jeudi 13 mai 2010

Affaire Adelsward-Fersen. Juillet 1903. 2e partie.




Affaire Adelswärd-Fersen (2e partie)


Le Petit Parisien qui dans son article du premier jour disait ne pas vouloir s'appesantir sur cette affaire « par respect pour [leurs] lecteurs », le quotidien qui devait « laissaient à d'autres le soin de se faire les historiographes de cette scandaleuse affaire », lui consacre le 11 juillet trois colonnes. « malgré nous », écrit Le Petit Parisien, « nous sommes obligés de nous départir de la réserve que, tout d'abord, nous nous étions imposée. », les personnages en cause sont trop importants pour ne pas « conter les curieuses péripéties de cette triste histoire », le Petit Parisien mène l'enquête. D'abord que sait t'on du baron A... ? Il « est âgé de vingt-trois ans ; c'est un grand jeune homme à la taille élancée et bien prise, d'un physique agréable et dont tout l'extérieur présente en vérité un caractère de réelle distinction. Contrairement à ce que l'on pourrait supposer il n'est pas, comme quelques jeunes désœuvrés de son monde, qui ont tout effleuré et ne connaissent rien, un oisif et un ignorant. C'est un raffiné, un lettré, voire même un poète à ses heures. Les grades universitaires ne lui font pas défaut puisqu'il est licencié ès lettres et qu'il y a un mois à peine il venait d'obtenir avec succès le titre de docteur en droit. W..., le comte des premiers articles, devient marquis, il n'est lui que le rabatteur d' « adeptes » pour satisfaire les vices du riche baron, assuré de « 40 000 frs de rentes ». Les « rites profanes » se déroulaient avenue de Friedland, deux fois par semaine « les jeudis et les dimanches ». Le baron est un bon fils, sa garçonnière se situe « non loin de la demeure même de sa mère, qu'il visitait d'ailleurs presque quotidiennement. », visitons donc l'appartement : « trois pièces communiquant les unes avec les autres attiraient l'attention par leur aménagement bizarre. La profusion de toilettes et de lavabos de toutes tailles et de toutes dimensions, aux formes bizarres ; la variété des flacons ; certains ustensiles compliqués, d'un usage mal défini, surprenant tout d'abord chez un homme vivant seul. Les chambres maintenant : « sofas épais et profonds, piles énormes de coussins aux soies chatoyantes étaient répandus partout aux pieds d'un divan, sorte de lit de parade bizarrement truqué, au-dessus duquel flottaient de larges vélums de soie, blancs et roses. » C'est là qu'une « quarantaine de garçonnets, dont le plus jeune a neuf ans, et le plus âgé seize ans tout au plus, défilèrent les uns après les autres. » Le journaliste croit encore savoir que la plus part des jeunes garçons suivaient les cours du lycée Carnot, et que le baron d'A... « plus connu dans ces milieux spéciaux sous le nom de M. de Sersen. » s'étant aperçu de la surveillance policière dont il était l'objet, avait décidé de supprimer les « réceptions du jeudi et du dimanche » et, miracle, le journaliste fait même parlé le baron : « - Du reste, il faut que je songe sérieusement à mon mariage. Je vais désormais me consacrer entièrement à celle que je dois bientôt épouser. Et puis, j'ai assez de toutes ces sottises et je ne serai pas fâché de me sortir une fois pour toutes de tout cela ! » Après avoir entendu « Plusieurs des enfants que l'on avait vu pénétrer dans le rez-de-chaussée de l'avenue de Friedland », le juge d'instruction, M. de Valles, décide de se rendre avec les magistrats Hamard et Blot au domicile du baron. « Il était trois heures de l'après-midi quand ils pénétrèrent dans la chambre de M. d'A..., très occupé à donner un dernier coup de main à sa toilette. Penché sur la glace d'une psychée, il était en train de piquer une superbe rose thé à la boutonnière de sa redingote. Il se disposait à aller faire sa cour à sa fiancée. » Lors de leur perquisition les magistrats découvrent en quantité surprenante « peignoirs, péplums, gazes, de quoi habiller le harem d'un pacha. », le baron est arrêté, il reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Le journaliste se questionne, « Est-ce son état mental, conséquence de sa vie de débauche qu'il faut attribuer sa conduite et son attitude ? », le père de la fiancée du baron « est venu remettre à M. de Valles plusieurs lettres anonymes dans lesquelles on lui dénonçait sa conduite, il les avait écartées avec mépris sans vouloir y croire. » Le journaliste continue son enquête au lycée Carnot, où il interroge le proviseur « bouleversé », puis se rend 17, avenue Mac-Mahon chez M. de W... , une personne de la maison lui confie qu' « il y a un an environ, que le marquis, dont la famille habite le quartier de l'Europe, a loué un rez-de-chaussée composé d'une chambre à coucher et d'un cabinet de toilette. » « le jeudi et le dimanche surtout, de nombreuses personnes défilèrent dans le rez-de-chaussée ; plusieurs dames, le baron d'A... et toute une théorie de jeunes gens. ».

