dimanche 31 octobre 2010

Jean Dolent : Amoureux d'Art.



Jean Dolent ou la critique elliptique.

Jean Dolent : Amoureux d'Art. Lemerre. 1888, in-12, 244 pages. Portrait de Dolent en frontispice par Bracquemond, 1 eau-forte d'Eugène Carrière hors-texte.

1887

J'ai changé bien des fois de certitude. Je suis moins, toujours moins sensible aux effets immédiats. J'aimais, j'aime toujours le beau fracas, l'aptitude à mettre les formes en actions, le don de trouver l'accord des tons intenses. J'aime la belle matière ; mais ce qui me prend le plus fortement, c'est l'œuvre où l'artiste me mène plus loin que là où il s'arrête – où il paraît s'arrêter.

J'aime toujours : Ribot, Henner, Israëls, Fantin-Latour, Vollon, Degas, Whistler, Jongkind, Harpignies. Puvis de Chavannes, Gustave Moreau, Rodin, Eugène Carrière me passionnent. Rops est subtil. Odilon Redon est singulier. Besnard, Cazin, Uhde m'intéressent ; Dalou me récrée.

Je vois en moi. Ce que je cherche, c'est un autre moi-même, un artiste qui me ressemble en beau, aussi sensible et mieux doué. Dans cette dernière évolution d'esprit, j'ai pris l'horreur, mieux le dédain des choses circonscrites. Mon idéal : Vérités ayant la magie du rêve.

J'ai le plus vif plaisir à feuilleter un album d'artiste : - un croquis- une indication – une recherche de mouvement – d'harmonie. « C'est si peu de chose » ; ce « peu de chose » m'enchante : une attache – une main – une oreille.

Ce que je publie aujourd'hui ressemble à l'album de l'artiste. Des notes prises à l'atelier – au Musée – dans la rue (dans la rue le plus souvent). Le pêle-mêle est rassurant ; pas de déformation par une inutile mise en œuvre.

Je reste dans mon sujet : je ne sors pas de la vie.

On me dit : Vous n'êtes pas libre. Vous ne pouvez juger librement un médiocre artiste votre ami.

Je réponds : Je suis libre, et, pour garder ma liberté, je n'ai pas d'ami, médiocre artiste.

Ce petit livre est un aérostat qui quitte terre aux premières pages – avec un homme dans la nacelle.

1er chapitre d'Amoureux d'Art.

Portrait de Jean Dolent par Bracquemond

Eau-forte d'Eugène Carrière



Cette trouvaille du samedi me permet de signaler la grande étude de

Pierre Pinchon : Jean Dolent, 1835-1909. Écrivain, critique d’art et collectionneur. Presses Universitaires de Rennes, 2010, 16,5 X 24 cm, 290 pages. ISBN : 978-2-7535-1025-8

Présentation du livre par Jean-David Jumeau-Lafond dans La Tribune de l'Art.

Voir la notice consacré à Jean Dolent par le même Pierre Pinchon dans la rubrique Gendelettres du site Les Commérages de Tybalt.


samedi 30 octobre 2010

Paul Margueritte : Pierrot assassin de sa femme. Envoi à C. Mendès


Trouvé ce samedi :

Paul Margueritte : Pierrot Assassin de sa femme. Calmann-Lévy, 1886, in-12, 24 pages. Nouvelle édition.
Envoi à Catulle Mendès, lui même grand amateur de pantomimes.

Cette pantomime fut représentée pour la première fois au théâtre de Valvins (près de chez Mallarmé qui était cousin-germain de la mère de Margueritte) en 1882 et publiée la même année chez Paul Schmidt avec une préface de Fernand Beissier.

L'histoire du Pierrot qui chatouilla sa femme,
Et la fit de la sorte, en riant, rendre l'âme.
Th. Gautier

Notice

(à l'édition de 1886)


En 1881, l'amusement de représentations théâtrales, à la campagne, un succès imprévu dans le rôle de Pierrot, sous le masque blanc les vêtements flottants de Deburau, me faisaient brusquement m'éprendre de pantomime, et entre autres scénarios, écrire et jouer celui-ci : Pierrot assassin de sa femme.
N'ayant vu aucun mime, Paul Legrand ou Rouffe, n'ayant rien lu sur cet art spécial, j'ignorais toutes les traditions. J'imaginais donc un Pierrot personnel, conforme à mon moi intime et esthétique. Tel que je le sentais, et que je le traduisis, paraît-il, ce fut un être moderne, névrosé, tragique, fantômal.
Le manque de tréteaux funambulesques m'empêcha de pousser cette vocation excentrique, vraie folie d'art qui m'avait agrippée, et à laquelle j'ai dû des dépouillements de personnalité singuliers, d'étranges sensations nerveuses, et le lendemain des griseries cérébrales, comme celles du haschich.
Inconnu, débutant de lettres, sans comparses ni Colombine, je jouai, modestement, quelques monomimes dans les salons et en public. Des poètes et des artistes jugèrent ma tentative curieuse et neuve : MM. Léon Cladel, Stéphane Mallarmé, J.-K. Huysmans et M. Théodore de Banville, qui, dans une lettre étincelante d'esprit, me dissuadait, alléguant le public mondain trop... spirituel, et les beaux jours de la pantomime envolés.
S'il reste quelque chose de mon essai mimique, c'est la conception littéraire d'un Pierrot moderne et suggestif, revêtant, à son gré, l'ample costume classique ou l'étriqué habit noir, et se mouvant dans le malaise et la peur.
Cette idée, marquée dans ma petite pantomime (1), je le développai plus tard dans un roman (2) et je compte y toucher encore dans deux volumes qui seront : une étude de sensations d'art, et un recueil de pantomimes.
Dès lors, on me permettra de prendre date.
Petit est mon verre, mais j'y bois. Il serait injuste que mes prochains livres parussent s'inspirer d'un autre, et qu'on m'accusât d'imitation ou de plagiat.
Les idées sont à tout le monde. C'est, j'en suis persuadé, une concordance fortuite, qui fit succéder à Pierrot assassin de sa femme, une œuvre au titre similaire, et au personnage de Paul Violas, de Tous Quatre, un Pierrot qui le rappelle.
Je constate simplement ma priorité, et la réserve pour l'avenir.
Ceci dit, la sympathie que j'ai pour ce joli art de la pantomime, pour les Pierrot-Album de Willette, le Pierrot sceptique d'Huysmans et Hennique, m'induit à applaudir toute tentative qui ressuscitera, sur la scène ou dans un livre, notre ami Pierrot.

