lundi 2 août 2010

Affaire Adelsward. Alfred Jarry. Lucien Jean. G. Roussel


Affaire Adelsward 12e partie

Alfred Jarry dans La Plume.
Lucien Jean
dans L'Ermitage.
Georges Roussel
dans La Critique.


Le Périple

de la littérature et de l'art

Héliogabale à travers les âges

A travers les âges... à travers l'âge serait plus juste, et encore ne croyons-nous point que le désir des expériences à l'Héliogabale subsiste au-delà d'un certain âge, le premier que d'aucuns disent le bas.
Il y avait un collège des Vestales. Racine traduisit presque : un couvent. Héliogabale se comporte comme s'il eût été « nouveau » en « rhétorique B» dans un collège d'empereurs.
M. Jacques d'Adelsward, dans un état d'esprit voisin, - et ces littératures semblent surtout des états d'esprit – loua avenue de Friedland, une « garçonnière ».
Quiconque loue « bourgeoisement est tenu, comme chacun sait, de ne convier en son domicile que des bourgeois.
De même que quiconque a rencontré un portefeuille errant doit, ainsi que chacun le sait encore, en faire fructifier le contenu en bon père de famille.
Donc, M. d'Adelsward, ayant loué sa garçonnière, s'obligeait, de par la teneur du bail, à la garnir et avitailler, jusqu'à répondre d'un terme de loyer, de petits garçons, loués également.
Et c'est pourquoi ses concierges, pour l'avoir empêché de cohabiter en bon fils de famille, ne volèrent point les foudres ecclésiastiques.
Le bras séculier s'est abattu sur eux, régulièrement et raccourci.
M. Jacques d'Adelsward s'est efforcé, si nous l'avons bien compris d'après ce qu'il a inculqué à ses magistrats instructeurs – le magistrat instructeur est celui qui prend son plaisir à être instruit ; cet homme studieux, après, devient le magistrat instructif ; ces gens de robe furent, dans tous les cas, les premiers partisans actifs de l'instruction obligatoire, - M. Jacques d'Adelsward s'est efforcé, disons-nous, et cette longue parenthèse ne donne qu'une faible idée de la constance de son effort – de rénover, au vingtième siècle, les turpitudes de l'Héliogabale enseigné dans les classes.
C'est ainsi que des curieux renouvelèrent le jeu de l'oie, des Grecs. Le Capitole était-il donc en Grèce ? Mais on distingue deux espèces d'oie : petite et grande.
A ce propos, M. Georges Duviquet a raconté, par la bouche des historiens grecs et latins, la vie du puéril empereur. Nous avons cherché avec intérêt dans son livre une phrase, entre autres, qui eut le mérite de métamorphoser et virer, en quelque sorte, en bourrique, tous les traducteurs passés et présents :
« Quelquefois, ayant pesé de la laine, selon le poids qu'il en trouvait, il envoyait des poissons à ses amis. »
Des transcripteurs scrupuleux commentent :
- Ce passage est obscur.
C'est pourtant simple : ils ne se souviennent plus de pensum, la « tâche » de la fileuse, et que Lampride ne se gênait pas, écrivant en grec, pour employer des tournures latines.
Traduction :
« Ayant filé de la laine comme Hercule ou plus volontiers comme une femme avec la somme qu'il en retirait il agissait bien de même, se prostituant ! Il achetait du poisson à ses amis. »
Comme quoi il vaut mieux « traduire » dans le texte.

Alfred Jarry.

La Plume 1er août 1903


Notes

Victime de la littérature - M. Rochefort dit : C'était un décadent. Il ne suivait pas les anciennes règles de la prosodie, et par conséquent il devait offenser les règles de la nature. - M. Le Roux dit : - C'est la faute aux petite revues. Les petites revues, c'est des gens qui ne font rien comme tout le monde et qui ne recherchent que le bizarre.

Ce sont là des jugements, et les seuls que l'on puisse demander à des farceurs et à des journalistes. Nous qui sommes plus sincères – n'est-ce pas ? - nous disons : - C'était un homme médiocre. Il écrivait des vers prétentieux et quelconques. Il mendiait des préfaces auprès de M. Coppée, de M. Gregh, de M. Rostand, qui lui écrivait : « Votre poésie est de couleur zinzoline... » Si nous sommes démocrates, nous ajoutons : - C'était un riche et un oisif, et l'oisiveté est mauvaise conseillère ; c'était le fils d'une race usée. - Et quand nous avons dit cela nous ne disons plus rien, comme si l'essentiel ne restait pas à dire. Nous ne disons rien parce que nous n'osons rien dire, parce que nous n'osons rien juger. Nous savons trop de choses ! Ne devinons-nous pas l'amertume de ceux qui doivent tant chercher leur volupté ? - Nous ne jugerons plus, nous ne le pourrons plus. Mais il faut que nous disions oui ou non à chaque chose si nous ne voulons périr. Ne renions pas notre intelligence, mais gardons notre amour et notre haine. Faudrait-il donc laisser cela, cela qui est la vie, aux seuls imbéciles ? Ce qui est différend de moi, je veux le haïr parce que je sais qu'en fin de compte je le haïrai suivant mon espèce.

