mercredi 30 mars 2011

Trois poèmes de R. de Gourmont dans La Tradition (1888-1889)



Trois poèmes de Remy de Gourmont
dans
La Tradition (1888-1889)

Nous connaissons le goût de Remy de Gourmont pour la poésie populaire, le chapitre qu'il lui consacre dans l'Esthétique de la langue française (1) en témoigne. Les trois « chansons » qui suivent furent publiées, entre Merlette (1886) son roman de jeunesse et Sixtine (1890) le roman symboliste, bien avant ses articles dans La France Moderne ou l'Ymagier. Elles figurent dans La Tradition, Revue générale des contes, légendes, chants, usages, tradition et arts populaires (2), entre février 1888 et mai 1889. A cette époque Gourmont considère que les efforts et recherches des symbolistes mènent à la perte de la clarté et du bon sens. Lui qui deviendra bientôt le pourfendeur du « bon sens » et qui niera l'obscurité de Mallarmé (3). Déjà ces "chansons" et leur présentation annoncent ses travaux futurs sur le vers, et les tentatives qu'il fit pour trouver dans la poésie populaire des "effets nouveaux".

(1) Esthétique de la langue française La déformation. La métaphore. Le cliché. Le vers libre. Le vers populaire. Mercure de France, 1899. Voir aussi : La poésie populaire dans La France Moderne, N° 62 du 3 juillet 1892, première mouture du chapitre de l'Esthétique, ainsi que De la poésie populaire, l'Ymagier, 1896.

(2) Parait le 15 de chaque mois. Direction MM. Emile Blémont et Henry Carnoy. Paris, Aux bureaux de La Tradition, provisoirement, 33 rue Vavin. 1re année, n° 1 (Avril 1887) - 21e année, t. 17 (1907) (interruption entre avril 1897 et janv. 1900)
(3) « il serait absurde de supposer qu'il est incompréhensible » Mallarmé in Le Livre des Masques.

Le Moulin qui moud de l'amour

Il n'est pas impossible, peut-être, pour un poète, d'imiter l'inimitable chanson populaire, c'est-à-dire de s'approprier par l'étude cette poétique particulière à laquelle obéissent, sans en avoir conscience, les auteurs anonymes des chansons.
A opposer à l'extrême recherche des Parnassiens et des Symbolistes, également stériles, où s'abolit la clarté et le bon sens, on trouverait dans la simplicité nécessaire à la forme populaire plus d'un effet nouveau.
On dira si cette tentative est originale ou seulement bizarre.
Remarquons que tous les sujets peuvent être traités en vers rythmiques et assonnancés. L'assonance, avec ou sans refrain, supporte parfaitement le lyrisme ; j'essaierai de le prouver un jour. C'est d'ailleurs une théorie sur laquelle je me réserve de revenir tôt ou tard plus au long.
Cette chanson est imitée d'un thème suédois.

Le Moulin qui moud de l'amour

Je connais un joli meunier,
O violette,
La violette double, double,
La violette doublera.
Je connais un joli meunier,
Je l'ai choisi pour bien-aimé,
Je l'ai choisi pour bien-aimé.

S'il refuse ma blanche main,
O violette,
La violette double, double,
La violette doublera.
S'il refuse ma blanche main
Je me laisserai mourir de chagrin,
Je me laisserai mourir de chagrin.

- Belle, ma belle, comptez sur moi,
O violette
La violette double, double,
La violette doublera.
Belle, ma belle, comptez sur moi,
Je ne vous délaisserai pas,
Je ne vous délaisserai pas.

Voyez mon beau moulin, là-bas,
O violette,
La violette double, double,
La violette doublera.
Voyez mon beau moulin, là-bas,
Qui tourne, tourne au gré de l'eau,
Qui tourne, tourne au gré de l'eau.

Belle, ma belle, nuit et jour,
O violette,
La violette double, double,
La violette doublera.
Belle, ma belle, nuit et jour,
Mon beau moulin moud de l'amour,
Mon beau moulin moud de l'amour.

Remy de Gourmont
La Tradition, N° 2, 15 février 1888 (pp. 55)


La Ballade des cheveux blonds

La belle aux cheveux blonds
Tristement s'éveilla,
O joli rosier blanc,
La belle aux cheveux blonds
Tristement s'éveilla.

« La belle aux blonds cheveux
Voulez-vous bien m'aimer ?
O joli rosier blanc,
La belle aux blonds cheveux
Voulez-vous bien m'aimer ?

Si bleus sont vos yeux bleus,
Si blonds vos cheveux blonds,
O joli rosier blanc,
Si bleus sont vos yeux bleus,
Si blonds vos cheveux blonds,

La belle aux blonds cheveux
Prenez-moi pour mari,
O joli rosier blanc,
La belle aux blonds cheveux
Prenez-moi pour mari,

- Taisez-vous, je vous prie,
Je ne puis vous entendre,
O joli rosier blanc,
Taisez-vous, je vous prie,
Je ne puis vous entendre,

Je donnerai ma main
A mon ami qui m'aime,
O joli rosier blanc,
Je donnerai ma main
A mon ami qui m'aime,

- Votre ami qui vous aime
Ne reviendra jamais
O joli rosier blanc,
Votre ami qui vous aime
Ne reviendra jamais.

- S'il ne revient jamais,
Je garderai ma main
O joli rosier blanc,
- S'il ne revient jamais,
Je garderai ma main.