Paul Margueritte.

(1) Pierrot assassin de sa femme. 1882. Schmidt, imprimeur.
(2) Tous Quatre, roman. 1885. Giraud, éditeur.


Voir : Souvenirs sur Mallarmé par Victor Margueritte.



Tristan Klingsor poème autographe à Y. G. Le Dantec



Trouvé ce samedi :


Tristan Klingsor : Le Valet de cœur. Société du Mercure de France, 1908, in-12, 224 pages. Avec, pour envoi à Yves Gérard Le Dantec, un sonnet fantaisiste, daté de 1946.



Pour Yves Gérard Le Dantec

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Avez-vous lu Vathek ?
Il n'est bibliothèque
De Paris à la Mecque
Qui n'héberge un tel texte (?!)

Ce cliquetis en ec
Qui fait rimer Sapèque
Avec Pinacothèque,
Evèque avec avec,

Je l'ose. Car l'impasse
De cette dédicace
Me ferait rester sec,

Et je ne veux, béjaune,
Rendre ce livre jaune
A Gérard Le Dantec

Tristan Klingsor

9/5/46

Tristan Klingsor (Léon Leclère 1874-1966) : poète, musicien, peintre et critique d'art.

Yves Gérard Le Dantec (1898-1960) : Critique et poète. Rimbaud, Baudelaire, Pierre Louÿs, Tristan Corbière, Marceline Desbordes-Valmore, Verlaine, Mallarmé, Nerval, Jean Pellerin... tous ont bénéficié des soins apporté par Y. G. Le Dantec à la publications de leurs œuvres. Il est de plus l'auteur d'études sur Renée Vivien et Anna de Noailles. Son apport à la publication et la diffusion de la poésie moderne et contemporaine est considérable.

On retrouve Tristan Klingsor dans les revues L'Idée Moderne. La Revue des Lettres et des Arts, Nice. Les Ibis. L'Image.

vendredi 29 octobre 2010

Petits riens


La Cité internationale de la bande dessinée et de l'image


En ligne la revue Le Pierrot, la première série de la revue humoristique Le Rire, la revue pour jeune fille Lisette, American illustré, revue pour les jeunes garçons, ainsi que les fonds Alain Saint-Ogan (Zig et Puce) et Maison Quantin (historiettes (1886-1904), images enfantines : planches originales de Louis Doës, Christophe, Rip, L. Malteste, Steinlen, Hermann Vogel, Edouard Zier, Caran d'Ache, Raymond de la Nézière, Job, Benjamin Rabier, etc).

Bibliographie du Pierrot.




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Vu dans L'Esprit Français, « Les Arts et le Monde », 10 novembre 1930, 2e année, Nlle série n° 53 :

Le populaire romancier Gustave Le Rouge, dont les œuvres innombrables ont été traduites en plusieurs langues, est aussi poète à ses heures.
Il vient, à cet égard, de publier (Marcel Seheur, édit. Paris) une élégante plaquette, Derelicta, où l'on trouve à la fois des notations délicates et d'ingénieux pastiches.

Mais comme M. Gustave Le Rouge est un homme d'une activité intellectuelle très remarquable, chez qui la science égale le don imaginatif, il vient en même temps d'inventer un chemin de fer sous-marin allant de Calais à Douvres dans les meilleurs conditions de confort et de rapidité (1).
Vu en a donné de saisissantes images.



Il ne nous reste plus qu'à trouver le magazine Vu, où parurent ces illustrations.

(1) L'idée n'est pas nouvelle. Dans les années 30 le projet déjà ancien (1802), d'un tunnel sous la Manche est de nouveau d'actualité. En 1929, Sir William Bull organisa un référendum, pour ou contre le tunnel, auprès des parlementaires britanniques, G. Bertin du Comité Français du Tunnel sous la Manche publie le Tunnel sous la Manche en 1931. Déjà en 1875-1876, de MM. Lavalley, Larousse, Potier et Lapparent, avaient mené une enquête scientifique sur le sujet. Une compagnie, «Association du chemin de fer sous-marin entre la France et l'Angleterre », fut même fondée en 1875, ayant obtenu la concession pour 99 ans des gouvernements Français et Anglais, elle avait commencé des travaux préparatoires.

Gustave Le Rouge dans Livrenblog : Le Guet-Apens, Gustave Le Rouge dans la Croix illustrée. Gustave Le Rouge et la Revue Littéraire Septentrionale. Gustave Le Rouge en 1888. "A Coeur perdu" de Péladan. Gustave Le Rouge : Spectre seul. Gustave Le Rouge : Le Christ aux outrages, tableau de M. de Groux. Gustave Le Rouge : Notre-dame la Guillotine.


jeudi 28 octobre 2010

Aloysius Bertrand par Augustin Daniel. 1875.