Lucien Jean.

L'Ermitage, 14e année, N° 8, Août 1903



Critiques d'actualités



Le jeune monsieur des fêtes païennes, l'officiant mignon des horrifiques « messes noires », l'inverti de la barrière de l'Étoile, le dégénéré-type, Jacques, baron d'Adelsward, convaincu de mauvaise santé et autres affections physiques – non moins contagieuses et intensives que ses affections de cœur – a du être transféré, sur le rapport d'un médecin légiste, de la prison à l'hôpital. Le cabinet de M. le Juge de Valles, rendez-vous de noble compagnie, séjour embaumé, a vu défiler, arrogant ou contrit, tout ce que notre chère Babylone compte d'un peu notoire dans la spécialité du doux poète du « cœur tendu vers d'autres voluptés ». Adeptes, participants, spectateurs des offices mystérieux et des orgies supposées, le magistrat n'a pas omis d'interviewer, dans un but que je présume de recherche désintéressée, femmes et messieurs du monde, professionnels, éphèbes, domestiques et jusqu'au portraitiste de la mère du baron, qui s'est dérobé, si j'en crois les journaux. Voici donc, M. de Valles documenté sur la question si controversée, depuis l'antiquité, de l'amour unisexuel et, incidemment, sur le rite et les particularités de ce qu'on est convenu d'appeler « messes noires ». Le sympathique robin mériterait bien de son siècle en contribuant à vulgariser ces horreur dont le mystère qui les entoure fait l'essentiel attrait ; la curiosité publique aura vite fait le tour des sombres dédales du satanisme moderne, si M. de Valles, très recherché ces temps-ci dans le meilleur des mondes, veut bien bien nous révéler, dans une plaquette, toute la vérité sur cette ténébreuse histoire où il n'a pas manqué de s'instruire.
L'affaire dite des « messes noires » finira en queue de poisson, à Saint-Louis ; il serait juste et naturel qu'elle aboutit à l'hôpital car M. d'Adelsward semble bien être un malade qu'il vaut mieux guérir que châtier ? Que n'ose-t-on, par exemple, du même traitement envers tant d'autres catégories de délinquants, non par une préoccupation étroite d'égalité, mais bien de justice stricte ? Le jeune baron, riche, bien élevé, artiste, instruit, choyé, qui parodie niaisement l'hellénisme en collégien vicieux et fat, apitoie malaisément. Mais il faut propager le principe d'indulgence raisonnée envers tous les criminels. Il est fâcheux seulement que les médecins légistes aient une tendance manifeste à scruter uniquement les « beaux cas », et qu'ils concluent plus humainement envers un Adelsward qu'envers un Vacher, pour ne citer que celui-là.
Tous les vices ne sont-ils pas également répugnants, qu'ils aient pris naissance dans le cerveau d'un lettré ou dans celui d'une brute ? Tous les crimes ne doivent-ils pas être considérés avec une égale impartialité, qu'ils aient été commis sur la grand 'route ou dans un boudoir ? Et toutes les préventions, tous les préjugés, toutes les répulsions, ne tombent-ils pas devant la constatation d'un fait matériel : l'irresponsabilité. On commence à ne plus le nier. Là vraiment, la vérité est en marche.
Grâce au souvent nommé d'Adelsward, la littérature « décadente » et les « petites revues » ont vu se déchaîner contre elles les indignations de la littérature... qui ne choit pas, et des grands journaux vertueux. Il ne nous appartient pas, comme on dit avec noblesse à la tribune, de prendre en main la défense de ces coupables. Qu'est-ce au juste que la littérature décadente ? On ne l'aura jamais su ; je crains qu'on ne le sache jamais.
Quant aux petites revues, elles ont grandi depuis qu'au lendemain du « geste » d'Emile Henry, les grands journaux vertueux et les littérateurs... qui ne choient pas, leur imputaient, déjà, de recéler parmi leurs rédacteurs les plus malfaisant adeptes des doctrines violemment révolutionnaires et d'armer leurs bras vengeurs.
Aujourd'hui, c'est elles encore que d'aucuns rendent responsables des goûts de M. d'Adelsward. Il paraît que l'anarchisme, l'inversion sexuelle et la littérature décadente, marchent indissolublement unis.
Le malheur veut que cette thèse soit infirmée par le propre cas auquel s'en réfèrent ces prophètes de malheur : la jeune baron a rimé des vers corrects et il faisait profession de royalisme éperdu.
Jugez !

Georges Roussel.

La Critique 20 août 1903

Affaire Adelsward-Fersen (1e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (2e partie)
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Affaire Adelswärd-Fersen (5e partie)
Affaire Adelswärd-Fersen (6e partie)
Affaire adelswärd-Fersen (7e partie)
Un article de Gaston Leroux. Affaire Adelswärd-Fersen (8e partie)
Interview de Jules Bois. Affaire Adelswärd-Fersen (9e partie)
Affaire Adelsward-Fersen (10e partie)
Le Canard Sauvage. Philippe. Jarry. Affaire Adelsward-Fersen (11e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (13e partie).
Affaire Adelsward-Fersen (14e partie).

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Jarry sur l'affaire Adelsward dans Le Canard Sauvage.


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