mercredi 27 mai 2009

WILLY Publicité littéraire.


Pour la publication de Minne cinquième roman de Colette signé par son mari Willy, Ollendorff édita un prospectus publicitaire où l'on pouvait lire une lettre de Claudine à Polaire et la réponse de celle-ci.
Polaire vient de jouer le rôle de Claudine sur la scène des Bouffes-Parisiens, avec un grand sens de la publicité Willy utilisera la jeune actrice afin de faire la promotion de ses productions (voir sur Livrenblog : Polaire, actrice et chanteuse).
Claudine se plaint d'être abandonnée par son auteur au profit de Minne, une autre jeune femme, dont les aventures vont bientôt paraîtrent. Mais Polaire rassure Claudine, et par là Willy rassure ses lecteurs, il ne seront pas perdu avec son nouveau personnage, Minne (1) ressemble beaucoup à Claudine, et le succès de l'une fera celui de l'autre.

De Claudine à Polaire

Claudine

Que lui ai-je donc fait, mon petit ? Ai-je donc démérité ? De quel noir attentat me suis-je rendue coupable ?... Ah ! Tu écarquilles tes yeux en amande, médusée de m'entendre clamer de la sorte, à la tragique, presque en alexandrin ?... Mais, oui, na ! Je ne suis pas contente ! Que n'avais-je fait pour lui ? Ecole, boulevard et boudoir, Montigny, Montmartre et autres lieux, je lui ai permis de me suivre partout : Claudine enfant, Claudine mariée, Claudine maîtresse, je lui ai ouvert toutes mes âmes ; et il n'a pas à se plaindre, le gaillard !
Tout Paris pour Claudine à les yeux de Willy.
Claudine ! Claudine ! Tout le monde la connaît, on se coiffe comme ellle, on parle son argot dans les meilleurs salons, il n'y a pas de gamine un peu gentillette, au nez retroussé, aux cheveux voletants, à la jupe trop juste de l'âge ingrat, qu'on ne salue en passant d'un sourire amusé : « Claudine ! » Claudine est devenue un type dans la société, un nom commun dans la langue : n'est-ce pas une manière d'immortalité ? O Willy,
Si l'orgueil prend ton coeur quand le peuple me nomme,
Que de mon titre seul te vienne ta fierté !
Et voilà qu'il m'abandonne... l'ingrat ! Une femme chasse l'autre : « Claudine s'en va » : voici « Minne ! » Tu n'es donc pas jalouse, Polaire de supporter ainsi cette trahison, Polaire, mon amie vers qui j'élève ma plainte, gémissante et confiante, Polaire, écolière au tablier noir qui me ressembles comme une soeur... Et comment ne l'as-tu pas arrêté, lui, notre Willy, sur le bord du crime ?...












De Polaire à Claudine

Que de larmes et que de fracas, ma Claudinette ! Et comme l'amertume fait remonter à ta mémoire toutes tes réminiscences de théâtreuse ! Tu es amusante comme tout. Ce ne sont pas des plaintes, mais des imprécations ! O Camille, la plus noble et la plus virulente demoiselle de tous les temps, vous ne fûtes auprès de Claudine qu'auprès du cèdre l'hysope ! - Eh bien, tu as tort !... Minne, ce n'est pas Claudine, certes, c'est autre chose, et c'est Claudine quand même, - filette de famille, aussi naïve que délurée, que la quotidienne lecture du journal paternel et de ses faits-divers bizarrement compris, emporte en d'étranges imaginations et de plus étranges aventures, - tout cela de la meilleure foi du monde, avec des sourires et de l'esprit, et de la malice, et de la gaieté, mélange singulier où fraternisent la petite fleur bleue des familles et le chardon sauvage des barrières. Vois-tu, amie, il ne faut pas que nous soyons jalouses, car Minne, c'est encore toi, c'est encore nous ! Et crois-tu que son nom « dirait quelque chose » à la petite femme, avide de savoir et de plaire – même à son mari ! - qui promène à l'aveuglette ses impatientes et naturelles curiosités, - si nous n'étions pas un peu d'elle-même, par je ne sais quel petit coin où nous nous rencontrons avec elle en cachette. - discret libertinage, vagues étonnements, hésitantes audaces, féminéité quand même, et pardessus le marché, les petits morceaux d'un grand quelque chose qui n'est pas si vilain : - la femme... comment dirais-je ? Fin de siècle, non pas ! Mais commencement de l'autre – va donc, j't'en fiche, Claudinette, on ne parlerais pas de Minne, ni de toi. Mais grâce au diable, on en parle beaucoup. Minne for ever ! C'est le plus bel hommage que le public te rende !... Et puis, il ne faut pas en vouloir à Willy : il est si « prenant », il dit si gentiment tout ce qu'il dit, même ce qu'on ne dit pas !... Allons, commère, un bon mouvement, que le Willy calembourgeois me pardonne, et, dans une embrassade générale, le coeur transporté d'allégresse,

Jurons qu'autant qu'à Claudine,
Pour Minne,
Du public, à sa vitrine,
Le libraire trouvera
- Hourra ! -
Souriante et bienveillante
et « payante »
La mine !



(1) Minne sera l'héroïne de deux romans signés Willy, Minne et Les Egarements de Minne (Colette en 1909 reprendra ses deux volumes pour en faire L'Ingénue libertine).

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