samedi 9 avril 2011

Flaubert dans La Parodie.




L'Education sentimentale

Devant mesdames Bovary et Salammbô

Assises sur un sopha profond dans un pavillon aux couleurs claires, Mmes Bovary et Salammbô, les yeux légèrement cernés comme il convient, parcourent l'oeuvre nouvelle de M. leur père, Gustave Flaubert.
Le pavillon est propice à ces lectures. Les murs disparaissent sous un revêtement de satin rose où sont brodés les principaux tableaux de la galerie secrète du Roi de Naples ; le plafond est peint de fleurs au milieux desquelles volent des cantharides et quelques phallus ailés. Du musc, de la myrrhe et de l'ambre gris fument dans un brûle-parfums d'un airain verdâtre portant, ciselés sur son ventre, les épisodes les plus saillantes de « l’Âne » de Lucien. Mme Bovary, en peignoir de cachemire blanc, entoure de son bras gauche la taille de Salammbô. Une jambe repliée sous elle, elle agite de temps à autre son pied resté libre chaussée encore de cette mignarde chaussure sans quartier, qui n'y tient que par les orteils.
Salammbô porte sa tunique brodée de plume d'oiseau et ses caleçons bleus, à ses oreilles oscillent de lourds bijoux en or incrustés du Tau mystérieux en émeraude ; à ses chevilles sonnent les fragments de la chainette d'or brisé par Matho. Sa ceinture en cuir d'hippopotame gît à ses pieds.
Les senteurs de Mme Bovary et de Salammbô circulent dans l'air comme un immense baiser épandu. Enfin on respire dans ce pavillon une ingénuité de corruption absolument louable.

Madame Bovary.
Va, continue, Salammbô !... Jusqu'à présent, ça me paraît assez Berquin !...
Salammbô, lisant.
« Rose Pompon, du reste, commençait à l'agacer fortement. Quelquefois elle disait du mal de l'amour, faisait sa dégoûtée, assurait que rien ne la fatiguait davantage, « ça l'importunait ; le seul amant supportable à son avis était Abeilard. » Et un peu après elle lui sautait sur les genoux, lui baisait les lèvres, et le serrant avec emportement sur sa gorge tiède, à travers sa fine chemise, elle laissait tomber sa tête en arrière, et se secouant comme dans un spasme, elle s'écriait : « Oh ! Si ! Va ! Je t'aime ! C'est bon ! » Anatole se laissait faire. Il rêvait en regardant les petits cheveux follets qui frisaient derrière sa nuque ; il la désirait ; il hésitait. » Puis il finissait toujours par prendre son chapeau et allait regarder les gravures à la montre de Goupil. »

Madame Bovary.
Tiens !... voilà qui est singulier !... A la montre de Goupil ?... Voyons, saute quelques pages !
Salammbô.
« Alors la Fercy lui prenant la main :
- C'est bien cela, n'est-ce pas ? On ne vous a pas ouvert.
- Non, répondit Anatole.
- Avez-vous regardé par le trou de la serrure ?
- Non.
- Hé bien ! C'était Auguste ?
- Comment, Auguste ?
- Oui, lui !... Ah ! Le polisson ! Le chien d'enfant !... Un garçon à qui j'ai acheté sa première culotte !... Et tout !... Faut-il être bête !... Ah ! Mon Dieu ! Mon Dieu !... En ai-je payé des petits verres pour lui chez son marchand de vins et dans tout le quartier, que j'étais sa providence !... Et ça va coucher avec des gueuses comme ça !... Vous ne le croyez pas ?... je les ai vu entrer, moi ?... Et elle, cette grande sale... Dire que c'est moi qui l'ai retirée de sa gargote et qui lui fait connaître un pair de France de mes amis !... Mais elle !... Mais ça roule avec tout le monde ! Avec Pierre ! avec Paul ! avec Jacques ! Et avec les frères, cousins et grands-oncles de Pierre, de Paul et de Jacques, et tous leurs amis encore, et les amis de leurs amis !... Ah ! Malheur !... Ils sont propres, tous les deux !... Ça fait deux jolis cocos !... Un homme pour qui j'ai fait tous les sacrifices !... Mais zut ! Après tout, je m'en fiche ! »
Madame Bovary.
Pardon !... Comment s'appelle donc cette personne qui couchait avec Pierre, et Paul, et Jacques, etc...

La Parodie,
5 - 12 décembre 1869.
Illustration de A. Lemot.





Aucun commentaire: