samedi 9 juillet 2011

Charles-Henry de Tombeur et La Basoche par André Fontainas




Vincent Maisonobe, nous envoie ce article d'André Fontainas sur Charles-Henry de Tombeur fondateur de La Basoche, revue bruxelloise dont nous avons donné la description sur le blog des Petites Revues et les tables ici, toujours grâce à Vincent.


Quelques Souvenirs sur

Charles-Henry de Tombeur

Des jeunes gens qui, vers 1884 et 1885, fréquentaient les cours de l'Université de Bruxelles, il en est peu, à coup sûr, parmi les disparus, qui aient laissé dans le souvenir de leurs camarades un souvenir aussi vivace que l'ardent Charles-Henry de Tombeur. Sous les courts cheveux blonds un visage arrondi, aux yeux grands ouverts, les lèvres frémissantes, des gestes et une allure à la fois prompts, saccadés et rythmés, une brusquerie apparente et, cependant, la douceur du sourire et de la parole, il se présentait avec des dehors suffisamment attirants pour que d'elle-même une rapide sympathie attachât à lui dès qu'on le rencontrait, mais, à le mieux connaître, sa netteté de pensée, à un âge encore hésitant et incertain, la volonté de ses desseins, ses opinions d'une franchise dépourvue de crainte et de retenue, ses enthousiasmes et l'étrange et parfaite bonté de son coeur composaient en lui, sans qu'il s'en doutât, une âme de chef, de guide et de conseiller.

On le vit bien, lorsque l'idée lui fut venue de susciter, après l'effort premier de La Jeune Belgique, l'éveil littéraire ou artistique d'une plus jeune génération. Dès qu'il s'ouvrit devant quelques amis de ses projets, on se groupa autour de lui avec empressement, et La Basoche fut fondée. Ce n'était pas une tâche facile d'assurer, à côté de l'aînée qui luttait avec acharnement et une autorité naissante, pour la vie et la gloire des lettres en Belgique, l'existence d'une seconde revue désintéressée, d'autant plus que l'aînée, piquée de n'être plus la seule, se montrait disposée à mal accueillir une concurrente, au lieu de saluer en elle une alliée. Des mots aigres furent parfois échangés, mais de Tombeur, avec une patience inlassable, s'il ne tolérait pas qu'on vilipendât son effort et son oeuvre, exigeait, chaque fois, avec une admirable entente de l'équité, que La Basoche rendît l'hommage le plus fervent à tout ce que La Jeune Belgique contenait de talent, de promesses ou de réalisations, à tout l'intérêt inattendu qu'elle avait éveillé, dans quelques cerveaux du pays, en faveur de la cause suprême de l'intelligence et du travail.

De cette façon La Basoche vécut du 13 novembre 1884 jusqu'en avril 1886. Les membres fondateurs — dont plusieurs ont disparu, tandis que d'autres ont tôt renoncé aux gloires littéraires — étaient : Louis de Casembroot, Hector Chainaye, Hippolyte Delcourt, André Fontainas, Maurice Frison, Max Hallet, Lucien Malpertuis, Charles Sainctelette, Henri Stranard, Charles-Henry de Tombeur, — mais je n'offusquerai l'amour-propre d'aucun des survivants, je n'offenserai la mémoire d'aucun mort en affirmant que de Tombeur seul, secondé sans doute mais jamais remplacé ou supplanté par ses camarades, avait conçu, organisé, et dirigea La Basoche tout au long de son éphémère existence.

Que fut cette oeuvre ? En quoi mérite-t-elle qu'on s'en souvienne ?

Les polémiques qu'elle soutint avec une hardiesse parfois provocante produisirent, tout d'abord, cette conséquence de rendre plus attentive à sa tenue, parfois relâchée et facile, sa grande soeur La Jeune Belgique qui n'aimait pas qu'on se moquât d'elle ou qu'on accusât ses faiblesses : le meilleur parti lui parut être de mettre ses soins à les éviter. Elle ne les évita pas toujours, mais La Basoche non plus, — seulement elle s'y laissait surprendre moins complaisamment.

L'invention, la présentation de plusieurs talents sincères qui, sans elle, se fussent peut-être ignorés, sinon toujours, du moins fort longtemps, telle est l'oeuvre féconde et glorieuse dont elle peut s'illustrer.

