jeudi 18 février 2010

Émile Straus... encore



Encore un article sur Émile Straus. On l'a vu, c'est parce qu'il écrivit dans la Critique des chroniques sur Alfred Jarry et le Théâtre des Pantins, sous le double pseudonyme de Papyrus et Martine, qu'il rédigea quelques articles sous les mêmes pseudos dans L'Omnibus de Corinthe et les Almanachs Georges Bans, qu'Émile Straus suscita mon intérêt. La lecture de quelques-unes des revues auxquelles il collabora m'a permis de découvrir un journaliste ambitieux, un littérateur un peu laborieux, pratiquant un naturalisme léger, croquis pris sur le vif de petits faits, un écrivain aux livres introuvables, à l'œuvre sans grande originalité, et dispersée en revues. L'originalité d'Émile Straus et plutôt à chercher dans ses articles signés Papyrus. Ceux-ci tranchent des nouvelles, chroniques et portraits qu'il publia sous son nom, par leur style faussement relâché, leur forme souvent dialogués, au vocabulaire farci d'expressions populaires, vieux français et néologismes. Un langage semblant inspiré autant de Rabelais que du « parlé Ubu » de Jarry. Le premier article en date signé Papyrus qu'il m'ait été permis de trouver est La Gazette du bibliophile parue dans le N° 9 du 15 au 31 octobre 1894 de la Revue de l'Est. Papyrus fait alors la promotion des volumes de la Bibliothèque des Modernes, Bibliothèque d'Art des Modernes, et Bibliothèque musicale des Modernes publiés par Victor de Champvans et la Revue de l'Est.

Dans les notes qui suivent ou complètent ce troisième article, on découvrira un peu plus de son parcours et de ses œuvres. Je reviendrait prochainement sur la revue La Critique, sur ses collaborateurs, et sur ceux de son « petit frère » : l'Omnibus de Corinthe.

Revue de l'Est, N° 5, 25 juillet 1894 :

Il serait peut-être un peu exagéré de répéter, comme l'affirmait spontanément notre confrère de la Revue Moderne [I] dans un élan de chaude sympathie, « qu'Émile Straus est une des physionomies les plus curieuses et les plus connues de notre génération » ; mais il ne serait point déplacé de constater que le jeune écrivain de ce nom est une des figures les plus intéressantes, les plus caractéristiques de ce temps. Et c'est déjà un bel hommage rendu à un caractère fait de sincérité , de probité et de loyauté littéraires, que cette constatation de franchise et d'honnêteté à une époque où notre société compte tant d'hommes de lettres, indignes de ce nom, portant en eux la tare du vice, le masque de l'hypocrisie, de la bassesse, de l'intrigue et de la méchanceté.

Or voici une nature droite, un esprit large, un studieux et un laborieux artiste. Comme tous ses pareils il passe silencieusement, méditatif et souriant à travers les réseaux étroits des groupements littéraires qu'il observe malicieusement et qu'il juge en connaisseur et en penseur.

Dire que Straus est un philosophe cuirassé, un sceptique endurci, un ironiste impénitent serait se tromper étrangement. Comme nous tous il a aimé, admiré, chanté le beau, le bon, le vrai ; comme nous tous il a subi l'emballement de la jeunesse, s'est jeté à corps perdu dans la mêlée : comme nous tous il a été déçu, désillusionné, trompé. Et ma foi je puis dire que s'il a reçu des horions, si son coeur sensible a saigné sous les piqûres d'épingles, si son âme simple de vaillant a connu les spasmes du dégoût, la douleurs des défections, il est sorti aguerri, triomphant de la lutte et c'est bien de lui qu'on peut dire :

Notre ami est un enfant de l'Alsace ; venu à Paris après l'annexion, il a rapporté de son cher pays les vertus natives et les solides qualités qui en font le confrère le plus aimable, le camarade le plus serviable qu'il soit possible de rencontrer.