Louis Bertrand

Par une orageuse matinée de mai 1841, un corbillard de la dernière classe que suivait un seul homme, tête nue, se dirigeait vers le cimetière de Vaugirard. Les passants saluaient et ne se retournaient pas : c'était un inconnu qui avait fait son temps sur terre, un anonyme.
Le corps venait de l'hôpital Necker : là, sur un lit portant le n° 6, un jeune homme s'était éteint la veille dans les lentes agonie de la phtisie. C'était un grand garçon rêveur, à l'oeil mélancolique et d'où jaillissait parfois un rapide éclair. On l'avait inscrit sous le nom de Louis Bertrand, homme de lettres, né à Dijon.
Un seul visiteur venait souvent s'asseoir au chevet du moribond : la veille du grand jour fatal, il avait causé deux longues heures avec lui, se penchant jusqu'à sa bouche pour recueillir ses paroles, faibles comme un souffle, puis il l'avait quitté en disant : A demain. Le lendemain, il s'était heurté au portier : inutile d'aller plus loin, monsieur, le n° 6 vient de mourir, il est à l'amphithéâtre.
C'est au milieu de cadavres inconnus, dépecés, en lambeaux, que le visiteur que nous avons vu tout à l'heure sur le chemin du cimetière de Vaugirard, reconnut son malheureux ami. Il l'ensevelit dans un linceul qu'il envoya acheter, voulant éviter au cher mort le rude contact de la serpillière de l'administration, il le fit mettre dans un cercueil décent, l'accompagna à la chapelle de l'hôpital, et ne le quitta que quand il l'eût déposé dans la fosse. L'ami dévoué à qui Bertrand dut de ne pas passer par l'amphithéâtre de dissection avant d'aller au cimetière était David d'Angers.
David d'Anger connaissait et aimait depuis bien des années Louis Bertrand : il l'avait vu pour la première fois en 1829 chez Nodier, dans une de ses soirées de l'Arsenal où s'organisait l'armée romantique. Bertrand était alors un jeune homme replié sur lui-même et s'épanchant peu : « ses allures gauches, dit Sainte-Beuve, sa mise incorrecte et naïve, son défaut d'équilibre et d'aplomb, trahissait l'échappé de province. On devinait le poète au feu mal contenu de ses regards errants et timides... Quand à l'expression de sa physionomie, un dilettantisme exalté s'y combinait avec une taciturnité un peu sauvage. »
Quand son tour fut venu d'aller s'accouder à la cheminée et de lire, lui aussi, son sonnet ou quelque fragment de roman, - car on payait ainsi l'hospitalité de Nodier, - Bertrand se troubla. Il fallut l'aller chercher dans le coin où il se cachait, employé une douce violence pour l'amener au milieu du salon. Rougissant et d'une voix mal assurée il commença enfin :
« Le maçon Abraham Knupfer chante, la truelle à la main, dans les air échafaudé, si haut que, lisant les vers gothiques du bourdon, il nivelle de ses pieds et l'église aux trente arcs-boutants et la ville aux trente églises.
« Il voit les tarasques de pierre vomir l'eau des ardoises dans l'abîme confus des galeries, des fenêtres, des pendentifs, des clochetons, des tourelles, des toits et des charpentes, que tache d'un point gris, l'aile échancrée et immobile du tiercelet.
« Il voit les fortifications qui se découpent en étoiles, la citadelle qui se rengorge comme une géline dans un tourteau, les cours du palais où le soleil tarit les fontaines, et les cloîtres des monastères où l'ombre tourne autour des piliers.
« Les troupes impériales se sont logées dans le faubourg. Voilà qu'un cavalier tambourine là-bas. Abraham Knupfer distingue son chapeau à trois cornes, ses aiguillettes de laine rouge, sa cocarde traversée d'une ganse, et sa queue ornée d'un ruban.
« Ce qu'il voit encore, ce sont des soudards qui, dans le parc empanaché de gigantesques ramées, sur de larges pelouses d'émeraude, criblent de coups d'arquebuse un oiseau de bois, fiché à la pointe d'un mat.
« Et le soir, quand la nef harmonieuse de la cathédrale s'endormit couchée les bras en croix, il aperçut, de l'échelle, à l'horizon, un village incendié par des gens de guerre, qui flamboyait comme une comète dans l'azur. »
A mesure que Bertrand avançait dans la lecture du merveilleux morceau que nous n'avons pu résister au plaisir de citer, ses yeux s'animaient, l'émotion brisait de plus en plus sa voix. Quand il eut achevé, quand Sainte-Beuve, prenant sa main, le sacra prosateur exquis et poëte impeccable, on s'aperçut qu'il n'entendait plus et ne pouvait répondre. Comme une petite fille, il s'était évanoui. Les nerfs des artistes leur jouent quelquefois de ces jours-là.
Louis Bertrand ne laissa qu'un livre : Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot, mais ce livre est un chef-d'œuvre. Il semble dit Charles Asselineau, qu'il ait vanné la langue pour n'en conserver que les vocables sonores et chromatiques. En effet, jamais écrivain ne sut mieux tirer parti d'un admirable instrument, jamais doigts plus savants ne parcoururent un plus harmonieux clavier.
Il est faux, cent fois faux de soutenir que le français, par sa clarté et sa transparence, est surtout fait pour l'abstraction et la discussion philosophique. Victor Hugo, depuis soixante ans, prouve que notre langue, diplomatique et internationale, peut être celle de Shakespeare et d'Eschyle, et à ceux qui s'obstineraient à dire qu'elle ne se plie pas aux sublimes exigences de la poésie, il suffirait d'opposer la Légende des Siècles ou, si l'on veut, Gaspard de la nuit.
Petits poëmes en prose, tel pourrait être le sous-titre du livre merveilleux de Louis Bertrand : il lui conviendrait aussi bien qu'au recueil de Baudelaire. Ce sont en effet de courtes pages où, en quelques lignes, tout un drame tient, tout un paysage est rendu avec une exactitude et une vérité de touche qui l'évoquent, pour ainsi dire. Un tel art fait penser à celui du graveur qui couvre une planche de noir et, par quelques éclaboussures de lumières, arrive à une incroyable intensité d'effet ; il a des procédés comparables aussi à ceux des gothiques et patients maîtres qui, au moyen âge, peignaient minutieusement les éblouissants vitraux de nos cathédrales. L'œuvre de Bertrand est moderne et, en même temps, aurait pu être rêvée aux jours évanouis des siècles passés. On dirait que le poëte a vécu jadis et qu'il se souvient.
On éprouve une singulière impression en se lisant à soi-même, et tout haut, Gaspard de la nuit. Il semble que tout un monde, familier autrefois et oublié se réveille. Les vieilles maisons de bois aux pignons aigus, aux petits carreaux à mailles de plomb, aux porches surbaissés, les maisons de nos pères, se relèvent et mordent le ciel de leurs bizarres architectures ; des villes comme on en voit en rêve, et comme nos aïeux en habitaient, se construisent au coup de baguette du magicien. Et puis ce sont des parcs aux étangs immobiles, aux voûtes sombres, d'où descend une terreur mystérieuse, de funèbres collines où le gibet se dresse, secouant son pendu, pendant que tourne la ronde des sorcières que le sabbat rassemble. Livre troublant et mystérieux qu'on ne feuillette pas le soir sans tourner plus d'une fois la tête pour voir si quelque hôte inattendu et indiscret ne suit pas les lignes par-dessus votre épaule.
Hélas le pauvre Aloysius (Bertrand aimait à romantiser ainsi son nom de Louis) est mort sans que son oeuvre ait été imprimée. Depuis de longues années, son manuscrit dormait chez Renduel, sous un couche de romans et de poëmes dont quelques-uns seulement on vu le jour. Un ami, un éditeur angevin M. Victor Pavie, le découvrit enfin ; Sainte-Beuve fit la préface, le volume parut, et... « ce fut un des plus beaux échecs dont les annales de la librairie fassent mention. » Le livre n'arrivait pas à son heure ; on avait vraiment souci en 1842 de poésie et d'art ! C'était le temps du juste-milieu, le temps des Guizot et des Cunin-Gridaine. Le bourgeois régnait ; on lui avait dit : Enrichis-toi, et il s'enrichissait, n'ayant pour les poètes qu'un sourire de pitié et l'hôpital. Ah ! Messieurs, vous vous permettez de n'avoir pas d'opinion sur le trois pour cent et de ne pas vous incliner devant le dieu million, qui a son temple, poncif comme il convient, place de la Bourse ; vous vous permettez d'être jeunes, d'être beaux, d'être libres, de chanter, d'espérer, de croire à l'amour et à l'idéal, eh ! bien, crevez. On crevait.
Tout à l'heure, dans le silence de la nuit, mon cher Aloysius, j'ouvrirai ton Gaspard, et nous partirons tous deux pour le monde des illusions, qui sont peut-être, comme Edgar Poë l'a cru, les seules réalités. Nous rebrousserons chemin, nous remonterons les temps, nous pousseront une pointe en plein moyen âge, nous rêverons ensemble. Et puis un jour, quand il y aura des fleurs sur les tombes, j'irai, ton livre dans la poche, au petit cimetière de Vaugirard. Je ne chercherai pas à savoir dans quel coin tu dors, on ne pourrait me répondre, mais je m'arrêterai à la pierre la plus humble et la plus abandonnée, et là, ton ombre de poëte m'enveloppant, je lui demanderai si ce n'est pas payer trop cher d'une agonie sur un lit d'hôpital la gloire d'avoir fait une belle œuvre. Ton ombre m'écoutera, et je l'entendrai, j'en suis sûr, dans le murmure apaisé du feuillage, me répondre : « Non ! »