Après la noble apparition, la généreuse montée des esprits qui spontanément s'étaient unis, à Louvain d'abord, ensuite à Bruxelles, à l'appel audacieux et volontaire du tout charmant Max Waller, après Eekhoud et Verhaeren, après Rodenbach, Giraud, Gilkin, bien rares les noms de nouveaux venus. C'est que l'on n'osait guère aborder cette revue où collaboraient, avec des talents aussi formés déjà, des hommes. Octave Pirmez, Camille Lemonnier, dont l'illustration rayonnait de tant d'éclat sur toutes nos espérances ; on se sentait trop petit, trop hésitant, on se rendait compte que la force qui germait était bien loin d'avoir éclos, et l'on n'osait pas, d'emblée, se montrer à côté de ceux-là.

Bien des tentatives infructueuses, mais de si bonne volonté, bien des essais timides ont empli les seize livraisons de La Basoche, mais c'est là qu'ont paru, pour la première fois, en même temps que ceux des membres fondateurs qui ont parfois écrit, les premières proses, les premiers vers d'Arnold Goffin, d'Albert Mennel dont le pseudonyme demeurerait mystérieux si l'on ne se souvenait d'une nouvelle qui, dans un des derniers numéros, fut singulièrement appréciée, et qui était signée Grégoire Le Roy, — de qui donc encore? de Jacques Champal, et, peut-être, de Célestin Deblon. La collaboration française était admirable : je retrouve les noms de plusieurs jeunes d'alors, Jean Ajalbert, Rodolphe Darzens, René Ghil, Jean Lorrain, Stuart Merrill, Ephraïm Mikhaël, Pierre Quillard, soutenus par des témoignages précieux d'intérêt et d'encouragement donnés aimablement, sous forme d'une participation effective, par des artistes tels que J.-K. Huysmans, Stéphane Mallarmé, Catulle Mendès.


Nous avions recherché avec empressement cette sorte de patronage honorable et bienfaisant. Dès que la création de La Basoche eut été décidée, notre premier souci fut d'y intéresser celui que, avec raison, nous vénérions comme le maître (Eekhoud n'avait pas encore dit : le maréchal) des lettres belges, l'artiste incorruptible et hautain, l'exemple à suivre, Camille Lemonnier.

Je me souviens du matin d'automne clair et doux, où Charles-Henry de Tombeur accourant chez moi, me dit, l'air un peu effaré et si content : « Allons, vieux, nous allons à La Hulpe; Lemonnier nous attend ; je ne puis pas y aller seul. »

A quoi rêvions-nous, tandis que le train nous emportait à travers les fonds roux et les hautes futaies d'argent soyeux, aux frondaisons sombres, de la forêt de Soignes ? Nous suivîmes silencieux le chemin qui s'échappait, en tournant, d'entre les grands arbres, et longeait la rive d'un bel étang endormi. On nous fit attendre un peu dans un salon que je revois, d'un rouge éteint et songeur. Tout à coup Lemonnier parut; il ne nous connaissait ni l'un ni l'autre. Ses premières paroles nous mirent à l'aise, et, si je suis aujourd'hui, comme je l'ai sans doute toujours été, incapable de me rappeler de quoi il nous parla avec sa loquacité coutumière, enthousiaste, qu'entrecoupait à intervalles réguliers l'irruption de ses « hein? » rauques et tenaces, je me souviens du moins que nous éprouvâmes tout d'abord un soulagement bien heureux à notre inquiétude, à notre timidité, je me souviens qu'il nous parla avec ardeur de tout ce que nous aimions, et que les noms vénérés, fervents se succédaient, à notre grande extase, sur ses lèvres d'où ils s'exaltaient à nos yeux de splendeurs nouvelles, qu'il nous entretint spécialement de Zola, qu'il nous lut un chapitre de Happe Chair, encore inédit, nous promit sa collaboration, nous remit les pages d'une étude sur le peintre Joseph Stevens qui parut dans les deux premiers numéros, et nous garda chez lui, enchantés, jusqu'au soir.

L'inoubliable journée! Ah! en rentrant à Bruxelles, nous nous trouvions grandis, nous sentions la plénitude de notre jeunesse, nous nous émerveillions, au passage, des poudroiements lumineux qu'allumait le soleil couchant dans les profondeurs de la forêt, nous épanchions mutuellement nos impressions heureuses, et que nous fûmes fiers et joyeux en les communiquant à nos amis, qui nous attendaient !

Edmond Picard nous inonda de sonnets; Théo Hannon, Max Sulzberger, Jules Destrée, Georges Knoppff vinrent à nous. Des peintres aussi s'empressèrent. Henry De Groux nous avait dessiné une couverture ; nous eûmes des frontispices de Jan Toorop, de Léon Dardenne. Et de Tombeur menait tout cela, magnifiquement.

