mardi 7 juillet 2009

Une Enquête au Beffroi





La revue lilloise Le Beffroi, pour son dernier numéro de l'année 1904, lançait une enquête sur les poètes et la poésie. J'ai choisi parmi les cent deux réponses d'en donner quelques-unes.
L'idée de former une Académie de poètes fera son chemin avec la création en 1937 de l'Académie Mallarmé dont l'aventure nous est contée par SpiRitus sur le blog les Féeries intérieures.

Enquête sur les poètes et la poésie


Question :
Aux poètes et à quelques écrivains qui aiment la poésie, Le Beffroi a posé les questions suivantes :
Si, pour compléter l'Académie Goncourt et sur son modèle, un homme bien renté instituait une Académie indépendante de poètes :
1° Quels seraient, selons vous, les dix nouveaux immortels à élire ? (les femmes sont admises et aussi les poètes français de Belgique.)
2° A quel volume de vers paru cette année décerneriez-vous le prix ?
Nous avons reçu cent deux réponses
.

Christian Beck. - Voici dans l'ordre alphabétique, sept noms que j'affirmerais tout d'abord : Jammes, Kahn, Van Lerberghe, Moréas, Régnier, Verhaeren, Viélé-Griffin. Je ne saurais, pour les trois noms manquants, voter au premier tour. Entre une dizaine, j'attendrais que le sort, plutôt que moi-même, élimine. Parmi les volumes de vers parus cette année, je choisirais La Chanson d'Eve [de Charles Van-Lerberghe].

Léon Bloy. - Ma réponse à votre enquête sur les poètes est simple.
Je ne connais, à l'heure actuelle et depuis longtemps, qu'un seul poète méritant une récompense. C'est Jehan-Rictus l'auteur des Soliloques du Pauvre.
J'ai très amplement motivé ce choix dans un de mes plus récents livres, Les Dernières Colonnes de l'Eglise, qu'il vous est loisible de consulter.

Léon Bocquet. - Henri de Régnier et Jean Moréas, déjà disciplinés, seront, je suppose de l'Académie Richelieu. Le génial et tumultueux Verhaeren n'en sera point, mais il présiderait le dizain des nouveaux immortels. Dans cette improbable assemblée, j'aimerais voir éclectiquement réunis et se regarder sans rire : Charles Guérin, le plus complet peut-être et le plus complexe à coup sûr des artistes contemporains ; son ami Francis Jammes, admirable et subtil trouveur d'émotion ; Pierre Louÿs le poète d'Astarté, d'Aphrodite et de Bilitis ; Paul Fort, virtuose original des sons, des formes et des couleurs ; Léo Larguier, ce provincial aux écoutes de la grande nature ; André Rivoire, classique sentimental : Renée Vivien, âme d'une mysticité païenne et douloureuse ; la Comtesse de Noailles, au panthéisme lyrique et suggestif ; Lucie Delarue-Mardrus, écho multiple et passionné ; Jean Dominique (Marie Closset) dont l'ingénuité confidentielle est si douce.
Pour éviter même le soupçon de favoritisme, j'omets tous mes amis, sans quoi il faudrait porter à vingt au moins le nombre des élus.
Les « Quarante » auront, comme toujours, des principes et, comme quelquefois, du goût et couronneront les Poèmes de Louis Le Cardonnel en regrettant d'avoir ignoré jadis le Coeur solitaire de Guérin. Les « Dix » récompenseraient Pomme d'Anis de Jammes et le Visage émerveillé de Mme de Noailles, pour la joie des poètes et l'étonnement des cuistres qui ne savaient pas la poésie indépendante d'une disposition typographique.

Saint-Georges de Bouhélier. - Il y aurait en effet une Académie à élire ; ce serait celle des grotesques. J'aimerais choisir les poètes les plus plats, les plus faussement originaux, les plus factices, de ce temps, et – par dérision – les élever enfin au titre auquel ils aspirent. Mais, qui prendre, entre tant d'exécrables plagiaires, entre tant de contrefacteurs de l'immortelle Poésie ! En vérité, de Gregh à Rameau, ils sont trop !

Léon Deubel. - Trois classiques : Fernand Séverin, Valère Gille et Charles Guérin. Un romantique : Paul Fort. Deux Jammistes : Francis Jammes (dans ses proses) et Mme de Noailles (dans ses vers). Le passé glorieux : Henri de Régnier et Stuart Merrill. L'avenir : Mme Jean de la Hire (Marie Weyrich). Et présidant ceux-ci, Albert Giraud, le poète de Hors du Siècle et l'un des plus grands artistes de ce temps. Le livre à couronner : La Ruche (à paraître) d'Henri Delisle.