Augustin Daniel.


Le Réveil
, littéraire et artistique, n° 8, 18 décembre 1875.

Association pour la mémoire d'Aloysius Bertrand.

Le Réveil, littéraire et artistique, hebdomadaire, rédacteur en chef : Hippolyte Buffenoir. 1er novembre 1875 - 15 janvier 1876.

On retrouve Hippolyte Buffenoir sur Livrenblog dans : Le Pierrot, La Poésie Moderne, La Revue d'Art.

mercredi 27 octobre 2010

François Caradec : Entre miens, d'Alphonse Allais à Boris Vian



François Caradec : Entre miens, d'Alphonse Allais à Boris Vian. Flammarion, 2010, 14,5 x 22 cm, 950 pp. Index et bibliographie.

Recueils d'articles parus dans la presse entre 1945 et 2008.

I. Entre miens : Alphonse Allais. Noël Arnaud. Antonin Artaud. Georges Auriol. Lanterne de Bocquillon. André Breton, Robert Carlier, Christophe. Dessins, illustrations et bande dessinées. Eugène Ionesco. Max Jacob. Alfred Jarry. Justice. Lautréamont. Paul Léautaud. Michel Leiris. Sur la langue. Librairies. Léo Malet. Mariniers. André Martel. Henri Michaux. Mystifications. Naïfs. Jean-Nohain. Oulipo. 'Pataphysique. Pascal Pia. Jacques Prévert. Raymond Queneau. François Rabelais. Arthur Rimbaud. Raymond Roussel. Maurice Saillet. Paul Steinberg. Typographie, Imprimerie. Veber. Boris Vian. Willy. Zéro.

II. Varia.

III. Entretiens.


Indispensable à tout amateur d'histoire littéraire.

mardi 26 octobre 2010

Adolphe Retté : Le Règne de la bête. 1908


Adolphe Retté : Le Règne de la bête. Librairie Léon Vanier, A. Messein, Succr, 1908, in-12, 248 pages.