C'est dans Le Matin du même jour que les noms de Jacques d'Adelsward et Albert de Warren sont rendus public. C'est sous le titre de « Messes Noires. En pleine bacchanale... » et sur quatre colonnes que le journaliste anonyme mène lui aussi l'enquête. Il commence par justifier l'erreur de nom figurant dans son article de la veille, en effet Le Matin avait appelé le locataire de l'avenue de Friedland, le baron d'Ardouzet, « nous avions cru, dans un sentiment que l'on appréciera, devoir déformer le nom. » « Mais aujourd'hui, le scandale et l'émotion soulevés par cette affaire sont tels que nous n'avons plus à garder la même réserve. » « Le jeune homme dont il s'agit appartient à une des meilleures et des plus nobles familles du quartier des Champs-Elysées – la famille d'Adelsward. » Lectures, fréquentations, névroses, aberration d'esprit, le journaliste comme celui du Petit Parisien s'interroge sur les raisons qui ont pu conduire le baron à ses coupables pratiques, comme Fernand Hauser dans La Presse, il rappel que Huysmans dans ses livres avait signalé « les rites du satanisme moderne ». Suit la relation de la rencontre entre Jacques d'Adelsward et d'Albert Warren :

« Il y a trois environ, au moment où il allait partir à Charleville accomplir son année de service militaire, en qualité de dispensé par l'article 23, le jeune baron Jacques d'Adelsward habitait avec sa famille au n° 22 de l'avenue de Friedland.

Il avait fréquenté de bonne heure les milieux les plus divers de la noce parisienne où sa richesse et son élégance lui avaient valu de nombreux succès.

On n'avait pas tarder à rencontrer ce blasé avant l'âge dans certaines brasseries d'ordre spécial, dans des établissements où se pratique un commerce sur lequel il est impossible d'insister.

C'est dans l'un d'eux qu'il rencontra Albert de Waren, un autre névrosé appartenant lui aussi, à une excellente famille. »

Albert de Warren était d'un an plus jeune que Jacques d'Adelsward » [...] Mais des milieux fréquentés jadis, pendant le temps de ses revers, Albert de Warren avait rapporté des moeurs inavouables. Il trouva dans Jacques d'Adelsward le compagnon qu'il cherchait. La richesse de ce dernier allait lui permettre de donner libre cours à leurs vices communs. » Après avoir relaté la vie dissolue menée par Warren dans l'appartement qu'il occupé avant celui de l'avenue Mac-Mahon, le journaliste revient à Adelsward et sur le 18 de l'avenue de Friedland, dont le concierge lui confie «Sa surprise [...] le lendemain de l'installation définitive de Jacques, en voyant arriver celui-ci avec une vingtaine de jeunes gens de mise excentrique. Plusieurs d'entre eux portaient des casquettes et des blouses de boucher. Un autre était vêtu à l'anglaise, mais avait la mine équivoque de ces gens qu'on voit errer dans certains bars interlopes, voisins des gares ou des champs de courses. » le concierge se souvient aussi de femmes amenant de jeunes garçons, de chants et de musiques toutes les nuits et encore de « gens aux allures équivoques » venant demander le comte de Fersen. Une enquête de voisinage chez Albert de Warren, confirme que le passage des jeunes garçons avaient lieu les jeudis et dimanches, comme l'écrivait Le Petit Parisien. Comme son collègue le journaliste du Matin se rend au lycée Carnot, n'ayant obtenu aucun renseignement auprès de l'administration, il trouve un collégien, qui témoigne :

« Un de mes camarades d'étude, nous dit-il, m'avait déjà parlé vaguement de ce qui se passait avenue de Friedland. « Un de ces jours, me dit-il, je te présenterai au comte de Fersen et je tâcherai de te faire emmener. Tu verras, c'est très chic chez lui. » Poussé par la curiosité, je pressai mon camarade de faire cette présentation le plus tôt possible. Bref, il accéda à mes prières et un jour je pus pénétrer dans la mystérieuse demeure dont j'avais entendu tant de merveilles.