Ses débuts littéraires datent de sa sortie de chez l'éditeur Charpentier dont il fut un des secrétaires. A ce moment il collaborait déjà au Journal de Colmar et au Journal d'Alsace où ses spirituelles chroniques le firent tout de suite remarquer.

Entre temps il fondait, avec un autre de nos collaborateurs, Alcanter de Brahm, le Nouvel Echo et bientôt l'on vit se grouper autour de ce vaillant périodiques toute une pléiade de jeunes écrivains et de jeunes artistes dont quelques-uns ont acquis aujourd'hui une belle réputation.

C'est ainsi qu'on pouvait rencontrer aux dîners mensuels qu'il organisa, nos confrères : Emile Goudeau, Willy, Ed. Haraucourt, Jacques Madeleine, Léo Trezenik, Alfred Duquet, Georges Rodenbach, Claude Couturier, Alcanter de Brahm, Emile Blémont de la Revue du Nord, les fidèles de la Revue Moderne : Ch. Bourget, Henry de Braisne, Arthur Bernède, Joseph Manin, Maurice Bouchet, Lucien Cortambert, André Lénéka, et les artistes dessinateurs Steinlen, Raffaéli, Léon Lebègue, G. Belon, Marcel Capy, Falco, Jacolot, etc.

Ces dîners s'appelaient les Dîners lacustres, parce qu'on n'y buvait que de l'eau distillée, additionnée d'un vin généreux et de divers crus.

On sait qu'en février 1893, le Nouvel Echo après diverses transformations et une brillante carrière qui fit crever de jalousie les trois Revues « qui ont la prétention de synthétiser la littérature et l'art d'aujourd'hui (2) » (lisez la Plume, le Mercure et l'Ermitage) fusionna avec la Revue du XXe siècle que nos lecteurs ont beaucoup connue, et qui à son tour a fusionné avec la Revue de l'Est dès l'apparition de notre premier numéro [II]. Straus y faisait la Chronique parisienne et c'était merveille que ce rayon de soleil qui étincelait et illuminait une prose colorée, un esprit fin et primesautier, servi par les mordantes ironies, les spirituelles saillies, dont il savait émailler ses tartines bi-mensuelles.

Et malgré ce labeur assez ingrat, malgré la préparation d'oeuvres nouvelles, malgré le soin apporté aux publications qu'il lançait de temps en temps, notre ami trouvait encore moyen de se dépenser, et combien copieusement, dans un nombre considérable de journaux et de revues dont les plus connus sont la Revue Moderne, la Chronique artistique, la Revue des journaux et des livres, Supplément du Petit Journal, Paris à table, Courrier français, Paris joyeux, le Moniteur de l'armée, sans oublier les journaux déjà cités, ce qui indique suffisamment, selon nous, l'admirable fécondité de l'écrivain, la passion et le goût des lettres, le choix et l'esprit critique de l'artiste.

On trouvera ci-dessous la nomenclature des œuvres et productions de notre aimable collaborateur. On verra qu'il mérite sa réputation de travailleur et de laborieux. Nos lecteurs liront en ce numéro un croquis inédit extrait de Croquis d'Alsace, une suite de quatre nouvelles qui vont paraître en septembre, et ils sauront apprécier par ce faible aperçu la manière de faire de notre confrère parisien. Il nous a d'ailleurs assuré de tout son concours ; nous savons qu'il saura tenir sa promesse et c'est pour nous une bonne fortune de pouvoir, parmi les illustres, les vaillants, les sincères, les fidèles littérateurs et artistes qui nous entourent, compter au nombre des meilleurs cet écrivain délicat, cet homme de cœur qui a nom Émile Straus, une des gloires futures de notre chère Alsace.


