vendredi 11 juin 2010

Exposition Portraits du Prochain Siècle dans L'Art Social


Louis Leroy par Paul Gauguin

En 1894, va paraître sous la marque d'Edmond Girard, Portraits du Prochains Siècle. On y trouvera sous la plume d'écrivains de la jeune génération, un recueil de portraits de poètes et prosateurs, classés en trois catégories : Précurseurs, Militants, Morts (1). Fin 1893, son pendant pictural, une exposition de portraits, peintures dessins, sculptures, d'écrivains et peintres, organisée par la revue les Essais d'Art Libre, a lieue chez le Barc de Boutteville, Paul-Armand Hirsch en fait le compte-rendu dans la revue l'Art Social. Le 15 novembre 1893, l'organisateur de cette exposition Paul-Napoléon Roinard, signa un grand article illustré, dans la Revue Encyclopédique, que je reproduirais prochainement [I]. Laurent Tailhade, sous la signature de Dom Junipérien, dans le Mercure de France écrira un Simple Guide-Ane à l'usage des Apédeutes qui désirent examiner avec fruit l'exposition des Portraits du Prochain Siècle, qui figurera ici en son temps.

Extrait de l'Art Social, septembre-Octobre 1893.


Exposition des Portraits du Prochain Siècle

L'idée en est originale, assurément ; le titre, peut-être un peu présomptueux, quoique nous soyons à la veille du prochain siècle.
Cette exposition, due à l'initiative de notre excellent confrère les Essais d'Art Libre, est ouverte depuis un mois chez Le Barc de Boutteville (47, rue Le Peletier) : elle est suffisamment intéressante pour que la presse – qui venait d'exhiber ses illustrations à la galerie Georges Petit – n'ait pas jugé utile d'en parler, à quelques rares exceptions près.
Qu'il me soit permis de citer, suivant le désordre de mes notes, les portraits susceptibles d'être remarqués, soit à cause de leurs auteurs, soit par les personnes représentées.
Elisée Reclus, Bakounine et Proudhon, par M. Barbottin ; Gabriel De La Dalle, par M. Brenet ; Georges d'Esparbès, en pourpre cardinalice, par M. Iker : Roinard, par Anquetin : ce portrait est l'œuvre d'un maître, ses tons d'une vigoureuse sobriété, son dessin d'une élégante pureté, l'ensemble d'une distinction sans visible recherche ; l'admirable Gauguin et M. Roy, par le premier de ces deux peintres ; M. Lugné-Poe, par le japonisant Vuillard : Anquetin, Tempier et Faucher, par Anquetin ; Ch. Cotet, l'exquis peintre de bretonneries, par lui-même ; Gabriel Randon, travesti en Président de la R.F., par de Feure ; M. Devaulx, par L. Hayet qui expose aussi son propre portrait ; le compagnon Ernest Gégout, par M. Billan ; Zo d'Axa, par Anquetin : nous avons dit déjà ce que nous pensions de cette toile ; Emile Bernard, l'infatigable chercheur, le pur artiste toujours en quête d'idéal, - par son disciple Filiger, qui s'est représenté également ; Rodin, par M. A. Legros ; Giran-Marx, en toréador, par M. Zuolaga ; Jules Bois, par Heidbrink ; Emile Bernard et Schuffenecker, par le prestigieux Emile Bernard ; Cézanne, par lui-même : ce portrait est l'un des plus beaux de la salle, tant son exécution est digne de l'auteur de tant d'œuvres inoubliables.
Le Van Gogh, par lui-même, est splendide : ses tons éclatent comme un quatrième acte de Hugenots, harmonisant malgré leurs richesse inouie, presque pléthorique ; Laurent Tailhade, par Charles Toché, est fort amusant : il nous a semblé deviner le hideux Thiers costumé en serpent à lunettes symbolisant probablement « Le Mufle », des « vitraux » sur lesquels se détache l'évêque Laurent-Tailhade, très ressemblant, forment le fond du tableau.
Citons encore les portraits de confrères, signés A. Germain, que nous ignorions peintre ; de Paul Adam, Pierre Quillard, Charles-Henry Hirsch, etc., par Gaston Darbourg ; de Augrand, par lui-même ; de Roger-Marx, Jean Dolent, Georges Rodenbach, Villiers de l'Isle-Adam, Jean Carrère, Andhré Ibels, Alexandre Séon, Karl Boès, le sâr Péladan, Aurier, Stéphane George ; de Karl Marx et Engels, les socialistes allemands, par M. Clarus ; de Julien Leclercq, par Guiguet ; de Gaston Lesaulx, par Vogler ; de de Feure, bizarre, par lui-même.
Il y a aussi le buste de Verlaine, d'un bel effet, quoique d'un réalisme trop accusé ; un médaillon en plâtre teinté, d'un exécution très fine, représentant Madame Rachilde, - par M. Fix Masseau ; un autre, de Niederhausen Rodo, représentant M. Ch. Vignier ; un troisième enfin, entièrement peint, par M. Loudat, représentant M. Fix Masseau...
Sans doute est-il téméraire de risquer une prédiction ; au moins peut-on affirmer qu'il y aura peu d'élus, au prochain siècle, parmi tous ces artistes dont beaucoup se croient très sincèrement le Paraclet, ce qui n'empêche pas certains de prouver leur indiscutable talent, - exposants et exposés.
Mais je me hasarderai à cette affirmation, justifiée par le titre de cet article : le vingtième siècle usera, plus que tout autre, de l'oubli !...