C'était un jeudi. Il était trois heures de l'après-midi. Nous étions une dizaine de petits camarades du lycée Carnot. Le comte de Fersen nous avait donné rendez-vous place des Ternes. Il vint nous y chercher en automobile et nous conduisit avenue de Friedland.

Nous entrons dans une pièce absolument sombre. Vraisemblablement, d'épaisses tentures ont été placées devant les fenêtres pour arrêter la lumière du jour. Le comte de Fersen nous fait placer près de la porte et nous dit d'attendre. Au bout de quelques minutes, nous entendons des chants s'élever à quelques pas de nous. En même temps, une lueur apparaît, une portière se soulève et nous voyons une théorie d'une trentaine de jeunes garçons, couronnés de fleurs, pénétrer un à un dans la pièce. Chacun d'eux tenait à la main une torche et la salle fut bientôt éclairée d'une vraie lumière.

Au fond, élevé sur trois marches, un vaste lit, tendu de rouge, était dressé en forme d'autel.

Partout sur les murs, des fleurs retombaient en longues guirlandes, entouraient des têtes de mort placées sur des consoles. Des roses jonchaient le sol.

De Fersen et son ami arrivèrent à leur tour, vêtus d'un long peignoir rose. Les jeunes gens déposèrent leurs torches et l'un d'eux vint prendre place sur « l'autel ». Aussitôt, les chants cessèrent. Et alors commença une scène que je ne saurais, sans rougir, vous raconter.

Le soir, je partis de la écœuré, honteux de m'être laissé mener dans un pareil endroit et n'osant conter mon aventure à personne. »

Nous avons vu que Le Petit Parisien, faisait dire à Jacques d'Adelsward son envie de se ranger, Le Matin est plus précis, l'information vient du concierge qui alla « porter plainte au gérant de la société à qui appartient la maison », que Jacques était victime d'un chantage de la part d'un certain Perrin (son dénonciateur), et que son ex domestique, Pierre, faisait courir des bruits sur son passé lors de son service militaire et d'un sergent corse « avec lequel le baron avait été très intimement lié » « Bref, M. d'Adelsward eut peur que tout cela lui jouât un mauvais tour, et il se décida à se ranger. ». On apprend encore dans cet article que le « vendredi 26 juin, Albert de Warren quittait Paris à huit heures du soir, et s'embarquait le lendemain pour New-York, où il arrivait le 4 de ce mois. Après un séjour de deux journées à New-York, il s'enfonçait dans l'intérieur des États-Unis. », puis le journaliste nous entraîne à la suite de Jacques d'Adelsward chez le juge d'instruction, et c'est pour lui, une nouvelle occasion de dresser un portrait caricatural du baron :

« Arrivé à la porte du magistrat instructeur, il pria le garde municipal qui l'accompagnait d'attendre deux minutes avant de frapper.

- Permettez-moi, dit-il, de réparer d'abord le désordre de ma coiffure.

- Et, sortant une minuscule glace de sa poche et un peigne d'ivoire, il mit un peu d'ordre dans ses cheveux et sa moustache fine. »

Inculpé « d'outrage public à la pudeur et d'excitation de mineurs à la débauche », le baron se défend des accusations d'outrage public, « je reconnais m'être livré à des actes de débauche, mais ils se passaient chez moi, avec des personnes qui y étaient venues volontairement », quand à l'incitation de mineur à la débauche, il reporte sur son ami Albert Hamelin de Warren, toutes les fautes. Le magistrat opère alors à l'ouverture des scellés : « M. Jacques d'Adelsward a pu revoir ainsi les objets bizarres saisis avant-hier chez lui : têtes de mort, cierges, étoles, peignoirs sombres, tuniques, corsets, photographies sadiques et aussi lettres édifiantes échangées entre lui et son complice, le marquis de Warren. »




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