jeudi 13 janvier 2011

Paul Ranson : L'Abbé Prout



Paul Ranson

L'Abbé Prout

Guignol pour les vieux enfants

Préface de Georges Ancey

Illustrations de Paul Ranson


J'ai le plaisir extrême de vous présenter l'abbé Prout et sa troupe.

Un guide me paraissait peu nécessaire, cependant, pour vous faire pénétrer à travers ces jolies piécettes d'un tour si lucide, écrites manifestement sous l'influence de nos vieilles soties, un peu débraillées et très court vêtues.
Ne les croyez du reste pas inoffensives, malgré leur air de n'y pas toucher. Inoffensives ! Oh ! Que non. C'est à merveille qu'elles tirent la langue et qu'elles font le pied de nez. D'intrigues légères en leur langage de marionnettes, d'observation subitement aiguë à travers les outrances de leur fantaisie parfois désopilante, elles vous donneront la sensation délicieuse que vous vous promenez côte à côte avec des types vraiment humains. Ces personnages là sont des bonshommes en bois, mais au fond, ce n'est pas vrai ; nous sommes là en face de pantins, qui sont juste assez pantins pour avoir le droit de chevaucher l'extravagance. Mais qui nous dira la limite exacte, où ils apparaissent en bois ? Qui nous dira le point précis, où ils s'articulent d'un squelette, vêtu de chair ? C'est l'art de l'auteur de nous laisser là ce sujet, en une charmante perplexité. Comme ce sont bien des êtres vivants, et pas tout à fait des marionnettes ! Quelle vivante galerie de nos actuels bonshommes, et quelle blague sournoise de tous nos messieurs à gros ventre et à petit esprit ! Comme, à travers de folles gaillardises, perce jaillit, éclate tout à coup l'éblouissante fusée du mot comique ! Et comme ce sont bien aussi des marionnettes et pas tout à fait des êtres vivants ! Comme l'expression, cueillie en pleine vie, se transforme, se déforme, et se reforme en pleine fantaisie guignolesque ! Comme le trait part juste, et avec les proportions qu'il lui faut pour être à la fois le mot d'un être vivant et la calembredaine d'un fantoche ! Et les tics, donc ? Quels plus habiles commentaires pour des sentiments de marionnettes, et vous verrez combien adroite est leur application !
Je vous recommande Gontran, le duc Gontran, le nationaliste idiot, très sûr de lui, gonflé d'importance. C'est l'homme plein de lui-même, qui ne parle pas, mais qui daigne parler. Oui, Gontran de Percefort « de la plus haute noblesse de France », daigne parler, répondre, agir. Or, savez-vous quel tic il a ?... Il souffle. Dès qu'il a daigné émettre quelque prudhommesque énormité, il souffle, du bout des lèvres, campé dans son faux col en papier, continuellement. Quelle plus jolie critique, et combien applicable au pantin, de la sotte vanité et de l'imbécile jactance ! Je vous recommande aussi, et entre tous et toutes, Clotilde, la blonde grasse, qui, en son rôle de cocotte effarouchée, a peut-être le plus joli mot de tout ce petit monde, d'une vie si ambiguë et si cocasse ; car sachez qu'elle ne peut se sentir pincé au bras ou ailleurs – ce qui est terrible, car ce tic la fera toujours reconnaître, quand il ne faudrait pas, - sans s'écrier immédiatement d'une voix en appel de flûte : « Maman, maman, les petits oiseaux ! » N'est-ce pas charmant, et bien parlé en marionnette ?
Gardons néanmoins toutes nos préférences pour l'Abbé Prout. Je ne puis dire de lui qu'une chose c'est – qu'il est ! - il est, au même titre que Polichinelle, le gendarme et le commissaire. Son rire sonore d'homme gras et ses farces de vieux prêtre cupide, paillard et bon garçon le mettent, à mon sens, au premier rang de nos fantoches nationaux. Soyez-en sûrs, Frère Jean des Entommeures lui aurait tendu la main. Sa liaison avec Madame Leprince, son invention de la vaseline de l'Immaculée Conception, et son Eau de Lourdes, coupée de Champagne, lui donnent le droit de figurer aux meilleurs chapitres du Pantagruel. A propos de lui, je deviens tout à fait sérieux, je vous le jure. L'Abbé Prout existe !

Georges Ancey.



Personnages

Dans chaque pièce, au milieu d'intrigues diverses se meuvent, causent et s'aiment les mêmes personnages ; leur situation sociale change un peu parfois, mais leur caractère reste toujours le même ; ils conservent, quel que soit leur rôle, la même attitude, la même voix, les mêmes tics ; ce sont en somme les mêmes types qui s'agitent dans des aventure différentes.


Gros curé jovial au teint apoplectique, à la voix très ecclésiastique, pleine d'onction sereine, indulgente et gaie.


Vieux beau, très aristocrate, légèrement gâteux. Dépourvu de dents, sa voix est un peu pâteuse ; de temps à autre, dans le courant de son discours, il fait entendre un grincement bizarre, un râclement de gorge dépourvue de salive, ckrrri, et cela suivant l'inspiration, tout au gré de la personne qui fait parler la marionnette.

Trente ans, plein de suffisance ; convaincu de sa valeur, souvent il ponctue ses phrases d'un pfheu dédaigneux qui fait pendant au ckrrri du marquis.


Jeune homme très naïf ; il zézaie en parlant d'une voix timide.

Valet de chambre, camionneur ou garde républicain, il parle avec une sorte d'accent auvergnat mélangé de la prononciation particulière que prend au théâtre le pioupiou français.

Député, homme d'action, sa voix est brusque tout en exprimant l'importance qu'il accorde à ses paroles.

Vieux militaire retraité, ton brusque et bon enfant.

Jeune homme insignifiant.

Jeune blonde galante, élégante et voluptueuse, à la voix persuasive et câline.

Noble dame au ton décidé ; elle parle légèrement du nez.

Jeune personne aimable et timide à la voix très douce.

Femme de chambre, sentimentale et pratique.

Gouvernante d'âge canonique, elle s'exprime d'une façon doucereuse.

Cantinière.

Paul Ranson : L'Abbé Prout. Guignol pour les vieux enfants. Préface de Georges Ancey. Illustration de Paul Ranson. [1 page de musique de Claude Terrasse]. Société du Mercure de France, 1902. 294 pages.


Paul Ranson (1861-1909). Catalogue raisonné. Japonisme, symbolisme, art nouveau. Somogy, 1999, 26 x29 cm, 432 pages.



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