Félicien Fagus. - Je me figure au seuil les marbres de Baudelaire et Stéphane Mallarmé : dans la salle, sous les bustes de Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine, Laforgue, Rimbaud, Emmanuel Signoret, Samain, prennent place Maurice de Faramond, Paul Fort, Francis Jammes, Maurice Maeterlinck, Jean Moréas, Péladan, Henri de Régnier, Paul Roinard, Saint-Pol-Roux, Stuart Merrill, Emile Verhaeren, Francis Viélé-Griffin. L'heureux instant où nous sommes ! Pour dix que vous demandez, d'emblée en voici douze.

Hector Fleischmann. - Emile Verhaeren, Albert Giraud, Albert Lantoine, Stuart Merrill, les héroïques ; Mme de Noailles, en qui survit l'âme étonnée et attendrie de Ronsard qui célébra la Cassandre française ; Paul Fort et Léon Deubel, au coeur de qui afflue la vie innombrable et multiple ; Georges d'Esparbès, âme héroïque et tumultueuse, le plus extraordinaire poète des épopées ; Auguste Villeroy, qui écrivit « Héraklea » et « Héliogabale », deux chefs-d'oeuvre ; et François Coppée, afin que dans cette académie il serve de repoussoir à ces neuf admirables poètes.
Livres à couronner ?... Les nôtres... mais ils sont trop.

René Ghil. - Si « à l'imitation de l'Académie Goncourt », un homme de qui la famille attaquerait sûrement le testament, fondait une Académie de poètes, - quels Immortels élire ? Je suppose encore que ceux que, d'immédiate mémoire, je vais nommer, concentent à l'immortalité ainsi consacrée, - et voici : Francis Vielé-Griffin, Henri de Régnier, Emile Verhaeren, Stuart Merrill, Max Elskamp, Jean Moréas... Et ceux-ci en pourraient dire d'autres, - s'il en faut dix.
Et - « à quel volume de vers paru cette année décerner le prix » ? - Aux « Hiers bleus » de John-Antoine Nau, ex-aequo avec les Paysages Introspectifs, de T. de Visan.

Paul Léautaud. - Voici ma réponse : 1° Henri de Régnier (mais il est pour l'autre Académie !) ; Jean Moréas, Francis Jammes (celui d'avant les niaiseries d'Existences), Charles Guérin, Mme de Noailles (pour ne pas me singulariser). Je ne trouve pas les autres. Les vieux poètes parnassiens m'assomment, et les jeunes poètes maraîchers ou humanitaires qui sévissent actuellement ne m'intéressent pas. 2° Je ne donnerais le prix à aucun volume. Il faut bien que je le dise, du reste. Il n'est guère de poème écrit ces vingt dernières années qui vaille pour moi la pièce de Nietzsche intitulée Mon bonheur, dans le Gai Savoir.

F.-T. Marinetti. - Voici ma réponse à votre intéressante « Enquête sur les Poètes et la Poésie » : 1° Léon Dierx, Gustave Kahn, E. Verhaeren, L. Tailhade, H. de Régnier, F. Vielé-Griffin, Francis Jammes, Paul Fort, Pierre Quillard, Camille Mauclair. 2° Destruction (Léon Vanier, éditeur Paris), de F.-T. Marinetti !... Honni soit qui mal y pense !

Théo Varlet. - Je doute que Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Samain ou Laforgue se fût volontiers laissé enrôler dans une académie – voire à la Goncourt. Je ne veux non plus offenser de tel vote les rares contemporains vivants dont je chéris les oeuvres. Les versificateurs de l'espèce universitaire, à mon avis, s'honoreraient d'être académistifiés. - Je regrette de n'en pas connaître dix à vous signaler. Votre seconde question hypothétise que mon vote, pour un prix, se joindrait à ceux de l'honorable compagnie. Ma trop décimale, en ce cas, importance, m'incitera au simple bulletin blanc... D'ailleurs, 1903 date le plus récent volume de poésies, que j'admire. Il faut m'excuser : je connais mal les dernières actualités poétiques.


LE BEFFROI, Fascicule 50, décembre 1904.

Voir la bibliographie, en cours, de cette revue fondée par Léon Bocquet, Edmond Blanguernon, A.-M. Gossez et Théo Varlet qui se dissimulait sous le pseudonyme de Peters Hamer (c'est sous ce nom qu'il figure dans la première liste des collaborateurs de la revue et qu'il signe ses poèmes).




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