Paul-Armand Hirsch.

L'Art Social, 64 rue de Turenne, puis 5 impasse de Béarn
Revue mensuelle paraissant le 15 de chaque mois
Administration Eugène Chatelain
Rédaction Gabriel de La Salle
puis,
Directeur : Gabriel De La Salle. Secrétaires de Rédaction : Ludovic Hamilo, Auguste Linert.

Publié de Novembre 1891 à février 1894, Nouvelle série Juillet à décembre 1896.

Collaboration : G. De la Salle, E. Chatelain, Auguste Linert, Alphonse Coutard, A. Cros, Léon Cladel, E. Museux, Pierre Trimouillat, Eugène Longuet, Emile Couret, Louis Lumet, Bernard Lazare, Albert Lantoine, Fernand Pelloutier, Marcel Réja, André Veidaux, Marcel Batillat, Alexandre Bourson, Henry de Braisne, Augustin Hamon, Paul-Armand Hirsch, Marc Legrand, Gustave Le Rouge, Alfred Morin, Fernand Pelloutier, Emile Portal, Eugène Thébault, Martial Ténéo...

Revue de l'art libre et indépendant, sans chefs ni pontifes. L'Art Social est ouvert, aussi largement que possible, à toutes les bonnes volontés. Il est ouvert à tous ceux qui, las de toujours fourbir l 'épée sans combattre, auront le courage de mettre leur vaillance et leur talent au service de l'idée socialiste.
L'Art Social ne répudie aucune forme littéraire ou artistique ; il est aussi bien avec les révolutionnaires qui cherchent, pour habiller leur pensée, des formes nouvelles, qu'il est avec ceux que les vieilles formes prosodiques ne gênent pas. Il ne jette pas au néant le passé. Aussi bien qu'il vénère Eugène Pottier, il honore Jean Lombard, ces deux vaillants morts à la peine. Il ne sait pas ce que c'est que le pompiérisme ; il ne sait pas ce que c'est que la vraie esthétique.
Mais ce qu'il sait, c'est que tout homme qui pense, c'est que tout homme qui se sent ému à la vue des iniquités sociales, c'est que tout homme dont les idées généreuses font vibrer le cœur et qui a foi en l'avenir, a le devoir de se mettre en travers de la décadence et d'enrayer la descente.
Il sait qu'il est temps de substituer à une poésie crapuleuse ou futile une poésie saine et vigoureuse.
Il sait qu'à côté des lutteurs et des apôtres de la cause socialiste il y aune place à tenir.
Il sait, enfin, que le moment est venu de rassembler et faire vivre les éléments épars du grand art de demain : l'Art socialiste.
Que tous ceux qui pensent comme lui le suivent.

L'Art Social, Novembre 1891

Voir L'Oeil Bleu N° 5.

Les Essais d'Art Libre dans Livrenblog : Albert Cozanet et Paul-Napoléon Roinard.

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