qui m'avait tiré du repos. C'était le bruit d'une toux. Quelqu'un, j'en étais sûr, avait tousse dans le silence de la nuit, dans le désert de l'île.
Idée absurde.
Puisque j'étais seul, absolument seul, dans l'île déserte, dans la nuit silencieuse.
Pourtant, c'était bien une toux que j'avais entendue.

Je souris.
Il était probable que j'avais toussé, moi-même, en dormant ; je devais avoir pris froid, le long de l'eau, la veille ; c'était mon propre rhume qui m'avait secoué.
Je souris encore. Je me rendormis. Le réveil, dès l'aurore, me fut doux, et douce la journée dans la bonne solitude, et doux le somme du soir. Mais, vers le milieu de la treizième nuit, - oui, vers le milieu, je pense, de la treizième nuit - de nouveau je sursautai sur mon lit d'herbes sèches, comme un soldat qu'éveille le clairon ! et stupéfait, effaré, un frisson froid le long des reins, j'entendais qu'on toussait, qu'on toussait, qu'on toussait toujours. Voyons ! est-ce que, assis, je rêvais encore ? non, je ne dormais plus, j'étais sûr de ne plus dormir. Etais-je fou ? non, je n'étais pas fou. J'étais sûr de n'être pas fou. Alors, qu'est-ce que c'était que cette toux ? Puisqu'il n'y avait personne dans l'île, puisque j'étais seul dans l'île, puisqu'un aussi faible bruit que celui de quelqu'un qui tousse n'aurait pu venir des villages ou de la route le long du fleuve, puisque, moi, je ne toussais pas, qu'est-ce que c'était que cette toux, et d'ou venait-elle ? Plus froid, le frisson secouait mes reins. De la glace me fondait aux tempes. Car cette toux était terrible ! Tantôt, légère, toux d'un enfant pris de la coqueluche, elle sonnait par saccades sèches, a d'inégaux intervalles, et déchirait le silence comme un ongle raye une vitre ; tantôt, lourde, toux d'un vieil asthmatique, elle s'acharnait en glouglous gras de bulles s'enflant et montant dans une boue de bile. Elle était si distincte, qu'elle me semblait toute proche, oh! oui, toute proche : c'était dans la hutte même qu'on toussait ! certainement c'était dans la hutte même ! ou derrière le mur de la hutte ! et, en même temps, elle me semblait très lointaine, à cause du son étrange, du son de mystère qui était en elle. Un instant, je crus que c'était au-dessous de moi que l'on toussait ! je pensai que je m'étais couché sur quelqu'un, enfant ou vieillard, que mon poids oppressait jusqu'à cette quinte ! Puis, je m'imaginai, frémissant et suant, qu'à bien des lieues de moi agonisait un petit garçon en proie au croup, ou râlait un centenaire enfin moribond. Je sautai de mon lit, je sortis dans les ténèbres. J'avais eu le soupçon que, le soir, quelque vieux mendiant, avec l'un de ces pauvres petits qui tendent la main, s'était introduit, à mon insu, dans l'île, et qu'ils toussaient, frileux, souffreteux, l'un après l'autre, et ensemble, au pied d'un arbre. Non, personne. La solitude dans l'ombre. D'ailleurs, dès que j'avais quitté la hutte, la toux avait cessé de sonner. Je rentrai, je me recouchai, j'écoutai... Rien, plus rien, c'était fini... le silence... Rompu d'effroi, je m'endormis.

Mais toutes les nuits recommença, grêle comme une toux d'enfant, ou grasse comme une toux de vieux, très lointaine à la fois et toute proche, la quinte, l'obstinée, la déchirante, l'épouvantable quinte ; et je l'écoutais, des heures entières, terrifié, une sueur froide me coulant de la nuque aux lombes. Quelquefois elle se taisait. Je respirais librement. Peut-être il était mort, celui, enfant ou vieillard, qui toussait. Oh ! il était mort enfin ! Mais, bientôt, plus effrayant après le silence, le râle saccadé se remettait à déchirer la nuit et le silence et mon âme effarée et mon cœur et tout mon être. Et je râlais moi-même d'effroi, en l'obsession de cette toux d'agonie. Ah ! vous pensez bien que, le jour, délivré des angoisses, je cherchais, ma raison recouvrée, à me rendre compte de l'odieux bruit nocturne. Non ! Non ! rien ne le pouvait expliquer ; dans l'île, il n'y avait pas d'orfraie au rire horrible qui sanglote, il n'y avait pas d'antre, d'où le vent peut ressortir en plainte rauque, pas d'anfractuosité de roche où l'eau tourne et pleure par secousse ; et les plus prochains villages, les plus proches routes étaient trop éloignés pour que m'en parvint la quinte de quelque vivant ! Pourtant, chaque nuit, à la même heure, sonna la toux, l'affreuse toux, dans le silence désert de l'île...