Un converti

C'est de A. Retté qu'il s'agit. A. Retté qui vient de tomber dans un bénitier, publie un volume : le Règne de la bête, dans lequel il raconte des horreurs sur ses anciens copains, les anarchistes.
Il faut qu'on sache qu'autrefois A. Retté était plus anarchiste que nature et avec lui plusieurs littérateurs de marque. C'est ainsi que le jour où Vaillant lança sa bombe, à la Chambre des députés, A. Retté se distingue particulièrement.
Le soir de ce même jour A. Retté assistait à un banquet de la Plume. Il y avait là Ibels, Riotor, Verlaine... Rodin présidait et Zola discourait.
Tout à coup, on annonça l'événement. Grand émoi.
Paul Verlaine qui ne comprenait pas ces choses là devint tout pâle. Les autres se mettent à commenter l'attentat. Alors A. Retté se lève, va vers Ibels et lui susurre à l'oreille : Il faut porter un toast à Vaillant.
Et Ibels, bon garçon, se dresse, verre en main :
- Messieurs, je vous propose de boire à la vaillance.
Là-dessus, applaudissements. Chacun a compris l'allusion. On trinque, on boit...
C'est ainsi que A. Retté, auteur du Règne de la bête, manifestait autrefois son anarchisme.

Les Hommes du jour, 3 octobre 1908, n° 37.



André Beaunier : La Poésie Nouvelle. 1902




André Beaunier : La Poésie nouvelle. Arthur Rimbaud, Jules Laforgue, Gustave Kahn, Jean Moréas, Emile Verhaeren, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Maurice Maeterlinck, Stuart-Merrill, Francis Jammes, Paul Fort, Max Elskamp, etc. Société du Mercure de France, 1902, in-12, 402 pages.

Dans La Plume du 15 septembre 1902, n° 322, Stuart-Merrill écrit de La Poésie nouvelle d'André Beaunier :

« Le meilleur livre qui ait paru jusqu'ici sur les théories, les œuvres et les hommes du Symbolisme. »

Marcel Ballot tenait la chronique littéraire, « La Vie littéraire », du Figaro tous les lundis.



lundi 25 octobre 2010

Jean de La Hire : Incestueuse. 1901.


Jean de La Hire : Incestueuse. Offenstadt frères, 1901, 236 pages. Photographies hors texte.

[...] Une transformation s'est faite en moi à votre égard... Certes, du premier jour où je vous ai vue, je vous ai toujours aimée, comme une sœur, et maintenant, je vous aime d'une autre manière... (p. 38)


Ils se laissèrent aller sur le canapé et restèrent longtemps aux bras l'un de l'autre, immobiles, apeurés par la formidable poussée mystérieuse qu'ils sentaient en eux et qui troublait leur existence, les faisant désorientés, incapables de trouver du plaisir à leurs occupations ordinaires, rêvant d'amours romanesques qu'ils ne savaient pas transporter dans leur vie... (p. 46)


Pendant les trois mois écoulés depuis son arrivée au château, Blanche avait beaucoup lu ; elle avait appris, mais appris seulement son ignorance d'une chose sur laquelle les romans sont d'ordinaire pas très précis, qu'ils indiquent vaguement et craignent d'expliquer et de décrire comme ils font d'un phénomène de l'âme ou d'un paysage de la nature. (p. 50 et 53)


Jacques et Blanche formaient ainsi un couple pittoresque et charmant où la mâle robustesse du jeune homme était d' un harmonieux contraste avec la grâce légère de la jeune fille (p. 60)

Les jeunes gens vivaient dans une extérieure tranquillité. Jacques dont le corps, un peu plus calme, se formait peu à peu, était tout aux exercices physiques, Blanche restait calme en apparence, mais rongé au dedans par la Curiosité, le Désir et l'Amour [...] (p. 109)

Blanche !
Dans une lueur rouge, il la vit qui, en un élan d'extraordinaire et pieuse passion, couvrait de ses baisers et de ses larmes les genoux luisants de Jésus en croix. Une infernale jalousie bouillonna dans la chair et dans le cœur de Jacques : elle fut un formidable ressort qui se détendit tout à coup et le lança sur sa sœur comme un instrument d'amour et de vengeance
- Blanche !... Tu l'aimes, cet homme immobile et laid ! Tu l'aimes, tu l'aimes !...
Il râlait ; une écume blanche dégoûtait de ses lèvres. Il était devenu fou. Il enleva sa sœur dans ses bras, la battit, lui déchira les vêtements.
Et comme elle se dérobait, lui échappant, il saisit, dans une rage insensée, un lourd chandelier de cuivre qui se trouvait sur l'autel à porté de sa main, et l'abattit de toutes ses forces sur la tête de Blanche. (p. 232)


Le soir même, des paysans rapportèrent au château le cadavre de Jacques. Il s'était tué en tombant dans un précipice. (p. 235)

Roman illustré par la photographie : En Bombe de Willy.

Edwards Paul. Roman 1900 et photographie (les éditions Nilsson/ Per Lamm et Offentstadt Frères). In : Romantisme, 1999, n°105. L'imaginaire photographique. pp. 133-144.

dimanche 24 octobre 2010

Charles Ploix : Le Surnaturel dans les contes populaires


Charles Ploix : Le Surnaturel dans les contes populaires. Paris, Ernest Leroux, 1891, in-12, IV+212 pp.

« Les récits mythologiques et les histoires du folklore sont en effet identiques ; les mêmes faits surnaturels se rencontrent dans les uns et dans les autres ; l'origine du merveilleux qui s'y révèle doit donc être la même [...] »

« Je me propose donc ici d'établir l'assimilation du conte et du mythe. Mais de même que j'ai limité mon examen des récits folkloriques à ceux recueillis par les frères Grimm, je me bornerais dans mes comparaisons, à la mythologie hellénique. »



samedi 23 octobre 2010

L'Assommoir, étude critique, par Frédéric Erbs


Trouvé ce Samedi :

Frédéric Erbs : M. E. Zola et son Assommoir. Etude critique. Paris, Librairie Gauloise, 1879. 98 pages + 10 pages de catalogue. (Imprimerie Darantière, Dijon).