Victor de Champvans


(1) Émile Straus est né à Strasbourg le 24 décembre 1865. Il quitta cette ville après la guerre pour venir à Paris avec son père, alors fonctionnaire de l'Etat, et toute la famille. Il fit ses études à Chaptal et à sa sortie du collège, ses parents l'envoyèrent voyager en Allemagne et en Angleterre où il étudia les littératures étrangères. Ses premiers débuts littéraires dataient de 1890 [III]. Nous avons de lui outre d'innombrables articles de journaux, contes, nouvelles, chroniques, critiques. [Les ajouts entre-crochets sont de Livrenblog]

Les Chansons poilantes (en collaboration avec Alcanter) [sous le pseudonyme de Saint-Jean avec une préface de Willy, couverture illustrée par E. Gatget, 1894, on trouve dans le n° 8 du Nouvel Echo la préface de Willy, dans le n° 9 une annonce pour la seconde édition de ce volume, dans le N° 10 il est annoncé qu'il reste quelques exemplaires de la 1ère édition et qu'outre les 5 exemplaires sur Japon épuisé, il a été tiré 30 exemplaires sur Hollande à cinq francs, une première liste de 6 souscripteurs y est donnée]

Notes d'art : Léon Lebègue, dessinateur. [Dans le N° 2 du 1er au 15 juin 1894, de la Revue de l'Est on trouve une publicité : Bibliothèque de la « Revue de l'Est », dernières publications de ses collaborateurs : Emile Straus, vient de paraître : Léon Lebègue dessinateur, notes d'art contenant hors texte un portrait héliogravé, une eau forte, une pointe sèche, une lithographie, une aquarelle inédite et de nombreux dessins dans le texte, tirée à 100 ex. numérotés et paraphés dont : 10 exemplaires sur Japon impérial, prix 10 fr. (épuisés) et 90 ex. sur papier de luxe, à la Bibliothèque d'art des modernes, 32 rue Levert, Paris. Alors que dans le supplément au numéro 12 le tirage est annoncé comme ceci : 15 exemplaires sur Japon 10 fr. (épuisés), 85 exemplaires sur papier de luxe à 3 fr., un exemplaire unique sur Chine numérotée 00. Avec les originaux des planches hors texte 120 fr. la série des Notes d'Art continuera à la Bibliothèque de La Critique, quelques rares exemplaires sur papier de luxe du Léon Lebègue y seront mis en vente. Les autres titres de cette série sont : Notes d'Art : Marc Mouclier, peintre et lithographe. Une plaquette de luxe, rares Japon, rares papier luxe. Notes d'Art : E. Couturier, dessinateur. Une plaquette de luxe, Editions de La Critique contenant 1 phototypie, 2 lithographies hors texte et dessins inédits, rares Japon Impérial, 135 exemplaires sur papier luxe d'Annonay. Publiés en 1896]

Croquis d'Alsace, suite de 4 nouvelles (sous presse) [L'un des Croquis paraît à la suite de cet article de Victor de Champvans, il a pour sous-titre : On dit...]

Pour paraître incessamment :

Médicastres. Etudes sur les médecins modernes, illustrés par Falco et de Ber, sous couverture de Léon Lebègue.

En préparation :

Le Siège de Strasbourg (Mémoires inédits).

La Glissade, roman.

Manuel du parfait cycliste amateur.

Comme théâtre :

Une traduction de la Fin de Sodome, drame en cinq actes de Hermann Sudermann refusé au Théâtre Libre. [On peut lire dans le n° 7 du 5 juin 1895 de La Critique une Causerie faite à la Critique par Emile Straus sur La Fin de Sodome]

Une pantomime, le Coeur de Pierrot destiné au Théâtre des Modernes. [Alcanter de Brahm dans son article sur Straus dans le n° 22 du Nouvel Echo, revendique sa collaboration à cette pantomime, comme à Deux Amis (N° 1, 1er janvier 1892 du Nouvel Echo), et à M. Prude (N° 19, 1er octobre 1892 du Nouvel Echo)]

Le Boulevard des Bécanes, une fantaisie cycliste en ombres, avec l'exquis dessinateur Léon Lebègue.

Idylle, un acte antique, ombres de Lebègue.

Comme elles sont, un acte avec Arthur Bernède.