Il était pour nous l'espoir vivant, la conviction chaleureuse. Il écrivait des échos, il aiguisait des pointes, il administrait, il organisait la propagande, il lisait et jugeait les livres nouveaux de Zola, de Lemonnier, de Huysmans, de Péladan, de Nizet, il entreprenait une énorme correspondance qui nous amenait des collaborateurs désirés, et, cependant, il trouvait le temps encore d'achever quelques nouvelles : La Grâce-de-Dieu, Heures d'Amphithéâtre, Noël Livide, qui, par la fermeté de leur style et une réelle sûreté d'élocution, valaient mieux déjà que de simples promesses.

Mais il n'a pas persévéré, et, quand, si peu de temps après la fin de La Basoche, l'odieuse maladie à son tour l'emporta, il avait à peine ébauché l'oeuvre que son réel talent eût pu construire...

Ce lui avait été un navrement, la fin de La Basoche. Avec fierté, avec orgueil il l'avait lancée dans le monde ; avec une généreuse confiance, aussi, il l'avait en ces termes caractérisée à la première page de la revue naissante :


AU LECTEUR

Mon Ecole ?

La Vie.

Mon Programme ?

N'en point avoir.

Ce que je suis ?

Rien encore.

Ce que je veux être ?

Quelque chose.

Y parviendrai-je ?

Pourquoi pas ?


La Basoche.


Cependant, il présenta à la mauvaise fortune bon visage, et la dernière page de la livraison d'avril 1886, parut, encadrée de noir, et portant cet avis :

POURQUOI PAS ?

POUR ÇA !

M

Les Clercs de la Basoche ont l'honneur de vous faire part de la perte qu'ils viennent d'éprouver en la personne de

DAME BASOCHE

leur fille et mère,

née à Bruxelles en Brabant, le XIII Novembre MDCCCLXXXIV, et y décédée en la deuxième année de son âge

..., elle était du monde où les plus belles

choses ont le pire destin,

Le service littéraire pour le repos de ses abonnés sera fait par la Société Nouvelle.

Gardez à sa mémoire

ni plus ni moins qu'à celle

de M. Ernest RENAN

un souvenir affectueux.

N'importe ! Il avait été l'éveilleur. Et plusieurs, j'imagine, comme moi-même, se souviennent avec reconnaissance, n'est-ce pas, mon cher Grégoire Le Roy, n'est-ce pas, mon cher Goffin, toi aussi que depuis si longtemps je n'ai plus rencontré, Luc Malper ! — qu'ils doivent à son initiative, à ses encouragements, à son activité communicative plus que l'occasion qui a déterminé, presque créé ce que chacun de nous peut avoir, dans la suite, montré de talent ! Et tous nous gardons vivace en nous le souvenir de ce visage et de cette fleur de vie, Charles Henry de Tombeur.

André Fontainas.

In. "le masque" revue mensuelle illustrée d'art et de littérature, Paris - Bruxelles,

Série 3, numéro 2, 1914 .

Editeur Rémy Havermans, Bruxelles.


La Basoche, avril 1886, eau-forte de Léon Dardenne.


La Basoche
, du 13 novembre 1884 à avril 1886, les tables.

La Basoche dans Les Petites Revues.

Stuart Merrill : Over the sea, La Basoche, avril 1886

André Fontainas dans Livrenblog : André Fontainas lettres à Fernand Mazade.

Bibliographies de revues dans Livrenblog :

Revue L'Image, bibliographie complète et illustrée.
Bibliographie de la revue Le Beffroi (1ère partie), (2e partie), (3e partie), (4e partie).
Bibliographie illustrée et complète du journal Le Pierrot (1ère partie), (2e partie), (3e partie), (4e partie).
La revue Palladienne de 1 à 10
.
Les Contemporains A. Le Petit F. Champsaur.
La Revue des Lettres et des Arts 1867-1868.
La revue Matines. 1897-1898.
Le Bambou, Bibliographie illustrée.

Le Carillon.
1893-1894
La Revue d'Art. 1896-1897.
Les Gerbes. Revue littéraire bimensuelle. 1905 - 1906.
Le Feu, Marseille, 1905-1906.

La Rose Rouge, 1919. Cendrars, Salmon, Carco.
La Revue Contemporaine, Lille. 1900 - 1902
Le Thyrse. 1897.
La Cité d'Art et L'Art et l'Action. 1898 - 1899.
L'Idée Moderne 1894-1895.

Le Nouvel Echo 1892-1894.
La Poésie Moderne, 1882.

La Pléiade. 1886 et 1889.
L'Aube Méridionale 1898-1899.
L'Effort Libre, 14 numéros, 1911-1914.
Les Ecrits Nouveaux. 1917-1922.


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