L'auteur y expose "les incidents" du roman "par chapitres sommaires" "ne prenant dans les faits que ceux qui sont essentiels pour l'intelligence du livre, laissant de côté ceux qui ne sont que vulgaires et burlesques" "pour ne porter notre attention qu'à ceux qui peuvent se prêter à la discussion, soit sur leur caractère de vérité, ou soit sur leur valeur morale." Il en conclut que le roman ne peut être scientifique et que l'Assommoir est une œuvre "intempestive" et "inutile"...

Le catalogue de la Librairie Gauloise, nous révèle un livre d'Albert Pinard : La Sève, poésies.

Émile Zola dans Livrenblog : Zola mis en fiches. Edouard Toulouse. La Vérification des bagages Emile Zola illustré par Fernand Fau. Zola intime par Henry Céard. Emile Zola dans Le Reporter de Paul Brulat.

Mercure de France : 1ère facture, décembre 1889.


En 1890, La Pléiade devient Mercure de France, la jeune revue paraît en janvier.



En décembre 1946 paraît le numéro 999 - 1000, tome CCXCVIII, le Mercure de France a alors vécu ses plus belles années, sa parution était interrompue depuis le 1er juillet 1940. On y trouve, outre les documents ci-dessus, des inédits de :

Alfred Vallette, Léon Bloy, Francis Jammes, Gustave Kahn, Rudyard Kipling, Jules Laforgue, Frédéric Nietzsche, Louis Pergaud, Henri de Régnier, Isabelle Rimbaud, Albert Samain, Paul Valéry, Francis Vielé-Griffin.

Ainsi que des lettres à Alfred Vallette de :

Guillaume Apollinaire
, Ed. Barthélémy, François Coulon, Adolphe Retté, Alphonse Daudet, Alfred Douglas, Paul Gauguin, Remy de Gourmont, J.-K. Huysmans, Alfred Jarry, Louis Le Cardonnel, Pierre Louÿs, Stéphane Mallarmé, Dr. Mardrus, Alfred Massebieau, Stuart Merrill, Charles Morice, Marcel Proust, Pierre Quillard, A. Remacle, Jules Renard, Jehan-Rictus, Saint-Pol Roux, Marcel Schwob, Laurent Tailhade, J. de Tinan, E. Verhaeren, Willy et Th. de Wyzewa.


jeudi 21 octobre 2010

W. C. Morrow : Le singe, l'idiot et autres gens


Publicité parue dans le Cri de Paris du 7 juillet 1901.

On ne saurait imaginer une suite de contes plus dramatiques, plus fantastiques même, pourrait-on dire ; mais l'invraisemblable, tant est grande l'habileté de l'auteur, est présenté au point de faire la plus complète illusion et l'horreur tragique des situations est telle qu'on ne peut retenir de frissonner à la lecture de ces pages véritablement émouvantes.

Le Stylet, Devant une Bouteille d'Absinthe, le Prisonnier, un Irréductible Ennemi, un Sépulcre d'or, le Faiseur de Monstres, entre autres, suffissent « à donner véritablement la chair de poule ». Depuis les célèbres contes d'Edgar Poe, on n'a, dans ce genre, rien écrit d'intérêt aussi troublant que ce recueil de nouvelles de W. C. Morrow intitulé le Singe, l'Idiot et Autres Gens, admirablement traduit par George Elwall.

Un volume in-18 jésus


Article, non signé, paru dans le même numéro de la même revue :

« Le Singe, l'idiot et autres gens »

Le flegme, l'aplomb, la fantaisie énorme et sanglée de ces contes, leur tenue et leur extravagance, leur horreur roide, leur paradoxe scientifique, psychologique et continu, tout en fait le recueil des histoires les plus extraordinaires depuis Edgar Poe. Je défie M. Laberdesque (1) lui-même de ne pas avoir peur en feuilletant ces contes. Diaboliques et humains, d'un paroxysme étouffé, ils dépassent toute imagination : c'est du Wells sobre et écrit par feu M. Mérimée. Le traducteur heureux qu'est M. George Elwall nous apprend que le thaumaturge Morrow est journaliste à ses heures : il nous faudrait de tels journaliste à ses heures : il nous faudrait de tels journalistes pour les faits divers, ici : ils apprendraient le crime à leurs éventuels clients. Il faut venir chercher ici l'émotion, la terreur, le frisson de l'au delà et de la pitié aussi : il semble que Hoffmann, Barbey, Villiers et Tolstoï se soient laissé évoquer par l'effroyable interviewer qu'est M. Morrow – avec du style.

(Editions de la Revue Blanche.)


(1) Journaliste républicain d'Alger et escrimeur professionnel et accessoirement garde du corps, Etienne Laberdesque avait la réputation de n'avoir peur de personne. Victor Méric fait son portrait dans « A Travers la jungle politique et littéraire » : « Spadassin profesionnel, il avait attiré l'attention sur lui par un duel féroce avec Max Régis, maire antisémite d'Alger [...] Ce Laberdesque dont on craignait l'épée [...] » On trouvera d'autres informations sur Laberdesque dans Raphaël Viau : Vingt ans d'antisémitisme, 1889-1909. Fasquelle, Bibliothèque-Charpentier, 1910 (Chapitre 12 - pages 307 à 313)

Rachilde dans le Mercure de France est moins dithyrambique et généralise un peu vite sur la littérature américaine :
Le singe, l'idiot, et autres gens, par Morrow. Des nouvelles très curieuses où règne ce genre de terreur froide qui caractérise tous les écrivains américains et, malgré leur personnelle originalité, les rend tous un peu frères. Le faiseur de monstres est une des plus effrayantes de ces nouvelles.