Erivin de Steinbach, cinq actes. [IV]


(2) Imprimés en toutes lettres dans la Plume de 1892.

[I] Je n'ai pu consulté cet article. La Revue Moderne (Marseille, 1884 - 1894), était dirigée par Robert Bernier, tenant de l'art social et par ailleurs collaborateur de la Revue Socialiste, il décède le 25 novembre 1893. Bernier avait abandonné la direction de la Revue Moderne en 1890, le titre était resté la propriété de Paul Cassard, en juillet 1891 Victor de Champvans, futur directeur de la Revue de L'Est, acheta la Revue Moderne et commença la publication d'une 3e série dès le 15 du même mois. Sur Robert Bernier et la Revue Moderne voir Hyppolite Buffenoir : A propos de Robert Bernier, la Revue de l'Est, N° 12, décembre 1894. La Revue Moderne, sera absorbée par la Revue de l'Est en octobre 1894, comme elle avait absorbé le Nouvel Echo de Straus après qu'il eut tenté la publication d'une nouvelle série mensuelle en mars 1894 arrêtée après un numéro 1 dont le gérant n'était plus Alcanter de Brahm mais J. Pradelle, ce numéro fut imprimé chez Lambert, Epinette et Cie, 231 rue Championnet (Epinette et le véritable nom de Trézenik).

[II] La Revue du XXe siècle (Mulhouse) : échos du pays d'Alsace-Lorraine et revue universelle : chronique politique, économique et sociale, industrie, commerce, agriculture, finances, littérature, sciences, beaux-arts : publication bi-mensuelle, directeur Louis Zorn. N° 1 (1892, 5 mai) -2e année, n° 46 (1894, 20 mars). Mulhouse : L. Zorn ; Bâle : Impr. Vve Chr. Krüsi ; Paris : Agence Havas, 1892-1894. 23 cm

[III] Si l'on en croit Alcanter de Brahm, Emile Straus et lui commencèrent une première série manuscrite du Nouvel Echo alors qu'ils avaient respectivement 17 et 14 ans, le premier numéro de ce pré-Nouvel Echo œuvre de collégiens, du lycée Chaptal semble-t'il, est daté de 1883.

[IV] On peut ajouter à cette liste arrêtée par Victor de Champvans au 25 juillet 1894, outre les plaquettes de Notes d'art déjà citées :

Une traduction, sous le pseudonyme de Papyrus, des vers de Henrich Heine pour l'album Les Rats de Jossot, Musique de Baudot, Editions de La Critique, 1899. 150 velin, 5 japon.

Une autre traduction, sous son nom, de Das lied van der Glocke, le Chant de la Cloche de Schiller aux Editions de La Critique, 1896, illustrations par Mouclier, 2 phototypies, 2 lithographies, une gravures sur bois, rares exemplaires sur Japon Impérial et 100 Hollande.

Dans les Albums de La Critique, en 1896, Glose pour deux albums de Marc Mouclier : Rêve, Vie, dix gravures sur bois, sous portefeuille, rares exemplaires sur Japon, rares exemplaires sur papier de luxe, et Rus, dix gravures sur bois, sous portefeuille, 5 exemplaires sur Japon, rares exemplaires sur papier de luxe.

Puis : le Théâtre Alsacien, l'Aurore du XXe siècle, frontispice de Henry Chapront (1901) ; la Nouvelle Alsace, illustré par Ch. Spindler, A. Koerttgé, etc (1902), Punch et Judy, drame guignolesque anglais, illustré par Henry Chapront, suivi des Paralipomènes de Punch (1903), Voyage aux ruines de Versailles (1905).


Émile Straus dans Livrenblog : Ubu Roi par Martine et Papyrus. Alfred Jarry et Le Théâtre des Pantins. L'Almanach du Père Ubu par Martine. Le Père Ubu dans La Critique. Les Jours et les Nuits d'Alfred Jarry par Émile Straus. Émile Straus, quelques documents. Émile Straus par Alcanter de Brahm.



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