Catulle Mendès


On trouvera une analyse de Rue des Filles-Dieu, 56, sur Fabula : Marion François , "Catulle Mendès, 56, rue des Filles-Dieu : l’invention du détective « héautonparatéroumène », ou un coupable acharnement", Séminaire "Signe, déchiffrement, et interprétation", URL : http://www.fabula.org/colloques/document917.php

Catulle Mendès sur Livrenblog : La Brasserie : Léon Bloy par Catulle Mendès. Lucien JEAN - Catulle Mendès. Samain : Mendès. Lorrain. Jeanne Jacquemin. et un peu partout, tant il est impossible de parler de cette période littéraire sans citer son nom.

Willy sur Livrenblog : Cyprien Godebski / Willy. Controverse autour de Wagner. Les Académisables : Willy . Une photo de Mina Schrader, esthéte et anarchiste. Willy, Lemice-Terrieux et le Yoghi. Romain Coolus présente quelques amis. Colette, Willy, Missy - Willy, Colette, Missy (bis). Pourquoi j’achète les livres dont personne ne veut ?. Le Chapeau de Willy par Georges Lecomte. Nos Musiciens par Willy et Brunelleschi. Nos Musiciens (suite) par Willy et Brunelleschi. Willy l'Ouvreuse & Lamoureux. Quand ils se battent : Willy et Julien Leclercq. Willy préface pour Solenière par Claudine. Léo Trézenik et son journal Lutèce. Jean de Tinan, Willy, petite revue de presse. En Bombe avec Willy. Maîtresse d'Esthètes par Papyrus. Quand les Violons sont partis d'Edouard Dubus par Willy. Le Jardin Fleuri. R. de Seyssau par Henry Gauthier-Villars.Willy fait de la publicité.



vendredi 6 février 2009

Exposition Lévy-Dhurmer par FAGUS



Exposition Lévy-Dhurmer (1)

Avec les murs emmitouflés de ce hall coquet et exigu : un boudoir, - la trentaine de pastels et de peintures s'harmonisent : c'est comme des ailes de papillons qu'on aurait appliquées, les ailes velouteuses des gros papillons du soir et de l'automne, ces ailes ou fauves ou bleuâtres : couleur de l'automne et de la nuit et du crépuscule, et dont les ocelles multiplient de vagues visages ; de la poussière de couleur, une buée de couleur ; le visiteur a peur, devant, d'avoir trop fortement respiré. Les plus vigoureuses, les plus intéressantes – et leur vigueur détone parmi ces apparitions effacées – s'intitulent Masques : masque de M. Claretie, masque de M. Cornély ; et les quelques autres portraits sont aussi des masques : l'épiderme facial découpé, tranches de visages sans les os, sans le crâne ; le buste de Mlle Moreno, dans son rôle du Voile, s'étale, mat et blanc, tout en surface, ainsi qu'une hostie. Le reste, évocation d'un symbolisme cherché, et un peu court (parfois rappelant, titres, présentation, idée, et jusqu'au même bleu, tel le Silence, Osbert), fait voisiner la Grèce, l'Evangile, la Bretagne, les légendes, les bois et leurs frissons, etc. : Il était une fois une princesse, les Mystères de Cérès, Notre-Dame de Penmarch, il neige des feuilles, la Cruche cassée (...demoiselle toute nue, vue de dos, mais d'agréable physionomie) ; le mystère y est commodément suggéré par le flou des silhouettes noyées dans une pénombre versicolore, les problèmes de l'âme par une figure aux yeux battus, et qui ubiquite avec indiscrétion. Cela témoigne de la virtuosité de l'artiste, et de la variété de son inspiration, mais aussi d'une bienveillance un peu outrée à plier son art aux aspirations spéciales de la mode et du monde, du beau monde à qui ne déplaît pas quelques maniérisme de bon ton. Or, les Masques, d'une toute autre facture, aussi d'un tout autre effet, montrent ce que pourrait le peintre, laissant avec franchise, sans habileté, bêtement, son tempérament aller : la différence est telle que les autres ouvrages ne semblent pas du même peintre ; et cela est : il sont de son public.

(1) Hall de la Société d'éditions artistiques, 30, Chaussée-d'Antin, Paris


FAGUS
Revue Blanche janvier 1900




Fagus sur Livrenblog : Fagus : Picasso 1901. - Albert Samain par Fagus - Opinions sur Gauguin 4e livraison FAGUS - Durio, Bocquet, Maillol, etc.

Fagus sur Cynthia 3000 : Visite à Frère Tranquille - Admirable Fagus !

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