Alfred Jarry, dans la Revue Blanche, souligne l'absolue nouveautés de ces nouvelles :

W. C. Morrow : Le singe, l'idiot et autres gens (éditions de la Revue Blanche).

Voici un volume où se réunissent le génie narratif de Kipling et le sens de l'horreur d'un Edgar Poe, quoique les récits de Morrow soient une chose si neuve, qu'il est inutile d'y chercher des comparaisons. On a lu dans cette revue Le Faiseur de monstres : on retrouvera, en plus émouvant, la même terreur obtenue par des procédés scientifiques, dans Le Stylet : l'extraordinaire docteur Entrefort recoud la lame dans l'aorte d'un homme poignardé, et quand le patient meurt, malade imaginaire, l'autopsie le prouve guérie par l'opération la plus folle. Poe n'a pas atteint au dramatique de cauchemar d'Un irréductible ennemi : Néranya, bras et jambes amputés au ras du tronc par ordre d'un rajah, et enfermé dans une cage de fer au haut d'une colonne, s'évade, Latude monstrueux, larve humaine, par un tour de force inouï et vient à bout de tuer son bourreau. A côté de ces histoires sanglantes s'épanouit l'infinie douceur et la sentimentalité inédite du Singe et de l'Idiot lâchés à travers le monde et redressant les torts de l'homme, Dons Quichottes imprévus.

Mais aucune critique ne donnera idée du livre de Morrow si on ne le lit, car on n'a encore rien écrit de pareil.

William Chambers Morrow (1854-1923) :

Dans la pièce du fond. Nouvelles traduites par J.-B. Dupin. Finitude, 2004.

Le Singe, l'idiot et autres gens. Préface de Eric Dussert. Réédition Phébus, 2004.




mercredi 20 octobre 2010

Aquarelle par Gabriel de Lautrec




Aquarelle

La table est de laque noire ; les rideaux jaunes et noires, le soleil des vitres fait flotter par la chambre des pierreries de mille couleurs ; telle la pensée de l'aimée se reflète et se multiplie, lorsqu'elle regarde dans mon âme obscure-illuminée.
Sur la table de laque noire, que recouvre un tapis aux ors usés, des verres couleur d'émeraude mettent la joie esthétique et neuve de leurs rayons teintés d'oubli.
Dans les verres couleur d'émeraude, quelques rares fleurs, non pour l'harmonie brutale et confuse du bouquet, mais pour les uniques découpures de chacune d'elles et leurs parfums ; un mimosa, un chrysanthème, seuls et fins, subtilement ciselés et ouvrés en œuvre d'art.
Les eaux-fortes, énigmatiquement, regardent des murs et les éventails évocateurs de paysages polychrômes, de toits bizarres et de montagnes bleues, suggèrent des rêveries calmes avec cette nuance d'exotisme qui suffit à satisfaire le désir maladif du nouveau.
Et tel, dans cet intérieur, lentement, avec les touches nettes et délicates d'un aquarelliste patient, sur les papiers japonais, je m'amuse à dessiner des lettres noires, qui se symétrisent en lignes régulières et non finies, - pour Celle dont je suis aimé...

Gabriel de Lautrec.


L'Idée Moderne, n° 2, 1er septembre 1894.


Gabriel de Lautrec dans Livrenblog : Lauréat de l'Écho de Paris. Gabriel de Lautrec : Lettre à Alphonse Allais et notice. "Les moulins sont de plus en plus au bord de l'eau".

Voir :
Souvenirs des jours sans soucis. Laboratoires Pharmaceutiques Corbière, 1938.
Les Histoires de Tom Joë
. Préface de François Caradec. La Bougie du Sapeur, 1989.
la Vengeance du portait ovale. Préface d'Eric Dussert. L'Esprit des Péninsules, Collection l'Alambic, 1997.

L'Idée Moderne 1894-1895.


Camille de Sainte-Croix illustré par Steinlen dans le Gil Blas


Nouvelles et chansons
de
Camille de Sainte-Croix


Avant quelques premières pages illustrant des nouvelles, une "Chanson à tuer", avec rabatteuse et assassin et une "Sérénade", furieusement misogyne, paroles et musiques de Camille de Sainte-Croix :

Chanson à tuer, dessin de Steinlen, n° 23, 9 juin 1893

Sérénade, dessin de Steinlen, n° 26, 30 juin 1893

Faire une fin, dessin de Steinlen, n° 10, 9 mars 1900

Pot-bouille, dessin de Steinlen, n° 17, 27 avril 1900

L'Honneur aux champs, dessin de Steinlen, n° 22, 1er juin 1900

Maîtresse, dessin de Steinlen, n° 40, 5 octobre 1900

Vœu suprême, dessin de Steinlen, n° 50, 14 décembre 1900


mardi 19 octobre 2010

Jean Lorrain dans le Gil Blas illustré



Quelques nouvelles de Jean Lorrain
dans
le Gil Blas illustré


Groseille à maquereaux, dessin de Steinlen, n° 22, 28 mai 1893

Conte du Bohémien, dessin de Steinlen, n° 4, 26 janvier 1896

L'Homme des berges, dessin de Steinlen, n° 12, 22 mars 1896

La Princesse Neigefleur, dessin de J. Fontanez, n° 13, 27 mars 1903



Un Conte Sec par Camille de Sainte-Croix .


Un conte sec est un récit dépourvu d'artifices descriptifs, plutôt oral et impromptu qu'écrit et composé.
Sobre et nu, il court à sa conclusion avec l'allure la plus rapide et par la voie la plus directe.
C. de S.-C.


Les Vacances de Madame Dulcinet

Pour Georges Auriol.