- Vous m'aimerez aussi,
Moi je suis bien plus riche,
O joli rosier blanc,
Vous m'aimerez aussi,
Moi je suis bien plus riche.

- Vous êtes bien plus riche,
Il est bien plus joli,
O joli rosier blanc,
Vous êtes bien plus riche,
Il est bien plus joli. »

Arrive un messager
Au galop de son cheval,
O joli rosier blanc,
Arrive un messager
Au galop de son cheval.

« Madame, madame, pleurez
Celui que vous aimez,
O joli rosier blanc,
Madame, madame, pleurez
Celui que vous aimez.

« Pleurez, car il est mort,
Est mort et trépassé,
O joli rosier blanc,
Pleurez, car il est mort,
Est mort et trépassé. »

La belle aux cheveux blonds
Est sortie en pleurant,
O joli rosier blanc,
La belle aux cheveux blonds
Est sortie en pleurant,

S'en va dans le jardin
Tout fleuri de jasmins,
O joli rosier blanc,
S'en va dans le jardin
Tout fleuri de jasmins.

Tout fleuri de jasmins.
De jasmins et de roses,
O joli rosier blanc,
Tout fleuri de jasmins,
De jasmins et de roses.

Par ses beaux cheveux blonds
Le chevalier l'a prise,
O joli rosier blanc,
Par ses beaux cheveux blonds
Le chevalier l'a prise.

Par ses cheveux l'attache
Au pommeau de la selle,
O joli rosier blanc,
Par ses cheveux l'attache
Au pommeau de la selle.

Elle a beau se défendre,
L'emporte au grand galop,
O joli rosier blanc,
Elle a beau se défendre,
L'emporte au grand galop.

Mais voilà que ses frères
Se mettent à sa poursuite,
O joli rosier blanc,
Mais voilà que ses frères
Se mettent à sa poursuite,

Tout le long de la forêt
Ont retrouvé ses traces,
O joli rosier blanc,
Tout le long de la forêt
Ont retrouvé ses traces.

Les cailloux du chemin
Sont tout tachés de sang,
O joli rosier blanc,
Les cailloux du chemin
Sont tout tachés de sang.

Les cailloux du chemin,
La mousse et l'herbe aussi,
O joli rosier blanc,
Les cailloux du chemin,
La mousse et l'herbe aussi.
Ils entendent ses plaintes :
« Frères, mon heure est venue !
O joli rosier blanc,
Ils entendent ses plaintes :
« Frères, mon heure est venue !

Courez sur vos chevaux,
Faites-moi venir un prêtre,
O joli rosier blanc,
Courez sur vos chevaux,
Faites-moi venir un prêtre.

Et quand je serai morte,
Bien morte et trépassée,
O joli rosier blanc,
Et quand je serai morte,
Bien morte et trépassée,

Coupez mes cheveux blonds,
Qu'ils n'aillent pas en terre,
O joli rosier blanc,
Coupez mes cheveux blonds,
Qu'ils n'aillent pas en terre,

Voir La Tradition du 15 février. - Le thème de cette ballade est pris du suédois.

Remy de Gourmont
La Tradition, N° 11, 15 novembre 1888 (pp. 348 à 350)



Ballade des trois têtes

Il y avait trois jolies filles,
Qui s'en allaient en robe fine,
Trois jolies filles en robe fine.

Quand vint le soir, ont dormi seules,
On dormi seules dessous la feuille,
Trois jolies filles seules sous la feuille.

Sur trois chevaux tout blancs montées,
Dire leurs pêchés s'en sont allées,
Trois jolies filles, dire leurs péchés.

Trois hommes passèrent : Soyez nos femmes,
Ou vous perdrez vos jeunes âmes,
Trois jolies filles, trois jeunes âmes.

Las ! Nous perdrons nos jeunes âmes,
Nous ne serons pas vos trois femmes,
Trois jolies filles, trois jolies femmes.

Tomba d'abord la plus jeunette,
Trois coups de sabre pour les trois têtes,
Trois jolies filles, trois jolies têtes.

Sous l'herbe où les trois têtes tombèrent,
Bientôt coulèrent trois sources claires,
Trois jolies filles, trois sources claires.

Remy de Gourmont
La Tradition, N° 26, 15 mai 1889 (pp. 151)
Remy de Gourmont dans Livrenblog : Réponse à l'enquête de La Critique. Remy de Gourmont occultiste ? Francis Poictevin par Félix Fénéon et Remy de Gourmont . Mécislas Golberg contre Remy de Gourmont : Orthodoxie Symboliste. La Force des choses de Paul Margueritte par Remy de Gourmont et Jules Renard. Leurs Rêves : Remy de Gourmont, Rachilde. Remy de Gourmont : Sur Rimbaud.Remy de Gourmont : Sur Lautréamont. L'Art d'écrire : Gourmont / Albalat. Fagus : Remy de Gourmont critique. Remy de Gourmont dans la Revue Biblio-Iconographique : Première partie : 1896 et 1897. Deuxième partie : 1898. Troisième partie : 1899. Quatrième partie : 1900.Cinquième partie :1901. Sixième partie : 1902. Septième partie : 1903. Huitième partie : 1904. Neuvième partie : 1905, 1906 et 1907. Simone, illustrée par d'Espagnat. Mélodie, sur des vers de Verlaine.



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