Sur la lecture des articles signés Arsène Prengard dans un petit journal de modes, Virginie Dulcinet, femme d'un voyageur de commerce, s'était prise d'un violent amour pour ce chroniqueur prestigieux.
Elle s'était enquise de son adresse au bureau de rédaction et on la lui avait donnée : « M. Arsène Prengard, chez M. Copeteau, avenue de La Bourdonnais, 114 bis. » Ainsi documentée, elle rôda dans le quartier des Invalides, et recueillit des informations plus précises.
M. Copeteau, d'après les renseignements, était un petit rentier, marié avec une femme de
dix ans plus âgée que lui.
Seulement quand Virginie voulut savoir quel était ce M. Prengard qui demeurait chez ces Copeteau, on ne sut que lui répondre.
Il y avait un mystère.
Pour l'éclaircir, Mme Dulcinet eut l'étonnante idée de demander en outre si les Copeteau n'auraient pas, par hasard, besoin d'une bonne. Et cette fois, elle eut la satisfaction d'apprendre que, munis seulement d'une cuisinière, ils cherchaient une femme de chambre.
Ce serait une entrée possible dans cette maison, habitée par le mystérieux Arsène.
Précisément ces événements coïncidaient avec le départ de Dulcinet pour une grande tournée d'affaires à travers l'Europe et qui durerait trois mois. Ces longues vacances laisseraient a la romanesque épouse tout le temps de faire aboutir l'intrigue rêvée. Sitôt son mari embarqué, elle se fit présenter aux Copeteau par un bureau de placement. Peu exigeante sur les appointements, elle fut vite agréée, sous son petit nom, Virginie.
Mais que d'épreuves !
D'abord, pas l'ombre d'un Arsène Prengard dans la maison L'aurait-on trompée aux bureaux du journal ? Mais non !... Des lettres, des imprimés arrivaient presque chaque jour, portant l'adresse du chroniqueur. Mme Copeteau s'en emparait et tantôt les ouvrait elle-même, tantôt les serrait dans le tiroir d'un petit bureau près de son lit.
Sans doute Arsène Prengard ne demeurait pas chez ses amis Copeteau. Il recevait seulement son courrier chez eux. Mais alors il devait venir de temps en temps un peu de patience, et elle le verrait !
Le service était agréable. Madame très douce, pas exigeante...
Mais monsieur !... Ah !... monsieur, un gaillard jeune encore, solide, trapu, sanguin, l'œil vif et la main prompte. Dès la première inspection il avait jugé Virginie mûre mais appétissante et n'avait pas tardé à lui donner de vigoureux témoignages d'une sympathie ancillaire contre laquelle aucune rébellion n'était possible.
Or dans l'embarras de cette complication imprévue, et en attendant la visite du trop tardif Arsène, Mme Dulcinet aurait goûté d'agréables compensations s'il n'avait fallu compter avec la cuisinière, Agathe.
Celle-ci, brusquement dépossédée des faveurs du patron par l'intruse avait flambé de fureurs jalouses et résolu de cruelles représailles.
Un jour, Mme Copeteau s'aperçut qu'un lot d'obligations serrées par elle dans un coin d'armoire avait disparu. Fouillant aussitôt les effets des domestiques, elle découvrit les titres soustraits dans la malle de Virginie. La bonne dame se retint de porter plainte, mais fit subir à la femme de chambre un dur interrogatoire.
C' en était trop.
L'infortunée Mme Dulcinet se jeta aux pieds de la digne bourgeoise et lui fit toute sa confession. Elle raconta son amour littéraire pour le mystérieux Arsène Prengard, ses négociations avec le bureau de placement son espoir vain de rencontrer un jour le brillant boulevardier pour lequel elle avait noué à sa taille le tablier blanc des soubrettes, etc. La seule chose dont elle ne se vanta pas, ce fut la série de ses complaisances forcées pour M. Copeteau.
La généreuse patronne accueillit ces confidences avec un bienveillant mais énigmatique sourire et assura l'infortunée de toute sa clémence. Puis, discrètement elle vérifia l'authenticité des faits, s'assura que l'exaltée Mme Dulcinet ne pouvait être une vulgaire voleuse d'obligations, porta ses soupçons sur la misérable Agathe à laquelle elle arracha l'aveu de sa rancune et de sa vengeance. C'était bien la cuisinière qui avait dérobé les actions pour les cacher traîtreusement dans le bagage de la femme de chambre. Agathe fut renvoyée, sans plus d'explication.
- Et maintenant, dit Mme Copeteau dénouant elle-même le tablier de Virginie et la faisant asseoir à ses côtés sur une chaise longue dans sa chambre, où elles restaient seules, enfermées ; et maintenant, laissez-moi vous dire. Nous ne sommes pas très riches, mon mari et moi pour grossir le budget de la maison, j'écris dans des journaux de mode sous divers pseudonymes... Et, votre cher Arsène Prengard, c'est tout simplement... moi !...
Elle prit les poignets de Virginie. Toutes deux étaient très émues. Les mains de Mme Copeteau se faisaient douces, souples, insinuantes.
Bien qu'elle comptât plus de cinquante ans, elle avait un petit air tout drôle avec ses cheveux courts, son haut col droit, ses vêtements tailleur ; oui, un petit air bizarre que Virginie ne lui avait jamais remarqué et qu'elle commençait seulement à définir, impressionnée par la tiédeur énervante d'un contact persistant.

Camille de Sainte-Croix : Cent contes Secs dit par Coquelin Cadet. Ollendorff, 1894.

Camille de Sainte-Croix dans Livrenblog : Camille de Sainte-Croix et l'Education artistique. Camille de Sainte-Croix illustré par Steinlen dans le Gil Blas. Blanc et Noir, un Conte sec de Camille de Sainte-Croix.